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Chroniques des lettres
Chronique de l’an IX (3)
Chronique de l'an IX
par Gérard-Georges Lemaire

Le Tournant,
histoire d’une vie,
Klaus Mann,
préface de Jean-Michel Palmier, tr Nicole Roche et Henri Roche, Babel

Le Tournant de Klaus Mann est un ouvrage exceptionnel. C’est un vademecum unique pour comprendre les années qui ont précédé la Seconde guerre mondiale. Courageux et même téméraire, Klaus Mann se révèle un opposant de la première heure au nazisme. Avec sa soeur Erika, il compose des pièces de théâtre de caractère politique dans le pur esprit des cabarets allemands de l’époque. S’il doit s’exiler, il continue son combat dans toute l’Europe. Il crée une revue antifasciste et l’un des principaux organisateurs du Congrès international pour la défense de la culture. On le retrouve ensuite en Espagne dans le camp républicain. Et c’est sous l’uniforme américain qu’il contribue à la chute du IIIe Reich. En outre, sa personnalité est riche en paradoxes : homosexuel, toujours hanté par la présence de sa soeur avec laquelle il entretient des relations troubles, il se drogue et mène une vie de dandy reposant par essence sur les apparences. Sa vie n’a peut-être été que le désir de se mesurer à ce pater familias écrasant, autoritaire, mais aussi montrant de nombreuses faiblesses et faisant preuve d’un aveuglement politique stupéfiant. C’est donc une existence menée tambour battant, avec passion, mais aussi avec désespoir. Et, étant à peine entré dans la quarantaine, il se suicide à Cannes en 1949. La paix n’était pas faite pour lui. Le Tournant est un ouvrage qui devrait prendre place dans la bibliothèque de tous les honnêtes hommes.

Dossier K.,
Imre Kertèsz, tr N. Zaremba-Huzsvai & C. Zaremba, Actes Sud



Les entretiens d’Imre Kertész avec son ami (et éditeur !) Zoltàn Hafner sont franchement déconcertants. L’expression est même faible. Sans doute est-ce parce que l’essentiel de son oeuvre (qui ne commence à voir le jour qu’à partir de 1961) traite de son expérience dans les camps de concentration et dans les camps de la mort. Kertesz s’est appuyé sur ces mois d’horreurs pour tenter de recoudre une autobiographie et pour tenter de relater, de manière métaphorique, le mécanisme de ces charmants séjours germaniques. Et, par-dessus tout ça, il y a l’affaire du communisme, qui a introduit d’autres effrois et d’autres absurdités. L’auteur d’Etre sans destin ne cesse de vouloir esquiver les questions de son interlocuteur, d’entraîner le lecteur dans des circonvolutions alambiquées, dans l’espoir de faire comprendre que la réalité qui a fait de lui l’écrivain qu’il est devenu est moins puissante que l’imaginaire qui l’en a sauvé (c’est d’ailleurs le sujet de ce grand roman, qui a des affinités avec La vita è bella de Begnini). Ses propos sont aussi exaspérants qu’éclairants. Mais on est frappé, du début jusqu’à la fin par sa terrible malice, qui n’épargne rien et qui n’a que faire des bons sentiments.

Junky,
William S. Burroughs, préface d’Allen Ginsberg, tr C. Cullaz & R. Major, édition revue par Ph. Mikriammos, Folio



Philippe Mikriammos vient de publier une nouvelle édition revue et surtout augmentée de Junky de William S. Burroughs. C’est une excellente nouvelle. Ce fut le premier ouvrage publié de l’auteur du Festin nu. Il y brossait le portrait de son double en littérature William Lee. Si ce récit possède un caractère autobiographique indéniable, c’est aussi la description froide et méthodique de la dépendance à la drogue et de ses conséquences. Publié à l’origine dans un complet malentendu, il connut des ventes remarquables ! Aujourd’hui, on y trouve la matrice des grands thèmes de l’univers de Burroughs dont le principal axiome est l’algèbre du besoin. En 1976, Ginsberg a écrit une préface où il raconte l’histoire pour le moins étonnante de cette oeuvre.

Pas ici, pas maintenant, Erri De Luca, tr Danièle Valin, Folio



Relire Pas ici, pas maintenant d’Erri De Luca (je l’ai lu lors ce sa sortie en Italie en 89) m’a amené à apprécier différemment sa littérature. J’ai trouvé Pas ici, pas maintenant, Erri De Luca, tr Danièle Valin, Folio. dans ce retour sur l’enfance une intensité rare et même d’une violence inouïe. Rien ne semble d’abord transpirer de cette dureté dans le récit. Mais peu à peu on éprouve jusqu’au fond de soi des sentiments douloureux et contrastés, des élans brisés, des amours tus. Dépeindre ses parents comme des fantômes a quelque chose d’inquiétant, mais aussi de révélateur. C’est un récit superbe dans son dépouillement et sa bizarrerie.


En français dans le texte

Céline à Bezons,
1940-1944, David Alliot & Daniel Renard, Editions du Rocher



Quand la sortie de l’étude de David Alliot et de Daniel Renard sur Céline à Bézons fut annoncée, on aurait pu espérer des révélations ou, peut-être, une vision rénovée de l’auteur du Voyage au bout de la nuit. La déception est grande parce qu’on n’apprend rien de fondamental dans ces pages. Cela étant dit, l’enquête menée par les deux auteurs n’est pas dépourvue d’intérêt. Nous découvrons le médecin Destouches pendant l’Occupation travaillant dans un dispensaire, vivant dans une petite ville triste de la banlieue parisienne. Ils nous livrent un portrait contrasté, qui nous révèle un homme sans beaucoup de grandeur, mais qui n’est pas pour autant un sale « collabo » comme on a trop tendance à l’affirmer. Les témoignages de l’époque le font apparaître tel qu’en lui-même, avec ses petitesses et avec de beaux gestes. Il n’en reste pas moins vrai que Céline n’a été sublime que dans son écriture et que pour le reste, il n’a été que trop humain, c’est à dire avec beaucoup de faiblesses et bien des médiocrités.

Suite suisse,
Hélène Bessette, « Laureli », Léo Scheer



Hélène Bessette est un auteur déconcertant. Laure Limongi nous fait redécouvrir cet auteur tombé dans les oubliettes (je ferais mieux de dire : découvrir) et je lui en suis reconnaissant. J’ai lu Suite suisse avec une véritable délectation. Ce n’est pas tant sa manière étrange de composer son texte en abolissant les paragraphes et en choisissant de concentrer chaque moment du récit sur une ligne (ou deux au maximum), mais plutôt en provoquant une accélération vertigineuse de la narration. Elle a inventé un Nouveau Roman à sa manière. Elle produit une fiction qui possède à la fois une forte charge émotive, parfois poétique, parfois drôle et grinçante. Mais jamais dans le cas présent, en transformant le tissu romanesque en une peau de chagrin. Elle ne se prive pas de montrer les travers du mode de vie helvétique, de ses modes idiomatiques, du rythme du phrasé caractéristique de nos voisins romands. Mais c’est plutôt l’absurdité de ses rencontres et de ses conversations qui ont la meilleure part. Au-delà des tribulations de la narratrice, on tient entre les mains un livre qui dévoile sans cesse de magnifiques bonheurs d’expression, des images fortes, fulgurantes, parfois, et aussi des pensées qui traversent la page, quelques mots posés là avec le sens de la concision qui est le propre du haiku japonais, mais avec une charge émotionnelle rare. Il serait sot et révoltant de ne pas ouvrir ce livre et d’y trouver le plaisir que j’y ai puisé. On y retrouve un peu l’esprit de Robert Walser, le même humour, la même simplicité, la même beauté d’écriture.

Une vie à deux,
Jean Blot,
Editions du Rocher



De Jean Blot, je connaissais les essais sur la littérature russe (son Alexandre Block étant le dernier en date), son étude sur Moïse. Mais (honte à moi) je n’ai jamais lu ses romans. Cette autobiographie met en relief son grand don de narrateur. Son style ressemble d’ailleurs à ce qu’il est dans la vie : en apparence léger, désinvolte, élégant, drôle sans être un apôtre du mot d’esprit, généreux, intelligent, curieux des autres, curieux du monde. Tout ce qui fait sa valeur humaine se retrouve dans l’histoire de sa vie qui est narrée avec une frénésie pleine de verve et de tonus. Il met en scène une après-guerre pleine d’illusions et de promesses (cela ne durera pas longtemps) qu’il vit à travers la loupe grossissante des grandes institutions internationales nées du désastre de la guerre, d’abord l’ONU et ensuite l’UNESCO. Ce qu’il nous en dit est d’une haute densité comique ! La grande Histoire qui se construisait grâce au nouvel équilibre de la Terreur (ce qui n’empêcha pas l’émergence de nouvelles guerres d’une horreur tout à fait digne de celle qui avait secoué le monde entier) rencontre son histoire personnelle, qui se traduit par une belle relation amoureuse avec une jeune aristocrate russe. D’une certaine manière, Une vie à deux est l’anti-Morand par excellence, même si l’on y trouve encore de grands transatlantiques, des hôtels luxueux, des personnage qui ne cessent de se déplacer d’un pays à l’autre : pas d’ivresse ni de vertige de la vitesse, pas de mondanités montées en épingle – Jean Blot nous offre sa vision du monde, une vision à la fois lucide et pleine d’optimisme. L’auteur fait partie de ces êtres rares qui recèlent une jeunesse éternelle. Ses mémoires le prouvent largement.

Roger Vailland,libertinage et lutte de classes,
Franck Delorieux, le Temps des cerises


Franck Delorieux, qui n’en est pas à son coup d’essai, a écrit un bref mais saisissant essai sur Roger Vailland. Il a tenu a nouer deux grandes thématiques chères à l’auteur, qui semblent former un couple aberrant : le bonheur et le communisme. L’idéal du bonheur est déjà présent dans Bon pied bon oeil où il fait ses adieux à la culture bourgeoise. Quand il adhère au PCF en 1942, il veut associer étroitement communisme et libertinage. L’auteur explique en quoi ce couple théorique a pu être viable et même cohérent dans sa pensée. Dans Le Regard froid, Vailland étudie plusieurs postures libertines, qui sont d’abord celles d’hommes qui affirment leur liberté et qui revendiquent la raison contre l’irrationnel religieux (c’est d’ailleurs un des arguments de son pamphlet contre Breton et les surréalistes). Enfin, Marat est pour lui un grand modèle, qu’il ne va pas renier. Le bonheur, la raison, l’athéisme, le libertinage (mais plus dans l’esprit de Laclos que dans celui de Sade) : il faut encore ajouter la souveraineté, qu‘il mentionne souvent. C’est pour lui être souverain de soi. Delorieux montre que Vailland l’a été jusque dans sa vie privée en agissant selon son bon plaisir sans réduire son épouse à la « servitude volontaire ». Avec beaucoup de talent, Delorieux a mené une démonstration pleine de passion permettant de mieux connaître l’écrivain et l’homme.

La Bécassine de Wilson, Elisabeth Motsch, Actes Sud


La maladie (et non des moindres), le monde rural et une figure de vieillard à la Hemingway, voilà une recette qui n’est pas trop pour me séduire. Le roman est tout à fait honorablement écrit et l’hisoire peut attendrir les âmes sensibles. Il n’en reste pas moins que c’est là une littérature qui joue sur les bons sentiments et un certain nombre de poncifs contemporains. Rien n’y fait : je ne peux m’empêcher d’y discerner les ombres de Giono, de Ramuz, de Maurice Genevoix et de quelques autres auteurs exaltant la terre et ses bienfaits. Et ce vieux bonhomme qui devient le guide du gamin handicapé mental, favorisant son épanouissement et son bonheur, n’est-ce pas un personnage de série télévisée ? Ce livre vaut mieux que cela, c’est vrai. Mais je n’arrive à le juger que dans cette optique. Le plus dramatique est que Elisabeth Motsch vaut mieux que bien d’autres de ses confrères !

La Vie et le reste, Joachim Vital, «Littérature », Editions de la Différence



Joachim Vital a un talent né pour l’art de la nouvelle. Il a non seulement le sens de l’ellipse (ce qui est absolument nécessaire), mais un sens très particulier de l’humour (un humour noir, un humour gris, un humour jaune aussi) qui rend les choses très séduisantes. Le très nostalgique retour à Lisbonne qui fait revenir son héros dans le bar d’un hôtel qu’il a fréquenté pendant les années 60 est d’une drôlerie tragique. Quand il relate l’histoire des employés qui louaient la résidence de la vielle dame allemande en son absence avec toute la complicité du village en Toscane les pages qu’il a écrites possèdent aussi ces qualités presque paradoxales. Il y a dans chacune de ces nouvelles une étrangeté et une pointe d’ironie qui leur donnent ce caractère si singulier. La Vie et le reste est un beau livre qui révèle un talent et une originalité indéniables.

Sator, Alain le Ninèze, Actes Sud



Le roman historique est un genre que je qualifierai de « douloureux » car, de nos jours, on peut s’attendre au pire. Cela ne se vérifie pas toujours, comme le prouvent Gérard de Cortanze ou Jonathan Littell. Mais il y a les autres et les autres font peur ! Dans le cas d’Alain de Ninèze, Sator est un livre qu’on lit presque d’une traite et avec une certaine jubilation. Que raconte-t-il ? A la Bibliothèque vaticane, des manuscrits sont retrouvés par un chercheur qui les livre au public. Il s’agit de l’existence de Lucius Albinus qui a été procurateur de Judée à l’époque du Christ. Il resta en poste jusqu’à la chute de Jérusalem et la destruction du Temple en 70. Cet homme puissant se trouve devant une énigme : un cryptogramme. Ce dernier est la condition mise par Messaline pour protéger les chrétiens dont notre héros a rejoint les premières communautés. A travers ce rébus, on découvre la vie des premiers chrétiens, leurs persécutions, on relit aussi les derniers moments du Christ et la naissance des symboles de la nouvelle foi. Sator est un livre passionnant et nous amène rapidement à résoudre l’énigme qui est gravée sur plusieurs monuments, à Pompéi, à Aquincum comme à Gloucester, nous demandant s’il s’agit d’un boustrophédon ou d’un message hermétique codé. En sorte qu’on se passionne pour cet homme qui nous fait connaître sous un nouvel éclairage un moment décisif de l’histoire de l’humanité.

Le Goût des abricots secs, Gilles D. Perez, “La Brune”, Editions du 10



Dans ce récit élaboré avec une très grande simplicité, nous faisons la connaissance d’un narrateur qui vit dans un immeuble dont les habitants partent les uns après les autres. Dans l’appartement à côté du sien, vit un vieillard qui écoute de la musique jusque tard dans la nuit. Le jeune homme le rencontre, puis le fréquente. Et, au cours d’un échange pudique, il découvre le mystère de son existence qui a tourné autour de son épouse Véra, qui a été une très grande pianiste. La vie et le drame de cette femme deviennent alors le centre véritable du récit, qui est traité avec retenue et une relative élégance.

Les Jardiniers, Véronique Bizot, Actes Sud



Véronique Bizot n’est ni Kafka ni Thomas Bernhardt comme on nous l’annonce et fort heureusement d’ailleurs. Il y a chez elle un sens du grotesque et de l’absurde qui peut la ranger dans une certaine tradition issue de l’Europe centrale. Mais ni son esprit ni son écriture ne corrobore cette hypothèse. Son esprit est bien français et particulièrement affilé. Elle sait transformer une situation somme toute ordinaire en un événement baroque et déconcertant. L’histoire des jardiniers dans la nouvelle homonyme est extraordinaire car tout ce qui préside normalement à l’ordonnancement de ma Nature se change en agent de désordre. C’est un récit hilarant. Les autres textes sont du même tonneau et le dernier d’entre eux, Lamirault est un exercice de détestation de haut niveau…

Le Goût des mots, Alain Rey, Senso



A lain Rey est un lexicographe chevronné. La parution de son Dictionnaire culturel en langue française a été saluée comme un grand événement. Il a produit en marge de ses grands travaux un petit ouvrage divertissant, Les Mots de saison. Il y fait une curieuse synthèse de Littré, de Barthes et de l’Oulipo. Il joue avec les mots, leurs origines et leur manière de voyager dans le temps en se métamorphosant. C’est plaisant à lire, mais ce n’est pas un exercice de style immortel. Il lui manque l’esprit littéraire. On peut néanmoins prendre ces pages sous un éclairage pédagogique pour apprendre comment vivent, se métamorphosent et parfois meurent les mots.

Le Procès de la vieille dame (éloge de la poésie), Lionel Ray, «Littérature », Editions de la Différence



C’est une invitation au voyage, mais à un voyage très particulier à travers le monde poétique. Nous partons à la rencontre de Reverdy et puis de Michaux, de Char, de Guillevic (c’est inévitable !), mais aussi de Louise Labe (délicieuse surprise !) et, pour les modernes, de Louis Aragon et de Guy Goffette. Lionel consacre de très belles pages à la voix de l’auteur du Fou d’Elsa dont il fait un portrait remarquable à travers son timbre, son rythme et son phrasé. Il fait aussi un très bel essai sur l’invention de la modernité avec Rimbaud, mais également Marinetti et Cendrars. C’est un périple hautement recommandable.

Passage de la mère morte, Jean-claude Perrier, Stock



Le narrateur du roman de Jean- Claude Perrier cherche à retrouver sa mère – tout du moins en des termes métaphoriques puisqu’elle n’est plus de ce monde. Il revit les jours difficiles qui ont suivi sa disparition. Pour conjurer son désarroi, il reconstruit son existence pièce après pièce , ne la connaissant que de manière très fragmentaire, il la montre serveuse sur les Grands Boulevards puis en tenancière de bistrot quand elle a pu acheter un petit établissement derrière la Bastille. Sa propre vie se mêle alors étroitement à celle de la défunte presque inconnue. Il dépeint le divorce de ses parents. Il ne se souvient pas du tout de son père parce qu’il était trop petit au moment de cette séparation. Ainsi reconstitue-til avec patience ce puzzle douloureux et nous propose-t-il son roman familial. Tout tourne autour de l’absence de cette mère qu’il recherche par l’écriture.

Chronique monégasque, Philippe Claudel, Folio Senso


Ce petit volume soulève quelques questions. La première consiste à se demander pourquoi ces textes courts ont été rassemblés, selon quelle logique et à quelle fin. Parce qu’il sont brefs ? Ils donnent surtout le sentiment d’être un premier jet en vue d’un récit plus important ou de pages abandonnées après avoir été un peu travaillées. C’est ce qu’on éprouve en lisant Château Süskind et Bye bye Nicole. D’autres, surtout les derniers, paraissent être là pour solde de tout compte – des fonds de tiroir en somme. Demeure une dernière interrogation, la plus agaçante de toutes : à quoi diable servent des photographies en couleurs ? A mon humble avis, elles ne servent à rien sinon à rendre le livre plus proche du magazine féminin…


Bourlinguer

Paris poète, Catherine Aygaline, «Bibliothèque», Hazan



Catherine Aygaline nous offre un très beau voyage dans le Paris des photographes du temps jadis. C’est le Paris des chanteurs des rues, des terrasses affolées, des ruelles borgnes et des grands boulevards flamboyants, c’est aussi le Paris de ces peintres et de ces sculpteurs qui ont fait sa gloire, avec la Ruche, des ateliers de Montparnasse et des expositions surréalistes, c’est le Paris des écrivains, des existentialistes et des autres, des cafés littéraires élevés au rang de temples de la culture moderne. Ce Paris-là, il vit aussi dans la parole des poètes : Aragon, Prévert, Queneau, Verlaine, Pierre Mac Orlan sont quelques-uns des guides qui nous font découvrir mille et une façons d’éprouver les pulsations de la villelumière dans un jeu de réminiscences pleines de nostalgie, mais aussi de gaîté et de facétie. Paris est reconstitué sous toutes ces facettes et à travers la voix de ces auteurs qui l’ont aimé si intensément. C’est un beau livre, qui constitue un compendium d’un monde qui n’est plus qu’à travers ces signes adressés par ces hommes et ces femmes qui ont su en préserver les différentes réalités qui se sont attachées à son histoire au cours du XXe siècle.

Les Parisiens sous l’Occupation, André Zucca, présenté par Jean Baronnet, préface de Jean-Pierre Azéma, Gallimard/Paris bibliothèques



André Zucca nous promène dans le Paris de l’Occupation. Et en couleurs, s’il vous plaît ! Il avait presque toutes latitudes pour enregistrer les scènes de la vie quotidienne de la capitale puisqu’il collaborait allègrement et travaillait pour le journal de propagande nazi Signal. Les clichés réunis dans cet album sont précieux puisqu’ils ont pour but de rendre normal ce qui ne l’était pas et de montrer que la vie continuait son cours bon gré mal gré avec des hommes en uniforme vert-de-gris un peu partout et des rues particulièrement vide où l’on voit surtout des femmes. Une atmosphère d’insouciance semble se dégager de ces prises de vue. Mais, quand on y regarde de plus près, on comprend vite que les robes de ces femmes sont faites avec les moyens du bord, que ce simulacre de légèreté cache mal une sorte de pesanteur et que le vide de ces avenues et de ces places n’est comblé que par ces militaires en permission qu’on envoyait se reposer dans le Gay Paris.

Les Canonnières du Yang-Tsé-Kiang, Constantin Slizewicz, Imprimerie nationale



Les photographies du temps jadis nous font rêver. Celles qui se trouvent dans l’album de Constantin Slizewicz plus encore que beaucoup d’autres. Entre 1936 et 1938, le lieutenant de vaisseau Maurice Tournet remonte le Yang-Tsé-Kiang. Marco Polo disait de ce grand fleuve : « Il va et vient par ce fleuve plus de navires et de riches marchandises qu’il n’en va par tous les fleuves et par toutes les mers de la chrétienté. » C’est ce que constate à son tour le jeune sous-officier français. Il découvre Shangaï à son embouchure, les gorges de Son-Tan, les gorges d’Ouchan, les gorges de Kouigou. Il voit les embarcations échouées à cause de la baisse des eaux, montre le fort Odent, caserne de la marine française. Son histoire touche vite à sa fin parce que les Japonais ont envahi la Chine en juillet 1937. L’équipage doit être rapatrié. Mais l’aventure de ces marins se prolonge jusqu’en 1940. C’est assez en tout cas pour nous faire découvrir ces paysages superbes où glissent des sampans, comme si le temps demeurait suspendu.

Am
Le Monde souterrain, Jean-Jacques Terrin, « Guide des arts », Hazan



Jean-Jacques Terrin a tenté de faire l’inventaire des mondes qui se trouvent sous l’écorce terrestre et y a réussi avec un certain talent. Bien sûr, il le dépeint d’un point de vue mythologique et religieux ; ce sont les limbes, les enfers et les divinités chtoniennes. Mais il tient aussi à explorer l’habitat de nos anciens ancêtres où sont apparues les premières formes d’expression artistique de l’humanité. Enfin, il montre comment les hommes ont utilisé les ressources fertiles que le sous-sol lui ont offert et aussi des possibilités stratégiques : on a mené une guerre entière enterré (la Grande Guerre) et on a conduit une autre (la Seconde) en imaginant des forteresses souterraines de plus en plus formidables. L’auteur a mené un excellent travail de recherche et on doit saluer la richesse des commentaires et de l’iconographie. Un beau vade-mecum pour les lecteurs de Dante et de Jules Verne !

Deyrolle pour l’avenir, préface de Pierre Assouline, Gallimard



On se souvient tous du terrible incendie qui a détruit en partie les locaux du grand taxidermiste Deyrolle. Le vieil établissement de la rue du Bac reçoit aujourd’hui un hommage qui lui est dû. Pierre Assouline, François Becker Blaise Mao et Thomas Saintourens ont pris la plume pour rappeler ce qu’il a pu signifier. Cette maison née au XIXe siècle en a fait rêver plus d’un avec ses grands mammifères empaillés, immortalisés – et je fais partie du lot ! Le rêve a fini par l’emporter sur la science dans mon esprit (ce n’était pas difficile). Ce petit ouvrage, je le regarde comme une partie de mon enfance passée à contempler cette vitrine ô combien magique quand je me hasardais avec ma mère dans ce coin de Paris…

Paradors, Jesus Avila Granados, Actes Sud



L’auteur (Jesus Avila Grandos) et les photographes qui ont travaillé avec lui (parmi lesquels Ramon Marient, Koldo Chamorro, Domi Mora, Gregorio de la Cruz, Andreu Massagué, Francisco Ontañon) nous font parcourir toute l’Espagne. Le voyage commence en Andalousie, à Huelva, à Cadix, à Malàga, à Grenade. Puis nous sillonnons la péninsule ibérique en tout sens, de la Castille au pays basque, en passant par la région de Madrid et poussant jusqu’aux îles Canarie. Il ne s’agit pas seulement ici de faire découvrir des lieux de rêve (ces châteaux en Espagne qui ne sont pas toujours des châteaux, mais de très belles propriétés transformées en villégiatures de luxe). On découvre des paysages sauvages ou insolites. C’est un peu le livre des merveilles : l’Hostel de San Marcos a Leon, le parador de Ségovie, le couvent de Plascencia, le parador de Guadalupe Zurbaran en face du monastère de Santa Maria, le parador Conde de Orgaz, sur la colline de l’Emperador de Tolède - autant de lieux irréels. En sorte que le voyage conduit toujours ici dans une résidence qui offre de l’Espagne une vision enchantée. •


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mis en ligne le 06/09/2008
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