Ecrire son journal
par Sophie Braganti


Ce serait comme de longues lignes sur une route sans queue ni tête. Ce serait des lignes de couleurs sur le départ qui croiseraient des visages des figures des personnages d’un autre temps du temps passé et qui nous parleraient. Ce serait un roman à écrire un tableau à peindre un château hanté. Ce serait un enfant ciseaux et colle à l’amande qui recollerait les morceaux de ce qu’il voit qui se construirait son puzzle à lui parce que ceux du magasin ils sont pas bien. Sur le tapis jaune du passé on ne ferait que passer mais la mémoire reste qui cherche la main à attraper du présent d’aujourd’hui de maintenant ici ailleurs toujours. L’enfant appuie sa tête sur les boîtes vides et rondes de ses films et y colle son langage aplat la nuit il se fait son cinéma. L’enfant décolle la fusée dans l’espace recomposé rejoint ses héros cultes il y en a pour tout le monde. Il aime s’entourer comme d’autres le font avec leurs peluches il aime ce jauni qui patine sur brouette avec des noix. Ce serait un peu ça le défilé d’Hubert Weibel son train fantôme son palais des glaces son miroir aux alouettes son monde portatif polyglotte son éden d’après le serpent. Ce serait comme des tiroirs jamais réunies. Papiers envolés et volés pour essuyer le tropplein. Papiers rougis et pas salis. Puis une fenêtre. Palimpsestes de citron à déchirer mais non à effeuiller pour faire peau neuve.
« Ceux qui trinquent ont soif » ça n’est pas un poème. Chacun sa cible. Ce serait comme dans un journal. Une lecture à tiroirs. Pour « Cavalier seul ».

Hubert Weibel vit et travaille à Nice. Exposition « Cavalier seul » à la galerie du Château à Nice en avril.



Bruno Pelassy
Pas là
par Sophie Braganti


C’est un titre de Beckett mais pas seulement. Bruno a eu droit à sa rétrospective à 36 ans, parce qu’il n’était pas là. Plus là. Sera jamais plus là. Mais ses oeuvres étaient là, bien là. Un peu trop au garde à vous dans cette galerie du MAMAC, où on les aurait attendues plus échevelées, plus déhanchées et moins silencieuses, comme on les avait vues à la galerie Vigna. Ces petites bestioles ici inanimées et ces créatures si élégantes, là, statiques dans leurs aquariums, de même ses reliquaires étaient bien tristounes hors de ce qu’avait prévu la fantaisie de l’artiste. De même, aurait-il été d’accord sur le texte du maire de Nice inaugurant le catalogue, qui ne devait pas vraiment le connaître de son vivant, et comment aurait-il pu serrer la main ouverts et sans bas art dans lesquels il y aurait des paires mais de celui qui représente tout ce contre quoi il se battait, déjà avec le FN. Décidément Pelassy et Peyrat n’ont en commun que leur « P» ?

Pour terminer avec ce qui sonnait faux, la vidéo dépenaillée trempée dans une violence datée et clichée que l’artiste n’aurait sans doute pas montrée, avec ce goût d’inachevé et cette pseudo ambiance qui se résume à des tapis à la Pelassy. On dirait que l’on force un peu la main à celui qui n’a plus prise sur la vie, et qui n’a pas eu le temps d’affirmer totalement un travail, malgré tout déjà confirmé et reconnu.
Mais le plaisir est là. Là est l’essentiel et il faut le souligner. L’hommage est légitime pour ce jeune artiste qui a fait de l’art son quotidien. Insolent autodidacte, il fut exposé dans de nombreuses galeries d’ici (Soardi, Art concept, Vigna) et d’ailleurs (Valentin, Cokkie Snoei, Krinzinger, Mark Pasek Gallery...). On se souvient à la FIAC de ces photographies en collaboration avec la talentueuse Natacha Lesueur, où l’on est toujours au bord de sourire et de souffrir. Même contradiction quand il s’agit d’aligner et d’entrelacer les perles, dans de dérisoires reliquaires ou des tiares aux échos baroques et mortuaires, sacrément sadien et religieux, et de rendre à des visages de cire et de lumière une tendresse « hard ». Rire grinçant ( irrésistibles les « relaxing balls «) et souffrance révoltée dans un monde « sans titre » qui met des strass sur les peurs, et des animaux domestiques, adorables monstres, pour mémères en pleurs. Parodie sous toutes les coutures sont ses cires, reliquaires, bestioles et créatures, sculptures de perles, gants et dessins. Parodie des désirs, signée par qui est mort d’amour, en disant « gracias a la vida ». Il faisait feu de toutes langues « étrangères ». Une rose à la droite du coeur. L’étranger.


Né en 1966 au Laos il vivait et travaillait à Nice. Exposition à la galerie du MAMAC de Nice début 2004 et courant 2004 dans Le Consortium, Centre d’art contemporain de Dijon.

Sophie Braganti
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