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Chroniques des lettres
Chronique de l’an IX
Chronique de l'an IX
par Gérard-Georges Lemaire

Poèmes et proses,
Gerard Manley Hopkins,
traduit et présenté par Pierre Leyris, Points

Magnifique et enrichissante édition que celle des écrits de Gerard Manley Hopkins. Des lettres, des essais illustrent et éclairent la démarche complexe du poète, permettant de comprendre, par exemple, son rapport à la nature ou à la religion. On découvre dans ses vers une démesure, une folie même, et une grande beauté lyrique. Il privilégie les images fortes, violentes et baroques. Dans «Le Naufrage du Deutchland», on peut lire : « Et la mer éclat-de-silex, dos-noir dans le grande /tourmente / Le vent soufflant de l’estnord- est, ce rhumb maudit…» La traduction de Pierre Leyris est parfois ampoulée et a le défaut d’accentuer les envolées excessives du poète. Mais l’édition étant bilingue, elle nous donne toutes les raisons du monde de renouer avec Hopkins.

Lieux-dit L’Eternité, traduit et présenté par Patrick Reumaux, Points.


La Dame blanche, Christian Bobin,
“L’un et l’autre”, Gallimard



Comment ne pas être surpris par la traduction des poésies d’Emile Dickinson commises par Patrick Reumaux et surtout par son emploi systématique des tirets ? Cela donne sans nul doute un rythme moderne et même attribue une force et une intensité au texte français. Mais on est très loin de l’esprit de l’original, qui repose sur la tension entre un vers court et l’emploi bien tempéré des rejets. Et comment ne pas être un peu déconcerté par la biographie que Christian Bobin lui a consacrée ? Une figure aussi illustre peut certainement devenir un personnage de fiction. Mais à force de fantasmer sur sa réclusion volontaire, sa famille, son univers poétique, ses amours soigneusement ensevelies dans son coeur, on risque de perdre la vérité du sujet. L’auteur se paie souvent de mots et joue avec des images forcées qui prennent un tour toujours plus superlatif.

L’Etreinte, Martin Gülch, tr. Nicole Taubes, Flammarion



Le récit repose sur une idée simple et sur un héros en apparence simple : assistant d’un médecin légiste, Dolf vit dans un univers confiné où il peut se livrer sans retenue à sa fantaisie. Rien de grave, puisque son seul confident est Walter. Un beau jour, une jeune femme vient reconnaître le corps de son fiancé qui vient de mourir dans un accident. Il tombe follement amoureux d’elle. Du jour au lendemain, sa vie simple devient très compliquée. Il fait tout pour attirer son attention, mais Nathalie ne lui répond pas ou est partie. Dolf perd son travail, se met à errer, lui prépare des cadeaux, imagine leur bonheur sans nuages. Il la retrouve et la tue. Est-ce dans ses rêves ou dans la réalité. Difficile de trancher. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui importe ici, mais le cheminement poétique de ce personnage anarchique.

En français dans le texte

Chroniques littéraires du Journal des débats, Maurice Blanchot,
« Les Cahiers de la NRF», Gallimard



Dans l’imposant recueil publié par les Cahiers de la NRF, on apprend que Maurice Blanchot a écrit pas moins de 173 articles entre 1941 et 1944 dans le Journal des débats. Pendant la guerre, l’auteur de Thomas l’obscur a été un lecteur infatigable. Ses chroniques littéraires sont aussi copieuses que variées. Tout l’intéresse : Descartes, Montesquieu, Huysmans, Maupassant, Hoffmann, Tocqueville, Balzac, D’Holbach, Blake, mais aussi des contemporains, comme Sartre, Beauvoir, Michaux, Eluard, Aragon, Valéry, Morand, Fargue. Plusieurs traits sont remarquables. Il n’hésite pas à parler de certains auteurs dont Bergson, mort en 1941 et il ne dédaigne pas de commenter Freud. Deux de ses premiers articles sont vraiment passionnants (« Chroniques de la vie intellectuelle » et « Le Silence des écrivains ») où, entre autres choses, il en appelle aux intellectuels pour qu’ils ne gardent pas le silence.

Le Paon du jour, Patricia Reznikov, Editions du Rocher



Un homme s’installe dans un chalet de haute montagne et s’isole du monde. Il est supposé venir chasser des papillons et l’un d’eux surtout : le paon du jour. On comprend vite que c’est un prétexte. Sa logeuse ne tarde pas à nourrir de tendres sentiments à son égard. Mais il fait mine de rien et mène une vie réglée par trois lieux : l’auberge, le café en bas et la laiterie en haut. Au café, il connaît une jeune fille qu’il surnomme Souci et qui s’appelle Eline Tanner. Son père s’est isolé dans la laiterie. Notre héros entretient bientôt des relations distantes mais profondes avec tous ces personnages quand il ne musarde pas dans les chemins de montagne. L’aubergiste lui raconte la disparition d’Eline pendant deux ans, sa rupture avec Charles Tanner avec laquelle elle était mariée, l’arrivée d’une belle Italienne qui est la mère de l’enfant disparue. De cette affaire intriquée et sombre, l’homme semble s’abstraire et emporte Souci avec lui…

Règlement, Jean-Pierre Maurel, Motifs



Quelle relation peut-il exister entre Chartres et Vienne ? En réalité, aucune. Le seul lien qui se présente dans cette fiction est celle que l’auteur est né au Tyrol et vit dans la capitale de la Beauce. Pour Jean-Pierre Maurel, l’Autriche est l’expression consommée du kitsch. Sa détestation de ce pays n’a d’égal que celle de Robert Musil, qui le rebaptise Kakanie. En fait de roman, ce livre est d’abord un voyage idiosyncrasique dans la grande littérature autrichienne, celle de Schnitzler comme celle de Thomas Bernhardt. Hofmannsthal et Musil lui servent de guide au cours de ce périple passionnant. L’auteur y débusque avec délectation les travers d’une culture germanique saturée d’ambiguïtés et de contradictions. La mauvaise foi n’est pas exempte de ce réquisitoire, quand, par exemple, il énumère les écrivains allemands qui n’ont pas tenu à y demeurer, ou quand il fait de Mozart un Autrichien. Mais peu importe. On se prend volontiers à ce jeu pamphlétaire qui est le fait de quelqu’un qui est fasciné par ce petit Etat ridicule qui a le noyau d’un grand empire intellectuel et artistique.

Le Boulevard périphérique, Henry Bauchau, Actes Sud



Le narrateur du beau roman d’Henry Bauchau est en proie aux douleurs de la réminiscence. Le présent lui inflige la douleur d’assister au tête-à-tête avec la mort de sa belle-soeur, Paule, qui est frappée d’un cancer, avec tout que cela implique d’espoirs déçus et d’attentes sans cesse trompées. Le passé ne cesse de ramener à la surface de sa conscience son meilleur ami, Stéphane. Ce dernier est retrouvé mort dans une mare à la fin de la guerre. Ce garçon courageux qui avait été un as de la varappe avant de se dévouer à la cause de la Résistance a fini dans des circonstances inexpliquées. Et qui le resteront à jamais. Cela hante l’esprit du narrateur qui parvient, à force de patience, à reconstituer son parcours. La rencontre du colonel Shadow, incarcéré en Belgique, lui dévoile quelles furent les dernières semaines du jeune homme. Au cours de son enquête, il reconstitue avec une force et un art incontestables des événements survenus pendant l’Occupation de son pays. Sans jamais tomber dans le travers du pathos, il est capable de représenter de manière convaincante le poids de la souffrance et comment il peut modifier profondément le destin d’un homme.

Homme sans mémoire, Serge Delaive, La Différence



Et si un récit se construisait à partie d’une grave perte de mémoire ? C’est ce qu’a tenté de faire Serge Delaive dans un roman qui est en réalité la reprise de son premier texte écrit en deux semaines et publié en 2000 (Le Temps du rêve). Les figures (humaines et animales) qui y font leur apparition appartiennent-elles à l’imaginaire du narrateur ou sont-elles issues d’un monde révolu ? L’expérience des origines de notre monde et celle des premières années de la vie s’enchevêtrent étroitement dans ce récit étrange qui nous laisse sans cesse dans l’expectative.

Civil, Daniel Foucard, «Laureli», Léo Scheer



L’idée qui a présidé à la production de Civil est très amusante. Un homme parvient à se faire passer pour un instructeur de la police. Il enseigne aux élèves une certaine manière d’appliquer la loi à la fois assez réaliste et respectueuse des droits individuels. Il finit par être démasqué, mais seulement à la fin du stage au centre de formation. A travers son enseignement, c’est tout le système qui est décortiqué avec esprit. Daniel Foucard, pour rendre l’affaire encore plus saisissante, utilise un style froid et tranchant. Non sans efficacité.

La poésie actuelle est toujours très vivante en France. En témoignent de nombreuses publications, dont le livre de Jacques Izoard (Lieux épars, La Différence) qui est passé maître dans l’art de l’ellipse. Il cultive une manière savante d’user de métaphores intriquées, sous-tendues par un langage épuré. Ses poèmes procèdent par strophes qui, chacune, condense des moments d’intensité conceptuelles et sentimentales. Même s’il se laisse aller à un certain formalisme, Lieux épars demeure l’expression forte d’une pensée vibrante. Quant aux poèmes de Fabienne Courtade, ils sont construits comme des narrations avec un sens certain de la scansion. On peut aussi les regarder comme autant de fragments d’un journal qui ne relate pas les faits et gestes de l’auteur, mais les pensées qui se formulent dans son esprit. Table de boucher (La Différence) est le récit d’une relation au monde qui se joue entre les sens et les abstractions mentales. Quand on lit Le Sens de la visite de Karel Logest (La Différence), on découvre la transposition passionnée d’une conscience déchirée et de fantasmes débridés. C’est un ouvrage qui n’est hélas pas toujours à la hauteur de ses ambitions avec beaucoup de lieux communs. Enfin, il y a un rien d’emphase et rhétorique forcée dans Diagonale Doce de Thibaud Binard (La Différence) : ces pages souffrent de la maladie infantile de la poésie et de ses images forcées. On n’y décèle pas moins des passages d’un certain relief soutenus par un style qui en impose.

Bourlinguer

Roger Parry, préface d’Olivier Todd, textes de Mouna Mekouar & Christophe Berthaud, Gallimard/ Jeu de Paume



Loger Parry a été un créateur protéiforme. C’était bien dans l’esprit de son temps (il a été au sommet de son art pendant l’entre-deux-guerres). Photographe, il réalise de beaux portraits, comme celui de Danielle Darrieux (1936), où il emploie diverses techniques, dont la solarisation, mais aussi l’utilisation du négatif (ce qui fait de lui l’un des pionniers de la photographie en noir). L’essentiel de son travail créatif consiste en photomontages passablement influencés par le surréalisme. Mais ses plus belles réalisations sont sans nul doute celles où il a recours à des procédés dérivés de la recherche formelle de l’Europe centrale (celle de Moholy Nagy ou de Josef Sudek par exemple).Si ses natures mortes sont les plus belles de toutes ses oeuvres, il n’en reste pas moins que ses photographies prises aux quatre coins du monde (et à Paris) sont remarquables. Il applique ses spéculations formelles dans les projets d’affiches réalisés surtout pour les éditions Gallimard, où il a une relation particulière avec André Malraux. Le caricaturiste ne mérite pas de passer à la postérité. Disons qu’il est l’agréable double du Parry photographe.

Sur les pas des cavaliers, textes de Joseph Kessel, photographies d’Alain Buu, préface d’Alain Velter, “Lieux et écrivains”, Gallimard



Alain Buu nous faire voyager dans les paysages impressionnants de l’Afghanistan. Son idée à été de rechercher les émotions que Joseph Kessel avait pu éprouver quand il a entrepris le même voyage bien des décennies avant lui. Ce qu’il y a d’extraordinaire dans cet album, c’est que le monde dépeint par l’écrivain est demeuré aussi pur et sauvage. Les clichés sont superbes et chacun d’entre eux peut faire office de machine à rêver. Il faut dire que le reporter utilise une technique qui accentue ce sentiment d’être projeté dans un passé relativement lointain et presque irréel.

Amours, guerres et sexualité, sous la direction de François Rouquet, Fabrice Virgili, Danièle Voldman, Gallimard/musée de l’Armée



Le catalogue de l’exposition présentée au musée de l’Armée des Invalides reflète et même accentue le malaise ressenti devant le titre retenu par les commissaires : Amours, guerres et sexualité. Ce titre est accrocheur et, simultanément, fait songer à un mémoire de maîtrise. Drôle de chose. Ce qui est regrettable, sans doute pour donner consistance à ce damné titre, c’est que le nombre de documents accompagnés de commentaires hors sujet est trop nombreux pour qu’on puisse en faire abstraction. Par exemple, deux résistants s’embrassent lors de la Libération : on les taxe d’homosexualité. Ce genre d’extrapolation est parfaitement oiseux. Et puis il y a un mélange des genres qui n’est pas toujours heureux. Quoi qu’il en soit, ce livre demeure un riche réservoir iconographique en même temps qu’une invitation à la méditation sur les relations de l’éros et de la guerre.


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mis en ligne le 06/06/2008
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