Lettre de ma campagne
Quatre pas dans les nuages
par Humbert Fusco-Vigné


Les paysages du Vexin français, où je réside désormais, furent bénis par les impressionnistes, ce qui engendra, au profit des deux, une célébrité durable. La grâce pastorale de cette région est en effet une bénédiction. Elle renaît chaque matin sous nos yeux, malgré cet âge numérique et d’une ère autant pétrie d’intégrismes et d’absurdités que d’imbécillité et d’hystérie croissantes. Une ère de l’argent roi, au labeur humain mal payé, dans laquelle les incivilités et autres impolitesses en tout genre tiennent lieu d’éducation. Une ère aux entertainments et aux multimédias dévoyés, dévoyants et hors de prix. Une ère nouvelle et grandiose de banques et de fonds de pension prédateurs et cyniques, avec ses bulles et autres meccanos financiers nourris de leur absence de raison d’être, hormis celle de la folie des grandeurs et de la bêtise humaines à qui on laisse plus que jamais la bride sur le cou, commerce, profit et marketing obligent. Dans nos campagnes, la sérénité, même quand on doute, est toujours au rendez-vous si on veut bien lui faire près de soi la place qu’elle mérite. Elle apporte alors avec elle, à longueur d’année, le recul peu à peu perdu en ville sur les êtres et les choses, parfois davantage.

C’est dans cet esprit que, de novembre 2006 à la fin de février 2007, j’ai choisi de commenter quatre événements. Il s’agira successivement d’un colloque parisien sur la vie religieuse et la passion pour l’art, riche problématique pour les lecteurs de VERSO, et d’un grand écrivain disparu, Jean-Edern Hallier, que j’ai eu la chance d’approcher et qui fut jugé sur les extravagances d’une trop brève existence plutôt que sur son talent d’exception. Les deux autres sujets concernent d’abord la suspension d’activité du chroniqueur Alain Duhamel par ses employeurs, véritable atteinte à la liberté de penser, et ensuite la querelle, si contestable, née d’un projet envisageant d’édifier un second Louvre dans les sables du Moyen-Orient. J’ai fédéré ces quatre sujets autour du titre donné à cette première Lettre de ma campagne, celui, en français, de quattro passi fra le nuvole, film italien réputé qui fut, en 1942, par son authenticité et ses revendications rêvées, l’ancêtre des célèbres films néoréalistes transalpins de l’après-guerre.

VIE RELIGIEUSE ET PASSION POUR L’ART

Sur ce thème peu banal, celui de savoir comment on peut vivre l’articulation entre les exigences d’une vie religieuse et celles de la création artistique, le père dominicain Antoine Lion, très actif dans ce domaine (1) a eu la bonne idée d’organiser à Paris en décembre 2006 un colloque au centre d’étude du Saulchoir (2). Il se révéla aussi original que passionnant pour la cinquantaine de participants de toute provenance, avertis et intéressés, que nous étions. Mes voisins étaient une danseuse milanaise réputée et un écrivain reconnu pour sa compétence dans le domaine religieux et de l’art sacré. Le colloque se déroula en trois temps.

Le père Antoine Lion retraça d’abord avec brio ce que furent, pour illustrer le thème du colloque, les « bifurcations » de la vie d’exception du Père Marie-Alain Couturier. Né en 1895, Pierre Couturier fut blessé en 1917 puis réformé et, pendant sa convalescence, se découvrit une passion pour la peinture. En 1925, après six années de peintre et d’artiste passées dans les ateliers de Montparnasse, il choisit de tout quitter pour se faire dominicain. Renoncera-t-il définitivement à sa peinture ou celle-ci deviendra-t-elle sa prédication? Il cherche sa voie entre ces deux extrêmes et choisit de les conjuguer en étant un dominicain peintre. Ce choix n’était pas du tout une évidence et il ne vécut pas toujours ce dilemme avec bonheur, mais dans cette vocation, la richesse de sa vie fut un exemple et une réussite, malgré les épreuves qu’il lui fallut surmonter en conséquence. Cet homme d’église devint, dès la fin des années trente, l’ami des plus grands écrivains, créateurs et artistes de son temps. Directeur de la revue L’Art Sacré, rejoint par le père Regamey après 1945, il fut le partenaire d’architectes et de peintres, tous célèbres, qui l’aidèrent à redonner une dimension nouvelle à l’art sacré de son temps et aux églises et édifices religieux qui en furent l’expression. Il les mit au travail et a parfois permis qu’il s’y mettent pour réaliser des oeuvres d’Église qui demeurent des phares: Matisse fera une chapelle à Vence, Bazaine et Léger à Audincourt et Le Corbusier à Ronchamp, puis en créant le couvent de La Tourette à L’Arbresle, au nord-ouest de Lyon tandis que Rouault, Léger, Matisse, Braque et Chagall travailleront pour la chapelle du plateau d’Assy. Plein d’autres créations se réalisèrent grâce à lui, avec sa contribution et grâce à son influence et à ses relations dans l’univers artistique. Au total, il exerça un rôle déterminant dans le renouveau de l’art sacré en France. À l’époque de son ordination, il avait écrit: C’en est fait, maintenant ma situation est claire, je suis peintre avant tout. S’il ne fut pas un grand peintre, il fut un acteur de l’art et un écrivain hors pair, tout en restant totalement dévoué à son ordre. Il fut aussi un grand religieux et, pour lui, L’Église devait paraître aux yeux de tous comme la maison ouverte à tous ceux qui cherchent le bonheur dans la nuit et la boue.

COLLOQUE DE 2004 À ROME

On passa ensuite aux résultats d’un autre colloque, tenu en forme de débat à Rome en 2004 sur le thème Vie religieuse et vie artistique, dont le compte-rendu définitif est en cours d’achèvement. Il a réuni trois jours quinze dominicains créateurs en arts visuels, venus des quatre coins du monde à l’invitation du frère Timothy Radcliffe, maître de l’Ordre des Prêcheurs. Ses objectifs ont été d’abord de rendre visible la vitalité de la création artistique dans l’Ordre, ensuite de marquer son intérêt pour les artistes qu’il abrite et qui ont voué leur vie à l’art, ce qu’aucun maître de l’Ordre n’avait jusqu’ici attesté publiquement et concrètement. J’observe à ce sujet que les dominicains sont le seul Ordre intégrant l’art comme une dimension spirituelle de vénération du Créateur et de propagation de la foi chrétienne, dans les arts plastiques comme en musique. Par les qualités de leurs choix dans ce domaine, les dominicains se tiennent du coté de la sensibilité du coeur évoquée à propos de Dieu par Pascal dans cette maxime où il oppose ce choix à celui de l’intelligence, tant privilégiée par les jésuites dont les penchants artistiques se sont souvent signalés par leur mauvais goût. L’objectif de ce colloque a été enfin d’attirer l’attention de l’Ordre sur l’importance de l’art dans sa mission en élaborant, à partir de situations concrètes, une réflexion sur l’art et sur la mission dominicaine aujourd’hui. Pour la petite histoire, les débats se sont déroulés dans la salle des Papes du couvent Sainte-Marie de la Minerve, le lieu même où le tribunal de l’Inquisition condamna Galilée! Pêle-mêle, à travers les verbatim disponibles et en attendant un compte-rendu raisonné et complet, quelques points significatifs semblent à retenir à travers les témoignages exprimés sur le lien entre architecture et religion. Certains frères partagent leur engagement religieux comme une double vie avec la création artistique. Pour sa part, la pratique artistique sera, pour les uns, une véritable pratique professionnelle de dimension économique fondée sur le régime de la commande et pour d’autres une pratique artistique excluant jusqu’à la notion de commande.

Un recul théologique a ensuite permis d’éclairer le thème du colloque à partir des deux notions de création et d’incarnation. Dans le premier cas, l’artiste créateur se situe face au Dieu créateur et l’art devient comme une assomption de la matière, une autre position, celle d‘un frère photographe, étant de changer de regard sur la création. Dans l’autre cas, plus que la création, le mystère de l’incarnation est une référence, parfois associée à la souffrance du Christ. À la question Pourquoi l’art ? certains participants ont proposé pour réponse celle d’être poussé par un mouvement spirituel et d’autres celle d’une visée apostolique dans laquelle l’art est formulé comme une expression de la foi, en soi et en vue de son annonce. Cela peut survenir comme à l’insu de l’artiste qui accomplit son oeuvre lorsque quelque chose d’inattendu advient. Mais cela est en général bien prévu. Soit cela peut se traduire par un ancrage dans une tradition spécifique particulière, soit cette traduction s’effectue grâce au langage universel de la beauté. Enfin, le débat sur la question l’art est-il une prédication ? a permis l’expression du sentiment de se sentir en situation de responsabilité, celle de manifester la vérité d’une vie religieuse. On a conclu sur le problème – ou non – de l’existence de deux vies, artistique et religieuse, parfois vécues comme unies par l’art, louange et hymne au créateur - tout étant sacré - ou par la prédication, ou encore conduites avant tout par la théologie qui doit donner son sens à l’oeuvre créée.

DEUX TÉMOIGNAGES D’EXCEPTION

Deux témoignages peu ordinaires achevèrent ce colloque. Celui du frère Samuel Järnegard Fogelvik (suédois), dominicain au couvent Saint Jacques, et celui du frère Dino Quartana (italien), résidant à Milan. Ils ont expliqué comment et pourquoi ils vivent en profondeur le lien entre les engagements de leur vie religieuse et leur passion pour l’art. Leurs propos et leurs réflexions très fouillées, d’une richesse complémentaire, furent empreints de compétence et de modestie. Tous deux, écoutés de façon soutenue et questionnés ensuite, ont ému, intéressé et convaincu. Le premier exposa et illustra l’importance et l’étendue du travail d’éveil et d’apprentissage des sens et des émotions pour savoir extérioriser la beauté avec laquelle on a cheminé dans la création artistique. Qu’il s’agisse de peindre ou de sculpter, au-delà de la beauté esthétique voulue, approchée et jusque touchée à partir de la beauté d’un modèle, sans abuser de sa confiance accordée, il souligna combien, au-delà de la beauté esthétique du modèle ou du thème de l’oeuvre en création, l’étincelle d’une compréhension globale est apportée par Dieu. Toute oeuvre créée rapproche de l’image du créateur et, sur cet itinéraire, on rencontre inévitablement la croix, c’est-à-dire la chair blessée. Le second témoignage prit appui sur les trois points de départ des réflexions du frère Dino Quartana en forme d’appel au Seigneur à propos de ses créations envisagées en sculpture. D’abord : ton amour me fait danser de joie, mais tu vois ma misère et ma détresse, ensuite : La création gémit dans les douleurs de l’enfantement, enfin: souviens-toi pour quel néant tu as créé l’homme… La création, pour ce frère dominicain, naît du choc vécu avec la réalité et de notre désir, accru par la prière, d’une délivrance de notre corps. La création artistique est un cheminement vers l’homme et ses questions fondamentales. En se les posant, on a quelque chance de vivre les réponses de Dieu. La relation de la passion pour l’art et de la vie religieuse, c’est que cette dernière permet de creuser la position de l’homme face au monde, mais dans l’espérance. Il y a là indéniablement une démarche de sublimation, travail constant dans la vie, en tout et partout, en l’occurrence par la vie religieuse et par la passion de l’art. La sublimation est ici le fait de vivre une pulsion créatrice non pas dans un passage à l’acte destructeur, mais dans des signes ouverts et de création. Notre témoin n’a pas nié que la chasteté, par rapport à la vie religieuse, reste un problème dans la création et ses emportements, des pulsions au toucher, le corps étant la présence tangible de l’infini et du mystère de l’être. S’en approcher, c’est être tenté. Donc toute prise de possession du corps par l’acte de création est une tentation vécue par le créateur comme créatrice de tensions à orienter vers l’affirmation de l’autre et non pour soi.

QUAND JEAN-EDERN DEVIENT IMMORTEL

L’irremplaçable Jean-Edern Hallier est revenu parmi nous le 12 janvier dernier pour fêter à Paris, entouré d’un bon et solide groupe de parents, d’amis et d’admirateurs fidèles, réunis par son frère Laurent, le dixième anniversaire de sa mort. Nous nous sommes retrouvés autour de lui avec émotion pour une mémorable messe de requiem célébrée en soirée à la chapelle de Jésus enfant, dans la mouvance de Sainte-Clotilde. On a pu écouter une très belle homélie du célébrant, le père Alain de La Morandais, dont la spiritualité authentique est pimentée par l’originalité et l’aisance du verbe. Qui se ressemble s’assemble. Après avoir exposé et expliqué avec mansuétude les écartèlements de pensée et donc de comportement de Jean-Edern et les avoir confrontés par reflet aux propos de Saint Paul dans sa seconde lettre aux Corinthiens, il a souligné combien la crucifixion que notre ami a vécue était celle à quoi le monde actuel exposait bon nombre d’entre nous et surtout beaucoup de créateurs et d’hommes célèbres ou puissants. Il rappela que, pour les croyants, Dieu ne supplante pas l’homme, mais en parachève l’action : il agit en passant par les forces mêmes de l’homme. Par son désir et même sa misère. Et de conclure en citant une célèbre page de L’évangile du fou, récit romancé que Jean-Edern consacra à la vie du Père Charles de Foucauld. C’est sans doute pourquoi Jean-Edern a pu encore écrire, prophétisant sur luimême jusqu’à la paralysie des yeux : « puissé-je connaître le même destin ; qu’on crache sur ma tombe et quand on n’aura plus assez de salive pour dire tout le mal qu’il fallait penser de moi, qu’on m’oublie ». Eh bien, non, Jean-Edern ! Nous n’avons pas envie de t’oublier. Et tu le savais, tu le savais bien, quand tu écrivais sur toi : « le temps verra mon retour au fourneau et à ma part de paradis : nourrir ceux qui ont faim de justice et vêtir ceux qui ont froid dans la grande indigence intellectuelle moderne ».

L’événement, défi aux immortels qui, de son vivant n’avaient pas voulu de lui, était bien dans la ligne de notre grand écrivain et a donc suscité diverses manifestations médiatiques. Non seulement l’oeuvre de Jean-Edern manifeste la belle endurance dont elle était assurée, mais encore la vie de son auteur continue-t-elle d’enflammer l’imagination des créateurs. Après quelques biographies en recherche de l’introuvable, à l’occasion de cet anniversaire, un excellent film documentaire, Le fou Hallier, réalisé par Frédéric Biamonti a été diffusé sur la chaîne TV France 5. Les Presses de la Renaissance ont de leur côté proposé un livre de Dominique Lacout et Christian Lançon, bien écrit et passionnant de bout en bout, préfacé en quelques pages avec talent par son frère Laurent, La Mise à mort de Jean-Edern Hallier. Ce livre est écrit comme si on disposait de preuves suffisantes pour affirmer comment et pourquoi il fut pourchassé par des pieds nickelés de basse police nourris des écoutes diligentées par le cabinet noir dont se délectait Mitterrand avec le cynisme d’un monarque. Ces turpitudes de hors-la-loi se sont étalées durant le long procès les concernant et il est fort possible que Jean- Edern, officiellement très menacé et parfois protégé, ait été assassiné. Mais on se demande parfois à les lire si les auteurs y croient vraiment et tout à fait. N’est pas Jean-Edern qui veut, mais pourquoi pas? Les faits et les preuves avancées par les auteurs font en effet réfléchir. Souvenonsnous de l’affaire Boulin et de son suicide officiel dont certains témoins, devenus gênants parce que bien informés, disposaient de témoignages et de preuves confirmant l’assassinat du ministre, mais menacés de mort eux-mêmes, ils ne trouvèrent finalement leur salut que dans la fuite, jusqu’en Amérique latine où ils résident encore! Quelques critiques ont également formulé leur appréciation, en général très élogieuse, d’un autre ouvrage inédit offrant un choix des multiples fax lancés tous azimuts aux grands de la terre, de 1992 à 1995, lorsqu’il devint quasiaveugle et fut contraint de dicter ses textes. Ces Fax d’outre-tombe de notre Jean-Edern égal à lui même sont publiés chez Michalon. Si enfin vous voulez retrouver toujours vivant Jean-Edern, nous disposons désormais d’un site officiel le concernant: Jean-edern.com, avec blog, échanges et association d’amis.

MINI-SCANDALE POLITICOMÉDIATIQUE NOURRI D’HYPOCRISIE GÉNÉRALISÉE

Dans leur pullulement au long cours, le dernier de ces scandales fut celui de Dudu suspendu. C’est la formule choisie pour l’annoncer par Ivan Levaï, le 17 février dernier, dans sa talentueuse revue de presse Kiosque tenue le samedi et le dimanche matin vers huit heures trente sur France Inter, précisant que Dudu était le sobriquet attribué par ses confrères et les gens avertis à l’illustre chroniqueur politique Alain Duhamel. Le malheureux a été illico suspendu par les médias auxquels il collabore à la suite de propos tenus en privé et révélés bien malgré lui, tripatouillés et colportés comme on met le feu à une traînée de poudre, de façon que ces propos soient considérés comme inacceptables par l’establishment politico-médiatique en place. Quant au public de ses lecteurs et auditeurs familiers, il savent depuis belle lurette ce qu’il pense, connaissent ses positions centristes et n’ont en rien été surpris par ces pseudo révélations. Quelques semaines plus tôt, Alain Duhamel était intervenu, dans le cadre d’une réunion privée à Sciences Po, au milieu d’une quinzaine d’étudiants. Ses propos informels précisant son affinité avec les positions de Bayrou pour qui il voterait furent enregistrés à son insu, grâce aux NTIC et autres mobiles filmeurs de notre époque qui perd la tête, et balancés à un moment plus tard jugé opportun par les auteurs sur Internet puis sur les ondes. Personne n’en sait officiellement davantage et, dès le départ, les journalistes qui en rendaient compte avec le ton et au rang accordé aux affaires d’État ont tenu des propos confus puis truffés de contradictions. La réaction rapide et musclée de Marielle de Sarnez au QG de François Bayrou a été exemplaire. Elle fut reprise par les gens honnêtes et jusque par François Hollande au PS. En effet, de quel droit un journaliste n’aurait-il pas le droit d’avoir et d’exprimer des opinions politiques ? C’est pour nous la meilleure garantie de savoir qu’il en surveillera d’autant plus son objectivité. A contrario, ceux qui, parce qu’ils dissimulent ou font profession, avec talent, de dissimuler leurs opinions en pratiquant une pseudo objectivité ne sont-ils pas plus dangereux ? Ils prêtent le flanc aux influences ou aux connivences dont le milieu est si friand, et sont donc une meilleure proie à employer pour manipuler l’opinion. On est professionnel ou on ne l’est pas, mais l’hypocrisie qui prospère plus que jamais chez tous nos tartuffes de la politique et des médias, jusque dans les élites, est la bête à abattre. En la matière, le comble a été atteint par la mise à l’écart, programmée pour la période chaude et finale de la campagne de l’élection présidentielle, de deux présentatrices de journaux télévisés jugées coupables (par qui ? des noms !) de relations intimes, horresco referens, avec deux ministres du gouvernement. À quand notre affaire Clinton et des robes de maîtresses adultes et consentantes offertes à la justice du peuple?

À L’ENSEIGNE DU LOUVRE ENSABLÉ ?

Fin janvier dernier, une querelle à juste titre qualifiée de bien française n’a pas manqué de naître et de rebondir, probablement pour longtemps encore, dans le Landerneau culturel de notre pays. Il s’agit de la tempête dans un verre d’eau - et sous quelques crânes culturellement corrects et bien pensants - résultant des projets de création de filiales ou de succursales du centre Pompidou à Shangaï, du musée Rodin à Bahia, et surtout d’un autre musée du Louvre dans les sables pétrolifères financièrement généreux d’Abou Dhabi. On a parlé de «marque» à propos du Louvre, comparé ainsi à celles des constructeurs automobiles et des créateurs de haute couture ou de sousvêtements… Et on a parlé de cet argent qui sent forcément mauvais comme aurait dit Duras, et qui crée une répulsion dans la cervelle des beaux esprits, à une époque où le veau d’or est un culte permanent et dans laquelle l’argent est plus que jamais le nerf de la guerre comme de la paix, même dans l’ordre (ou le désordre) artistique et culturel.

En réalité, de tels projets correspondent tout à fait à ce qui paraît quand même avoir été une de ces excellentes idées dont raffolait le chantre culturel et artistique de De Gaulle, André Malraux. Ce bâtisseur de maisons de la culture, destinées à faire oublier le hideux mot de province, et de musées ouvert aux foules partout où il le pouvait et le pourrait, en France et ailleurs, en aurait fait ses choux gras. Mais l’auteur du Musée imaginaire avait l’esprit aussi large qu’il voyait grand pour la culture en France et dans son rayonnement planétaire, tout comme son maître à gouverner dont il fut le maître à penser culturel. Tous deux partageaient alors l’idée, chez Malraux que la France, selon les mots du Général, ne serait jamais la France sans la grandeur, ici culturelle, et chez De Gaulle que la France est là depuis toujours et qu’elle a été créée pour donner partout rendezvous au monde. Rendez-vous autour de toute grande idée, comme pour faire connaître, en l’exposant partout, toute oeuvre d’art venue de France et apte à faire progresser la sensibilité et l’intelligence de l’humanité, au lieu de la laisser, comme aujourd’hui, s’entretuer par le truchement imbécile d’intégrismes en concurrence.

Au lieu d’organiser à l’échelle de la planète des vols charter et low cost à destination du Louvre, du musée Rodin et du Centre Pompidou à Beaubourg, ne vautil pas mieux décentraliser les expositions sur place, surtout si, en contrepartie, une juste rémunération en vaut la chandelle, au lieu de faire appel aux contribuables qui, à Paris, se feront un peu moins marcher sur les pieds. S’il y a ensablement, espérons que ce sera celui des idées étriquées qui, sur cette querelle aussi artificielle que périmée, se sont, elles, données rendez-vous. Dans les déserts de ces lointains pays de l’Orient des mille et une nuits et sur les routes de la soie conduisant à l’Asie impénétrable de notre enfance, les chiens aboient, mais la caravane passera.

Omerville – 20 février 2007


(1) VERSO N°40 (Janvier 2006), pp 44-47. Dans mon article sur le colloque international d’art sacré de Ronchamp de septembre 2005, Art sacré, du contemporain en recherche d’éternité, j’avais signalé l’ouvrage que le père Antoine Lion a consacré au père Couturier, (évoqué dans cette présente chronique) intitulé Marie-Alain Couturier, un combat pour l’art sacré (actes du colloque de Nice – 3-5 octobre 2004 - Serre éditeur, 7, rue de Roquebillière, 06359 Nice cedex 4). J’y avais aussi rendu compte du remarquable exposé de Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, et son explication lumineuse des mécanismes de la rencontre entre foi religieuse et création, toute création étant faite pour avoir une signification si son auteur est en totale disponibilité à une grâce.

(2) Au couvent dominicain Saint-Jacques de la rue des Tanneries dans le 13e.



Humbert Fusco-Vigné
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