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Dossier Arthur Aeschbacher
La Couleur - L’Appropriation - Liens d’amitié
par Arthur Aeschbacher

La couleur

Les couleurs sont des êtres vivants qui s’intègrent à nous, à nous tous ; c’est un pouvoir gai et majestueux avec des effets étranges, presque indicibles. Prises au hasard, les affiches des palissades sont une palette aux mille couleurs. Si l’on prend un grand carré de ces affiches bariolées, panachées, chinées, contrastées dans la lumière des rues, ce n’est pas pour autant que ces affiches d’un mètre de surface deviennent, par enchantement, une toile de maître. Les poissons des mers du Sud ont de belles couleurs en eau profonde ; quand ils remontent à la surface, ils deviennent moches, gris, un gris sérum d’égout – la couleur n’est plus là. Disparu le jaune fluorescent, le Prussesavant. Des poignées de poissons qui foncent dans tous les sens, en éventail, libre, avec des festins de couleurs qui se trouvent présents dans les restaurants chinois du Quartier latin. Voilà pourquoi, face à mes « affiches », pour ma gouverne personnelle, je mets la main à la pâte, j’en prends, j’en laisse, je les veux méconnaissables, indicibles, et je veux que le rêve dure longtemps. 2008


arthur aeschbacher

L’Appropriation

« Le seul affichiste qui ne soit pas « nouveau réaliste »… rattaché aux affichistes, il se tient à l’écart du mouvement des « nouveaux réalistes », dont il ne partage pas les visées sociologiques. » Art du XXe siècle, dictionnaire Larousse

On peut comprendre que je n’aime pas la musique mécanique qui mord les chevaux de bois. Le tire-pipe ou les oeufs sous vide, la femme qui n’a pas de barbe et les montagnes pas RUSSES du tout. Ce n’est pas ma fête FORAINE, c’est tout à recommencer, ce n’est pas ma FETE DE L’ESPRIT. Mes voisins de palier, qui sont les Nouveaux Réalistes, j’ai envers eux le devoir d’insister sur L’APPROPRIATION en tant que témoin des tous premiers jours.

Appropriation
Attribuer en propre à quelqu’un. Donc KLEIN dit je suis le vide, ARMAN, le plein, François DUFRENE, je suis l’envers de l’affiche. Raymond HAINS a dit je suis une abstraction personnifiée et, selon moi, ce mot est superbe : « pourquoi un TEL et pas GUILLAUME. » GUILLAUME, à cette époque, était installé dans l’axe Schwitters, Mallarmé, hors de la loi du 29 juillet 1881.

Aucun oiseau n’a le coeur de chanter
Dans un buisson de questions.
René Char

Mes nombreuses ballades et rencontres avec Raymond Hains – ce promeneur, ce regardeur – ce furent des nuits entières à chercher un bistrot ouvert, ou des crêperies. Il parlait sans arrêt, sans vous regarder dans les yeux. Tout y passe, tout défile, le nom des rues se transforme en calembours, en des chassés-croisés bien à lui, il y a une armée de Congolais dans la vitrine d’une pâtisserie et aussi le marquis de Bièvre, qui a six ifs dans son jardin. Des calissons d’Aix pour un portrait de Dali. Il y avait du sublime dans Raymond Hains, l’explorateur d’un univers inconnu.

Liens d’amitié

Avec l’appui de Darthea Speyer, Brion Gysin avait obtenu un atelier d’artiste à la Cité des Arts sur les quais de Paris, face à la Seine. Bien bel endroit. Il était installé depuis peu, ça sonnait le creux. Je me souviens qu’il sortait d’une opération genre compliquée. Brion avait des brûlures qu’il soignait avec du blanc d’oeuf. Il parlait sans arrêt de trucs et de machins. Le thème, ce jour-là, était le suicide PROPRE, par exemple se défénestrer de ce lieu splendide. Mais une chose demandait réflexion, c’était l’arrivée sur le trottoir. Il imaginait pour le PROPRE une sorte de sac en plastique, une combinaison de la tête aux pieds. Surtout éviter la moindre tache sur le sol après la chute libre. Ses deux « invités » ne l’écoutaient que d’une oreille. William Burroughs, assis en face de moi, avec un regard qui ne menait nulle part, consultait sa montre sans arrêt, son médecin lui ayant interdit de boire un verre d’alcool avant cinq heures du soir. Ficelé dans son serment, cela a duré un très long moment. Il devait savoir que le diable possède tous les trucs pour vous tenter. Enfin, l’instant tant attendu arriva : W. S. B., avec un geste atrocement exagéré attrapa une bouteille de RICARD, sortit deux grands verres, m’offrit le premier et se mit à boire cul sec, tremblant, du bout des lèvres, heureux, savourant son enfer tranquille puisqu’il était là pour l’éternité. J’aime l’encre, mais je n’aime pas écrire. L’histoire s’arrête ici.

Arthur Aeschbacher
mis en ligne le 10/03/2009
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