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Chronique de l’an IV (3)
Chronique de l’an IV (3) par Gérard-Georges Lemaire

Salvador Dali revient à la mode. Et on redécouvre son travail d’écrivain, qui est loin d’être indifférent
. Les éditions Sabine Wespieser viennent de rééditer Visages cachés, sans doute son plus beau livre. La parution de Journal d’un génie adolescent (malheureux ce titre est un pastiche pour un texte retrouvé par hasard et qui s’intitulait simplement « Un journal intime 1919-1920 : mes impressions et mes souvenirs intimes ») qui est inédit en français est une révélation : on apprend à connaître le jeune Dali (il a alors quinze ans) encore au lycée qui tient la chronique des affrontements entre l’Armée rouge et l’Armée blanche en Russie, suit de près les événements politiques en Espagne (manifestations, coups de main, échauffourées, lock out, grèves…). Il va au théâtre avec sa mère, raconte son Cadaquès, se réveille le matin en évoquant la situation climatique qui l’émerveille, parle de ses conquêtes (Lola ou Carmen) avec orgueil et pudeur. Bref on est encore loin du Dali du surréalisme et de toutes les extravagances. C’est un ouvrage surprenant, écrit dans un catalan phonétique, mais qui laisse déjà deviner un style – dans tous les sens du terme.
Le petit ouvrage que Jean-Louis Gaillemin a écrit sur Salvador Dalî mérite tous les éloges. Il n’est pas aisé de faire un excellent travail lorsqu’on est corseté par une formule éditoriale aussi prégnante. Il est tout de même parvenu à faire une monographie complète, claire, détaillée, riche de documents et qui n’oublie aucun aspect de cet artiste, qui a excellé dans la peinture, le dessin, mais aussi dans l’art publicitaire, le cinéma et aussi, ce qu’on a souvent ignoré, en littérature. Dali fut un grand homme de lettres, mais on a retenu le roi de l’esbroufe, l’amuseur public, l’inconditionnel à la télévision du chocolat Lanvin. Cet aspect là existait, tout comme son affairisme (ce n’est pas pour rien que Breton avait trouvé cet anagramme : « Avida Dollars » !) qui aboutit au désastre que l’on sait et qui défraye encore la chronique. Au moins avec Gaillemain, on a entre les mains l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur Dali (et, en plus, un beau dossier sur son amitié avec Lorca).
Journal d’un génie adolescent, Salvador Dali, préfacé par F. Fanès, tr. P. Gifreu, « Motifs », Le Serpent à Plumes.
Dali, le grand paranoïaque, Jean-Louis Gaillemain, « Découvertes », Gallimard.


Réédité voici peu, ce Paris capitale des arts est un excellent outil pédagogique. On regrettera seulement que sa forme ne corresponde pas au fond : on aurait préféré un « usuel » plus facile à consulter et moins cher. Mais, malgré tout, c’est un livre utile pour tous ceux qui veulent découvrir cet immense continent qui est né sur quelques morceaux de trottoir et d’infâmes ateliers de Montparnasse et de Montmartre. Et il est encore plus utile pour ceux qui croient encore que New York a détrôné définitivement Paris : car on en est encore là, hélas…
Paris capitale des arts 1900-1968, Hazan.


Le petit essai de Giovanni Joppolo sur l’art italien du siècle dernier a le grand mérite de combler un vide assez inexplicable. Certes, les Français méprisent leurs voisins transalpins et connaissent partiellement (et partialement) leur création, quand ils ne l’ignorent pas tout à fait. Des avant-gardes des années dix (futurisme, métaphysique) jusqu’à la période confuse qui a suivi l’Arte povera et la transavangardia, Joppolo fait une synthèse très claire et malgré tout assez complète de ce que l’Italie a pu produire au cours de décennies qui ont vu se succéder des courants de toutes sortes (aussi figuratifs qu’abstraits entre les deux guerres) que des individualités fortes de l’après guerre comme Burri, Fontana, Capogrossi, Merz, Paladino et bien d’autres encore. J’en suis sûr, ce livre d’initiation permettra aux étudiants et aux amateurs d’art de se familiariser avec ce monde qui reste encore à découvrir.
L’Art italien au vingtième siècle, Giovanni Joppolo, « histoires et idées des Arts », L’Harmattan.


Rarement peintre fut plus méprisé et vilipendé que Bernard Buffet. Cela ne l’a jamais empêché d’être célèbre de par le monde, d’avoir un musée au Japon et de vendre à des prix à donner le vertige. L’album de photographies présenté par Annabel Buffet et commenté par Jean-Claude Lamy engendre une sensation curieuse et troublante : toutes ces photographies - dont beaucoup de scènes d’atelier – s’avèrent touchantes. Et on se redit une fois encore que Buffet n’avait pas si mal commencé que cela et que si… En sorte qu’on ne peut feuilleter ce livre sans la nostalgie de toute une époque et, maintenant qu’on peut plus le décrier, Bernard buffet est entré dans l’histoire, peut-être par la mauvaise porte. Mais on ne l’oubliera pas de sitôt car il a été notre Bouguereau, notre tête de Turc, l’ennemi qu’on ne saurait abattre. Ces Secrets d’atelier ont donc cette saveur amère du temps jadis, d’un Tout-Paris qui n’existait qu’à Saint-Tropez. Temps absurde. Temps béni de nos jeunes années quand tout était noir ou blanc. Comme ses tableaux.
Bernard Buffet, Secrets d’atelier, Annabel Buffet/Jean-Claude Lamy, Flammarion.


Arnulf Rainer est bien connu pour ses visages raturés et maculés. Ses dernières œuvres marquent un tournant dans sa démarche. Il a décidé d’intervenir sur des images religieuses, en particulier des illustrations de la Bible, des œuvres médiévales de la Renaissance et mêmecelles de Chagall sont soumises au même traitement : des surimpressions, des maculages, en somme des actes sacrilèges qui les dénaturent. Que penser de ce genre d’intervention ? Essentiellement le sentiment d’une panne créative. Ce travail laisse un arrière-goût de facilité et d’impuissance. Mais n’a-t-on pas valorisé à tort et à travers le débraillé et le relâché au nom de je ne sais quel renversement des valeurs de l’art ?
Arnulf Rainer, Musée national message biblique Marc Chagall, Nice/RMN.


L’idée est amusante et même intrigante : que faisaient-ils donc ces artistes que l’on prise tant de nos jours quand ils avaient dix-sept ans ? Daniel Buren faisait de la peinture conventionnelle, tout comme d’ailleurs François Bouillon. Arman aime travailler avec des empâtements et Gina Pane sacrifie à la religion de l’abstraction… Beaucoup d’entre eux ont bien sûr abandonné leurs premières amours pour s’inscrire dans l’histoire bien précaire des néologismes infinis de l’art actuel. Souvent à tort. C’est une exposition et un livre qui incitent à la méditation. A dix-sept ans, aucun d’entre eux n’ont été touché par le génie, ce n’est que trop évident. Et bien peu l’ont été par la suite (soit dit en passant). Mais pour certains, le talent était déjà au rendez-vous.
Dix-sept artistes à 17 ans, Musée Arthur Rimbaud, Charleville-Mézières/École nationale des beaux-arts.


Avec Le Très Grand Véda, Claude Mollard a écrit un texte oulipien radical puisque toute la narration repose sur le jeu de mots. En sorte que les aventures qui emportent à un rythme échevelé les personnages qui ont eu l’audace de monter dans ce T.G.V. prennent aussitôt une tournure délirante et un humour bizarre. Les illustrations de Tomi Ungerer ne font que renforcer cette gigantesque et fantastique fresque burlesque avec son prophète inquiétant, sa cohorte de gastéropodes anthropoïdes et ses visions grotesques de la production industrielle de notre temps. L’exposition qui a eu lieu au musée du Montparnasse a permis de découvrir l’univers grinçante et irrévérencieux de ce dessinateur désormais célèbre. Ce livre a de particulier d’avoir été le lieu d’une symbiose étonnante entre l’écrivain et l’artiste : l’un ne fait qu’approfondir le monde délirant de l’autre au cours d’un voyage au bout de l’absurde.
Le Très Grand Véda, Claude Mollard/Tomi Ungerer, Gallimard.


L’aventure artistique de Cy Twombly est une des plus fascinantes de la seconde moitié du siècle précédent. Sa relation singulière avec les formes d’écriture sauvages ou iconoclastes, en particulier le graffiti, instaure dans sa peinture un champ de contradictions qui bouleverse du tout au tout les fondements de la création picturale. Le catalogue de l’exposition de dessins présentée au Centre Georges Pompidou témoigne de la richesse de cette expérience des limites du langage graphique. Jusqu’à la fin des années 80, la recherche inquiète de Cy Twombly repose sur la tension extrême entre une forme de peinture qui se défait et des écritures qui envahissent son espace et l’anamorphosent radicalement. Avec le recul, celle-ci n’a pas pris une ride et demeure déconcertante et la source d’interrogations sur la relation intime et conflictuelle du peintre avec le langage écrit.
Cy Twombly, cinquante années de dessins, Centre Georges Pompidou/Gallimard.

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mis en ligne le 02/17/2004
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