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Chronique de l’an V
Chronique de l’an V par Gérard-Georges Lemaire

Walker Evans, la soif du regard,
Gilles Mora & John T. Hill, close up, Seuil.
On associe - non sans raison - l'œuvre photographique de Walker Evans aux années de la dépression. Sa collaboration avec l'écrivain James Agee (Louons maintenant les grands hommes, paru dans la collection Terres humaines chez Plon) est demeurée une date dans l'histoire de l'Amérique de cette période. Evans s'est intéressé a ces déracinés, a ces damnes de la terre, a ces hommes et a ces hommes qu'on ne regardait pas et qui avaient été les victimes de la crise. Comme Steinbeck, il a leur à donné un visage, mais aussi une noblesse. Dans ce précieux volume, on découvre aussi d'autres aspects moins connus de son travail, celui sur New York a la fin des années vingt, celui de ses voyages, (Cuba, Tahiti, etc), celui sur les inscriptions et les affiches des murs des villes, celui sur Chicago a la fin des années quarante. En somme, il nous fait découvrir toutes les facettes de ce grand photographe qui a autant été un témoin de l'histoire sociale et urbaine de son pays qu'un immense créateur qui a impose une esthétique puissante en utilisant des sujets juges encore méprisables.


Julio Pomar, catalogue raisonne I,
1942-1968, Editions de la Différence.
Julio Pomar est le plus grand artiste vivant du Portugal. Mais, en France, il n'a pas la notoriété qu'il mérite. La parution du premier tome de son catalogue raisonne devrait fournir l'occasion de comprendre la richesse et la singularité de son travail de peintre. La première chose qui m'a frappé en suivant l'évolution de son œuvre depuis ses débuts, c'est qu'il subit des influences, comme tout artiste. Mais, au lieu d'adopter une manière, quitte à en prendre une autre par la suite, il semble laisser les choses en suspens. Et cela devient une constante chez lui. Des muralistes mexicains aux abstraits de l'immédiate après guerre, en passant par d'autres conceptions modernes, il emprunte à plusieurs conceptions de la peinture qui n'ont que peu de choses en commun. Mais comme il ne procède pas par élimination complète, il installe peu a peu un style elliptique et volontairement ambigu. Ce qui fait la spécificité de sa démarche, c'est qu'il est parvenu à penser le tableau non comme un lieu d'affirmation, mais comme un lieu de questionnement ou les objets figuratifs sont places dans une perspective mystérieuse et déconcertante. Chacune de ses toiles est une énigme qu'on apprend à déchiffrer avec le temps. Quand le parcours de ce volume s'achève (nous sommes alors en 1968) Pomar ne s'est pas encore enfermé dans une formule. Et il ne le fera d'ailleurs jamais. D’où la fascination que peut exercer sa peinture.


Christian Dotremont, avant-propos de Dominique Radrizzani, texte et photographies de Pierre Aleschinsky, Les cahiers dessines , Buchet/Chastel.
Carnets en deux temps, Pierre Alechinsky, texte de Dominique Radrizzani, Les cahiers dessines , Buchet/Chastel.
Je ne saurais trop répéter à quel point j'apprécie la collection appelée Les cahiers dessinés dirigés par Frédéric Pajak chez Buchet/Chastel est intéressante, précieuse et plaisante. L'idée qui la sous-tend est de présenter un large choix de dessins d'un artiste connu, ce qui permet a l'amateur de découvrir un aspect souvent mal connu de son travail. En ce qui concerne Christian Dotremont, cette publication est d'autant plus importante car sa recherche plastique repose essentiellement sur une relation entre l'encre noire et le papier. Dotremont a en effet tenté de pousser le plus loin possible la relation intime entre le signe pictural et le signe calligraphique en inventant une écriture fictive, les logogrammes. Pendant les années soixante, il a d'ailleurs utilise des phrases poétiques pour exécuter des compositions qui extrapolent les calligrammes de Guillaume Apollinaire. Cette œuvre demeure un moment-clef de cette singulière recherche qui a hanté les peintres au lendemain de la dernière guerre. Dans le cas de Pierre Alechinsky, qui revendique sa parente avec son aine Dotremont, cette relation entre écritures et peinture est d'une autre nature : dans ses Entrées et sorties (1974) ou son Journal d'un jour (1984), il travaille sur des pages écrites et exploite ses plages scripturales dans ses compositions qui, elles, sont purement plastiques. C'est un bel exemple de ce que l'artiste a pu accomplir dans ce domaine.


Fashion,
Andy Warhol, Chronicles, Seuil.
Avant d'être un artiste internationalement reconnu, Andy Warhol s'etait fait un nom dans la mode. Dans un délicieux petit album, nous sommes introduits a ces débuts plus que prometteurs, ou Warhol se consacre surtout à la chaussure féminine. Ces dessins ne nous apprennent pas grand-chose sur l'évolution stylistique de ce dernier, sinon qu'il avait un talent incontestable dans ce domaine, on peut comprendre que cette relation intime au monde de la mode n'a pas été indifférente a la suite des évènements. En effet, sa démarche de dessinateur prouve ici une originalité réelle, mais aussi le souci d'être au plus pres de l'esprit du temps. C'est un indice précieux pour comprendre de quelle façon il va aborder son travail d'artiste.


Arman arme, Historial de la Grande Guerre,
Péronne /5 continents Editions.
D'Arman, on a aujourd'hui l'image d'une production récente qui ne fait que répéter inlassablement des procédés éculés sans la moindre invention. L'exposition de ses travaux qui a été présentée à l'historial de la Grande Guerre de Péronne nous en donne une tout autre image. L'idée de cette exposition est séduisante : il s'agit de rassembler les œuvres qu'Arman a pu réaliser en utilisant des objets ayant à voir avec l'activité guerrière. Il y a là des accumulations de pistolets, de cartouches, de masques à gaz, de douilles, de cibles, de sabres, de fusils, de mitraillettes, sans parler des Empreintes de revolvers. Cet ensemble est très impressionnant et sa présence au sein de ce musée prend une valeur singulière.
Ces compositions sont impressionnantes et particulièrement éloquentes. C'est le meilleur Arman qui nous est révélé ici avec des créations remontant au début des années 60. On regrettera seulement qu'on aie tenu à ajouter des ouvrages plus récents dont le sujet n'a qu'un lointain rapport avec le thème propose.


L'Ordre sauvage,
Laurence Bertrand Dorleac, Art et Artistes , Gallimard.
Laurence Bertrand Dorleac s'est introduite dans le monde de la recherche dans la sphère des arts plastique par une étude remarquable sur l'art en France sous le régime de Vichy avec Histoire de l'art à Paris entre 1940-1944 (Publications de la Sorbonne, 1986). Elle a donne un prolongement à ce travail avec L'Art de la défaite. 1940-1944 (Seuil, 1993). Aujourd'hui, elle aborde un tout autre domaine en publiant L'Ordre sauvage. De quoi s'agit-il ? Tout simplement du premier grand déplacement du champ de l'expression, artistique sur une scène, au sens propre ou au sens figure (le monde devient le théâtre de l'art. Elle analyse les débuts de ce qui est appelé happening ou performance et qui, déjà pendant les années cinquante, aux Etats-Unis, comme en Europe, bouleverse les codes de la relation esthétique. Ce travail est remarquable par son sérieux mais aussi par son intelligence qui se traduit par une conscience de ce qui mérite de s'inscrire dans la mémoire de l'art de ce temps et une extrême finesse d'analyse. Les actionnistes autrichiens (a commencer par l'épouvantable Otto Muehl), les nouveaux réalistes places sous la houlette de Pierre Restany (Niki de Saint Phalle, Tinguely, les incroyables actions d'Yves Klein), Joseph Beuys sont ici places dans des perspectives telles qu'on peut reconstituer le sens leurs spéculations dans le contexte de l'époque. C'est un ouvrage indispensable pour qui veut comprendre cette rupture insidieuse dans la création moderne.

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Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 02/17/2004
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