... à travers le festival de photos " Chroniques nomades ", une certaine idée du voyage.
Chroniques nomades
Objectif monde

par Olivia Buffi

Un visage, en noir et blanc, si pur sous des cheveux parfaitement lisses. Un regard qui ne lâche pas le visiteur, et le cerne, et l’interroge de ses yeux bridés. Ces clichés en noir et blancs signés Jean-Baptiste Huyn frappent par la sérénité qui se dégage sous la rigueur. A côté de chaque visage, une fleur suspendue dans quelque nulle part, des gestes de mains à la grâce étrangère, des petits paquets en feuilles de bananier au parfum d’ailleurs. C’est ça, le
voyage ? Mais oui, c’est aussi ça, assure Claude Geiss.

Depuis quatre ans que ce barbu pince sans rire investit l’ancien grenier à sel de Honfleur, il a su fourbir ses armes et défendre, à travers le festival de photos " Chroniques nomades ", une certaine idée du voyage. Pourquoi la photo ? " Parce que c’est un moyen fabuleux de capturer des morceaux de réalité ", selon cet ancien graphiste, photographe lui-même à ses heures, responsable d’une collection de livres sur la photo dans une vie antérieure. Sous la prodigieuse charpente en forme de coque de bateau renversée, la dizaine de photographes professionnels exposés présentent leur invitation au voyage. Loin de l’exotisme, tout près de l’humain. " Aujourd’hui, il est si facile de prendre un billet d’avion et de joindre le bout du monde, observe Claude Geiss. Pas un site de notre planète n’a été répertorié, montré, publié au point qu’on a tout vu avant même de s’y rendre. La véritable aventure désormais, ce n’est plus la découverte d’un pays, c’est la rencontre avec l’Autre. Celui qu’on ne connaît pas ". L’Autre avec un grand A. Pas " des gens " à observer à travers la vitre d’un car comme à travers la grille d’un zoo, mais des histoires à accueillir. Des chroniques surgies au gré des nomadismes. L’actualité fugace du photo-reportage est délaissée au profit de toutes les formes d’expression photographiques : du baroque fulgurant de couleurs face à du noir et blanc austère, des travaux à la chambre, cotoyant des images faites au panoramique, à l’appareil jetable aussi… Pourvu qu’on ait l’ivresse. " Ce qui m’intéresse, c’est la narration, précise Geiss. Qu’un photographe me raconte des histoires à travers ses images, de façon presque littéraire ". Ainsi ces Maliens de toutes ethnies, dont Eric Condominas a tiré des portraits, visages muets et si parlants pourtant, récit émouvant d’une " ethnographie ordinaire ". Pari réussi, à croire les graffitis sur le livre d’or tracés par quelques-uns des 5000 visiteurs accourus quotidiennement devant ces clichés : " Magnifique… On a l’impression d’avoir rencontré ces gens… ", ou encore : " Quel merveilleux voyage on vient de faire, dans ces splendides paysages de visages humains ".

Toute rencontre exige du temps et la photographie, de l’argent. Les débats et autres table-rondes qui animent le festival, évoquant, par exemple, les difficultés de réalisation d’un reportage, en témoignent. Une bourse de 40 000 francs (*) est donc remise chaque année à un jeune photographe. De quoi lui donner les moyens de concrétiser un projet qui, une fois achevé, sera exposé à l’édition suivante de " Chroniques nomades ". Claude Geiss s’intéresse d’abord aux jeunes et aux méconnus, ignore le star-system - même si, pour l’édition 2000, on n’a pas échappé à l’incontournable Salgado. Ce qu’il aime, ce sont les travaux de longue haleine. " Parce qu’après avoir passé plusieurs mois sur un sujet, c’est leur histoire personnelles que les photographes finissent par raconter". Ainsi Jean-Baptise Huyn, encore lui, qui fait passer dans ces portraits sa découverte du Vietnam, patrie de son père. Jusqu’à ses trente ans, ce pays-là n’était qu’une forme sur une mappemonde. Surprise, à son premier voyage, croyant s’initier à un monde étranger, il retrouve des sensations familières : un grain de peau, des gestes, des regards, et use de ces détails comme de fils pour tisser une part d’identité.

" A travers l’autre, c’est de la recherche de ses racines dont il parle", rappelle Geiss. Rappelez-vous, la fleur, les feuilles de bananiers, les gestes des mains… images de ces petits rien – un parfum, un bruit, une couleur – qui provoquent chez le voyageur la réminiscence d’autres univers qu’il croyait étrangers. Preuve que le voyage est bien plus qu’un déplacement. L’occasion de remettre en cause ses certitudes, de faire vaciller ses valeurs en les frottant au monde.

(*) En partenariat avec l’Afaa et la région Basse-Normandie

Olivia Buffi