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Chroniques des lettres
Chronique de l’An VIII (4)
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Jean Luc Parent,
Collectif, Actes Sud.
La messe est dite : Jean de Loisy cite Héraclite pour nous rappeler la particularité de Jean-Luc Parant (comme si on avait besoin qu’il le fasse – l’intéressé se débrouille très bien tout seul) : « Car, sur la circonférence, le commencement et la fin sont communs ». Certes. L’artiste s’est engouffré dans un filon rentable : la propension insupportable de l’art de ces derniers temps à l’itération (le sous-titre de l’ouvrage est éloquent : « de l’infime à l’infini, et retour »). Parent a choisi de boucler la bouche en manufacturant des boules, des boules sans fin, aussi absurdes que les roulements à bille des usines de l’ère soviétique. Ses premiers travaux avaient leur intérêt, mais trente ans plus tard, il nous fait perdre la boule (pardonnez-moi, mais devant ce radotage, on ne peut s’empêcher de se prémunir d’une certaine angoisse par l’humour, même le plus pauvre). Parant n’est pas dépourvu de talent. Il a pu écrire des livres qui ont leur dignité (la plupart chez Christian Bourgois) et il a même su recycler les invendus en les incrustant dans ses boules, comme si elles les dévoraient.Ce qui est insupportable, c’est que l’artiste joue le naïf, le « brut », le péquenot, l’ignare. C’est un comédien incomparable, je le reconnais. Il a su rouler dans la farine son petit monde, qu’il doit mépriser hautement. Il reconnaît même avoir exécuté des faux, de Beuys en particulier. Tout est bon à ses yeux pour remplir ses bourses. Qu’il continue à rouler sa boule comme le scarabée. Le bousier passe et nous, nous ferons mine de rien. L’intelligentsia bon chic bon genre a volé à son secours. Mais je ne suis pas certain que cette industrie parallèle à celle des boules fut un acte de pure provocation. La manufacture très soviétique d’inspiration qu’il a fondée depuis quelques décennies est devenue un holding pour berner le nigaud. De là a lui faire avaler des couleuvres et de lui faire prendre la proie pour l’ombre…
Champion-Métadier,
Catherine Millet, Gallimard.


Gilbert Perlein met à juste titre l’accent sur le biomorphisme dans l’oeuvre récente de Champion- Métadier.C’est un peu en contradiction avec ce qu’il énonce ensuite sur le caractère désincarné de ce travail. C’est encore plus en contradiction avec ce qu’avance Catherine Millet (bien sûr elle aussi elle nous sort les violons accompagnant le déroulement du tapis rouge de l’histoire de l’art contemporain, vue depuis la côte Est des Etats- Unis – Pollock, minimalisme – comme un chant liturgique). Elle, évoque surtout les « réjouissances chromatiques » et y décèle un espace paradoxal (planéité et corporéité se conjuguant ici). La comparaison avec Michel-Ange me paraît mal venue. Mais c’est la conclusion qui nous intéresse le plus car, ne nous y trompons pas, ce peintre est une femme donc : un couplet sur les pulsions du sexe faible péché dans un livre d’Anne Decerf : « la pulsion vaginale reste enfouie dans les profondeurs du féminin, comme bruissement sans objet, sans forme, sans figure ». Eh bien, nous voilà prévenus. Par chance, les Timetrackers de Champion-Métadier en disent plus sur la peinture dans son abstraction conflictuelle (aporétique) que sur les humeurs de la gent féminine.
Franco Passalacqua,
oeuvres de 1998 à 2007,
Skira.


Le nom de Franco Passalacqua ne dira pas grand-chose aux amateurs d’art français, et c’est bien dommage. Il a pourtant apporté une conception du paysage radicalement nouvelle. Il a choisi de peindre des forêts comme s’il les voyait du haut d’un avion. Avec la distance, la forêt n’est plus qu’un nombre incommensurable de cimes feuillues d’une grande densité. Au point de produire un monochrome vert. Seule la lumière introduit un mouvement et une imperceptible diversité dans ces étendues quasiment uniformes, suggérant l’influence du rayonnement solaire, bien sûr, mais aussi l’idée du souffle du vent dans les branchages. Une double vision s’instaure : d’une part, le triomphe de la couleur verte, en soi et pour soi (et pourtant vaguement déjouée), de l’autre, celle d’une nature qui se déploie à l’infini. Le système obsessionnel et itératif qu’il emploie n’exclue pas la poésie. Plus encore, il lui attribue une puissance inattendue. L’humour n’est jamais loin non plus : dans ses compositions récentes, il construit des labyrinthes de verdure avec des formes d’habitations. On ne sait trop s’il fait une allusion ironique à Magritte ou s’il engendre une métaphore critique de la présence humaine. Quoi qu’il en soit, c’est toujours la peinture qui l’emporte sur un éventuel discours.
L’Amour de l’art,
musée des Beaux-arts, Agen.


Jean-Louis Pradel a présenté au musée des Beaux-arts d’Agen une sélection personnelle des collectionneurs privés du sud-ouest de notre beau pays. On aurait pu s’en douter : le critique aura privilégié les artistes de la figuration narrative. Mais, en fin de compte, il a considérablement élargi cette notion puisqu’il a présenté des tableaux de Pincemin et de Yan Ping- Mei, qui n’ont rien à voir avec cette histoire. En tout cas, ce que démontre cette manifestation, c’est qu’il existe encore des collectionneurs en France qui, contre vents et marées, continuent à élire des peintres vivant en France (une grande partie, comme toujours, sont étrangers ou d’origine étrangère), non par esprit nationaliste, mais par conviction que l’hexagone demeure un territoire d’élection de la création picturale.
Métis,
Vincent Barré,
Hôtel des Arts, Toulon. Catalogue: 18 euros.


Vincent Barré fait partie de ces artistes qui tentent de trouver une issue à la sculpture. La question est complexe puisqu’une fois aboli le rapport établi depuis l’Antiquité entre l’oeuvre, l’architecture, la circulation du regard dans l’espace et le déplacement physique du spectateur dans l’espace, la spécificité de cet art est devenu hautement problématique. Barré, comme d’autres (je pense à Tony Grant, à Bernard Pagès, pour ne parler que des Français), cherche des solutions par rapport à la notion de volume dans l’espace, un volume qui peut assumer plusieurs identités simultanément. Ses objets semblent souvent de grands fruits tombés d’un jardin d’Eden postmoderne. Ses créations « monumentales » sont (en général) moins convaincantes parce qu’elles ne sont pas la résultante d’une pensée sur l’espace ouvert du monde. La plupart des sculpteurs d’aujourd’hui s’égarent comme lui car ils font un travail d’intérieur. En somme, la critique s’adresse plus à une génération qu’à une personne : Vincent Barré fait une recherche qui est digne de retenir notre intérêt – et parfois plus.
Céramique contemporaine, Un autre regard,
Musées de Châteauroux, Editions du Garde-Temps.


La Biennale organisée par le musée de Châteauroux en est à sa quatorzième édition. C’est devenu un événement qui « fait référence » pour employer le langage de notre temps. Installée dans l’ancienne église des Cordeliers (une splendeur architecturale), elle permet de découvrir des créations récentes dans ce domaine bien spécifique réalisées par des artistes et des architectes (ou designers) connus, comme Alechinsky, Jézéquel, Sottsass, Jan Voss, Eric Dietman, Vincent Barré, pour ne citer qu’eux. Parmi les choses les plus intéressantes, je citerai Claude Bouchard, pour sa simplicité, sa subtilité et son efficacité plastique, et Skall, pour son extravagance baroque (c’est un jeu sur l’idée des chinoiseries). Les Suédois sont un peu décevants. Mais sans doute sont-ils trop muselés par une tradition de la céramique très ancré dans leur pays. Si vous avez manqué cet événement préparé par Michèle Naturel, vous pouvez toujours en retrouver la trace dans un beau catalogue mis en page avec beaucoup de classe.
Les formes et les couleurs,
Centre d’art contemporain Bouvet-Ladubay, Saumur. Catalogue


La couleur a-t-elle pu être un thème ? La monochromie a-t-elle pu être une fin en soi ? La belle exposition présentée au Centre d’art contemporain Bouvet- Ladubay pose ces questions sans y apporter de réponses, laissant le soin aux visiteurs de juger sur pièces. Les monochromes rouges sur fond blanc de Kees Visser ont des connivences avec l’oeuvre d’Aurélie Nemours et toutes nous renvoient à l’âge du suprématisme. Nicolas Chardon, avec ses rectangles et parallélépipèdes noirs sur fond blanc nous ramène lui aussi à Malévitch. Tout cela est très scolastique ! Mais Sam Francis, Claude Viallat, Benoît Lemercier, par exemple, nous entraînent vers de toutes autres directions. Cette exposition fait un bilan, partiel, partial, d’une certaine abstraction. Elle a le mérite de montrer à quel point nous en sommes dans ce domaine.


Michel de Montaigne en sa librairie
Les Essais,
édition établie par J. Basalmo, M. Magnien & C. Magnien-Simonin, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.

Les Essais de Montaigne,
Alexandre Tarrête, Foliothèque, Gallimard

Album Montaigne,
Jean Lacouture, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard


Comme le souligne très justement A. Tarrête, les Essais de Montaigne ne sont pas des mémoires et encore moins un journal, comme nous l’entendons. Ce ne sont pas non plus une somme à caractère encyclopédique. Ce livre ne ressemble à rien de ce qui l’a précédé (même s’il doit beaucoup aux auteurs de l’Antiquité qui l’ont nourri), pas plus qu’il ne ressemble à quoi que ce soit qui a suivi. Montaigne est d’ailleurs conscient d’avoir entrepris quelque chose d’unique. N’écrit-il pas : « C’est le seul livre au monde de son espèce, d’un dessein farouche et extravagant » ? Il précise qu’un tel ouvrage repose sur une forme d’introspection ou plutôt de dialogue avec soi : « Je me suis présenté à moi-même, pour argument et pour sujet ». Toutefois, tel qu’il formule les choses, il aurait fait son autoportrait à travers différents domaines de la connaissance et de l’expérience. Mais il ne fait rien de manière systématique. Il aborde de grandes questions en en laissant des multitudes d’autres dans l’ombre. Sa démarche est purement idiosyncrasique. Il traite du pédantisme et de la cruauté, de la vanité et de la présomption. Aurait-il eu en vue la conception d’un grand traité de morale ? Si cela avait été le cas, il serait resté inachevé. Il aborde des points qui lui tiennent le plus à coeur comme, par exemple, les livres. Plus que des livres, il parle de leur usage, des auteurs qu’il y fréquente et de ce qu’ils lui ont apporté. Enfin, il se plaît à commenter Virgile, montrant ainsi sa méthode de travail et sa manière de penser. Pour mieux comprendre Montaigne et son temps, il faut alors s’en remettre à l’excellent album commenté par Jean Lacouture. Ce dernier montre comment Montaigne a organisé sa « librairie » pour y réfléchir et y écrire : sa table de travail faisait face à ses petites bibliothèques contenant pas moins de mille volumes. Mon rêve, disait-il : « une maison qui parle ». C’est dans cette pièce d’élection de la tour du château dont il a fait graver de sentences tirées de L’Ecclésiaste, des pyrrhoniens ou des auteurs sceptiques sur les poutres et les solives qu’il nous a légué en héritage un livre qui ne s’épuise jamais au fil du temps de sa lecture.

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mis en ligne le 03/11/2007
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