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Chroniques des lettres
Chronique de l’An VII (3)
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La Plus grande baleine morte de Lombardie,
Aldo Nove, tr par M. Véron, Actes Sud.
Aldo Nove n’a certainement pas posé les bases d’un renouvellement conséquent de la littérature italienne. Son roman, paru d’abord chez Einaudi, fait partie de cette étrange tendance consistant à traiter par-dessus la jambe les belles lettres tout en pensant s’y frayer un chemin grâce à cet artifice. Voilà un stratagème vieux comme le monde. Mais voilà, ça ne fonctionne pas. Et cette histoire qui se déroule dans le fin fond de la Lombardie avec pour personnages principaux Enzo Tortora, Toni Negri, la Cicciolina, Superman et la baleine morte ne nous nous fournit pas une description assez profonde et burlesque de l’Italie actuelle. Dans la foulée de la maigre révolte des Cannibales, déjà plus ou moins oubliés, Aldo Nove ne m’a pas charmé. Loin s’en faut.
La Jeune mariée juive,
Luigi Guarnieri, tr. par Marguerite Pozzoli, Actes Sud.


Luigi Guarnieri m’avait profondément intéressé quand il a écrit La Double vie de Vermeer (Actes Sud). Et mieux encore. Cette fois, avec La Jeune mariée juive, c’est la déception qui a remplacé l’enthousiasme. Pourquoi donc ? Simplement parce que le passage continu d’une époque à l’autre (c’est-à-dire de l’époque de Rembrandt à celle où le jeune narrateur – l’auteur en personne, sans aucun doute - passe un certain temps à Paris) ne fonctionne pas vraiment. Ou plutôt : il est difficile de s’intéresser à l’amour de Rebecca Lopez, une petite juive passionnée par l’auteur de la Ronde de nuit, pour cet Italien peu plaisant qui pose à l’écrivain, car tout cela paraît un pur prétexte à la mise en place du récit de la vie du docteur Paradies, ami du grand peintre. A la mort de ce dernier, le docte médecin entreprend de récupérer le portrait inachevé le représentant. Les destins de la famille dont est issue Rebecca, celui de l’ami de Rembrandt et celui de notre auteur en herbe s’entrecroisent. Tout cela n’est pas assez convaincant pour procurer une émotion aussi grande que celle procurée par son livre précédent. J’ai même l’impression dérangeante qu’il aurait été écrit bien avant Vermeer. Mais, tout de même, j’ai savouré quelques moments intenses et une fantaisie dans le récit qui est la marque d’un écrivain digne de ce nom.
En français dans le texte
Le Roman français contemporain,
collectif, culturesfrance


La littérature française ne change peut être pas (fondamentalement), mais la vision qu’on peut en avoir, oui. C’est en tout cas ce que prouve l’ouvrage publié par Culturesfrance (ex-AFAA).
Bien sûr, il y a un essai consacré à nos écrivains connus et reconnus, sous une forme narrative, assez curieuse, parce que chacun est caractérisé par un trait distinctif (Echenoz, c’est la mélancolie, Quignard, la persistance du roman envers et contre tout, Claude-Louis Combet, l’obsession de la sainteté…). Voilà donc un panorama plus ou moins objectif traité de manière purement subjective, qui ne nous apprend pas grand chose en définitive. Quant aux « mutations du roman », le ton employé laisse pantois (« L’année 1960 accouche d’une décennie fleurie et, aux bras de la littérature, la politique semble laisser place à l’idéologie. C’est le joyeux temps de Tel Quel, du structuralisme… »). Ne sauraiton rien imaginer de plus cavalier et de plus kitsch ? Mais c’est un essai plutôt rassurant puisque l’auteur peut affirmer de manière péremptoire : « François Salvaing n’est pas un romancier : il est un enchanteur. » On peut en conclure qu’un romancier, par définition, n’est pas un enchanteur. Soit. D’autres surprises nous attendent, en particulier la partie dédiée au roman populaire – sujet épineux s’il en est. La théorie est au rendez- vous : « Qu’est-ce qu’un “roman populaire” aujourd’hui en France ? Un livre qui parle des classes populaires. Non ». Nous voilà rassurés… Pauvre France !
Autres seins,
Jean Guerreschi, Gallimard


Quelle terrible déception ! Ces Autres seins de Jean Guerreschi ne tiennent pas une seconde la comparaison avec l’ouvrage superbe de Ramón Gómez de la Serna qui, lui ; s’intitule Seins. On ne peut même pas parler de pastiche. Ce sont des digressions égrenées sous forme de nouvelles, dans un style morne avec beaucoup de concessions aux tics de l’époque actuelle (c’est un travers parfaitement détestable de l’auteur). Quand on songe ne serait-ce qu’un instant, aux blasons du corps féminin, on en vient à se convaincre que la littérature française du temps présent file un mauvais coton – en tout cas une certaine littérature. Je me rends compte, en lisant la bibliographie de l’auteur qu’il avait commis un assez mauvais essai sur Kafka chez Marval en 1990 (en tout cas, pas aussi mauvais que les clichés qui l’accompagnaient, mal imprimés de surcroît !) En somme, tout s’explique. N’ayant rien lu d’autre de lui, je ne peux donc rien ajouter. Sa Montée en première ligne (Gallimard, 1988) avait connu un grand succès. Sans doute faudrait-il plutôt se replier sur cette ligne-là !
Reverdy, Jean-Baptiste
Para, culturesfrance


Jean-Baptise Para a composé une intéressante monographie consacrée à l’oeuvre de Pierre Reverdy. Il brosse un portrait – plus un portrait littéraire que strictement biographique – de cet homme venu de Carcassonne et qui arrive à Paris à l’automne 1910. Sa première déception passée, il entre en relation avec les hommes de lettres et les artistes de Montmartre. Il se lie entre autres avec Max Jacob, avec lequel il se brouille en 1915 : le poète l’accuse de plagiat. Reverdy va encore se brouiller avec les surréalistes et avec Vincente Huidobro, avec qui il a fondé le Créationnisme (au passage, je note que Para a fait lui aussi l’impasse sur ce grand écrivain chilien). Mais son étude sur l‘oeuvre de Reverdy est aussi passionnante que pertinente, faisant de cet ouvrage un excellent moyen de le découvrir.
Pays de René Char,
Marie-Claude Char, Flammarion

René Char,
Eric Marty, «monographie/Points»

René Char,
Laurent Greilsamer & Paul Veyne, culturesfrance.

René Char,
Collectif, BNF/Gallimard.


Je n’ai pas besoin d’insister sur la question : René Char est devenu l’objet d’un véritable culte en France, d’un culte quasiment mystique. On ne critique pas Char, on le vénère. L’album de Marie-Claude Char se place dans cette optique en une période de célébration. Char calligraphiait ses manuscrits en pensant qu’un jour qu’ils seront placés sous vitrine à la Bibliothèque nationale. Voilà qui est fait. En tout cas, ce livre rassemble un grand nombre de documents : des fac-similés des manuscrits, de dessins, des photographies (cela va de la Résistance aux portraits d’amis – de Pasternak à Eluard, de Scutenaire à Breton), de portraits signés par Valentine Hugo, Victor Brauner ou Man Ray et aussi des photos de famille. Voilà de quoi alimenter cette nouvelle religion monomaniaque qui veut que la poésie soit pure, nouvelle, désincarnée et sublimissime. Eric Marty, dans la foulée de ces commémorations sans fin, a publié une monographie qui mérite l’attention. Sans doute s’est-il lui aussi laissé piéger par la « ligne hermétique » et l’idée de nuit dans les poèmes du grand homme (il a recours aussi bien aux mystiques chrétiens et puis à Heidegger pour faire bonne mesure). Mais il n’en reste pas moins que c’est une excellente étude, qui explore cet univers dans tous ses recoins. Mais attention : pour les âmes convaincues d’avance exclusivement. Parmi les innombrables exercices d’admiration qui entourent la célébration du poète, il faut relever celui de Laurent Greilsamer et de Paul Veyne. Rien ne nous est épargné : le Poête qui rêve en marchant et qui marche en rêvant l’obsession de l’écriture, et j’en passe. On peut lire cette perle : « Char avait vite compris la nature du nazisme parce qu’il était de ceux qui ont un idéal plus poétique, religieux ou éthique, que strictement politique ». Evidemment, s’il avait eu l’âme politique, alors… Enfin, le lecteur se consolera en consultant l’excellent catalogue de la Bibliothèque Nationale, bien conçu et bien documenté.

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mis en ligne le 30/07/2007
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