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Dossier Gérard Le Cloarec
Être peintre par les qualités mêmes de la peinture
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Il est probable que des personnes vont s’arrêter sur la représentation de Van Gogh à l’oreille coupée, non seulement parce que Gérard Le Cloarec la privilégie (elle est au premier plan, elle est en couleur) mais aussi parce qu’ils connaissent l’histoire tragique de Van Gogh. Ils perçoivent donc l’œuvre à travers le contexte de la vie de l’artiste à qui Gérard Le Cloarec rend hommage, la structure du tableau leur étant inaccessible ou simplement indifférente.
D’autres, plus subtilement, sans rien ignorer bien sûr de l’anecdote, s’intéresseront essentiellement à ce que le peintre a fait de son sujet : double aspect de la personnalité de Van Gogh (passion d’un côté, raison de l’autre) mais aussi synthèse assumée par l’autoportrait de Le Cloarec, lui-même divisé en deux : partie gauche du visage en couleur, partie droite blanche. L’auteur intègre en lui les deux interprétations que Van Gogh a données de lui-même en l’espace de huit mois. Il assimile dans son tableau deux œuvres dont il rend compte des styles d’origine respectifs avec fidélité tout en leur conférant à l’évidence à chacune, en plus, son propre style ! Passionnant jeu de va et vient au sein duquel chacun peut s’aventurer, mais plus ou moins. Nous avons ici la démonstration réussie d’une position consistant à suggérer que c’est le sujet esthétique (moi qui regarde) qui accomplit l’œuvre en choisissant le mode d’interprétation qui me convient. Gérard Le Cloarec propose, et nous invite à exercer notre propre pouvoir créateur à notre guise. C’est la singularité du sujet regardant qui décide du mode d’appropriation de l’œuvre. Cette appropriation sera rudimentaire ou sophistiquée, avec toute une gamme de positions intermédiaires possibles, car l’artiste n’impose rien. Il respecte la liberté du spectateur, admet toutes les lectures de son travail, et c’est là que réside la richesse de ce dernier. Les portraits de Gérard Le Cloarec sont, autant que des peintures, des leçons pour mieux regarder la peinture.
Gérard Le Cloarec, Nu remontant l’escalier, 2004. 146 x 114 cm. Gérard Le Cloarec, Bigoudène, 2003. 130 x 97 cm. Gérard Le Cloarec, Voyage au bout de la nuit, 1998. 55 x 46 cm.
En 1992, Gérard le Cloarec a peint une œuvre-manifeste à usage intime. Il s’agissait de faire un cadeau à une personne de sa famille (le point de départ serait donc une vue du phare de Penmarch), mais sans consentir à des concessions qui auraient affaibli la qualité artistique du travail : quelque détail « pittoresque » par exemple. Voici donc Eckmuhl, peinture acrylique sur toile, association de réseaux dont l’un, panoramique, rend compte du scintillement des lumières du port dans l’air et dans l’eau, et l’autre, qui éclaire l’ensemble, en forme de crâne, lance ses antennes de toutes parts et semble intensément habité par le fourmillement des codes et signes familiers. Non pas une vanité, mais plutôt la reprise du message de Léonard : la peinture est cosa mentale. Jouir de cette œuvre, comme des autres d’ailleurs, c’est prendre le temps de repérer les divers instruments qui déterminent leur évanescence subversive.

Tout tableau de Gérard Le Cloarec montre un monde en train de se faire tout en défaisant le réel, un monde à l’état naissant : non pas représenté (copié) mais ramené à son origine. Ce qui s’engendre dans notre vision de spectateur attentif, ce n’est donc pas «le réel», mais un réel possible.
Gérard Le Cloarec, Courbet, 1998. 55 x 46 cm.Ce n’est pas la même chose ! Ce peintre nous rappelle magistralement que la peinture, la vraie, nous propose toujours un possible qui nous instruit du réel. Essayons de dire les choses autrement, à la suite de mon ami le regretté critique Marc Le Bot (un autre breton) qui aurait, j’en suis sûr, beaucoup aimé les travaux des dernières années, notamment les visages de noirs Massaï ou d’indiens en 2002, qu’il n’a pas pu voir : ce que le peintre veut, c’est, du réel, rendre visible ce qui n’est pas vu, ce qui en appelle à une vision plus originaire : le pré-réel selon lequel l’être surgit à l’apparaître. Vous vous souvenez ? Il faut trouver la bonne distance pour y parvenir. La peinture est affaire de vision, la peinture est « rétinienne » ou n’est pas. Elle est affaire de valeurs, de couleurs et, oui vraiment, de jouissance. Puisque, tout compte fait, Duchamp et ses disciples ne sont toujours pas parvenus à ce que le plaisir rétinien soit défini par le code pénal comme un crime passible d’une mise au ban de la société, profitons en: il est là, offert avec une générosité illimitée par un peintre étonnamment fécond. Allez donc le découvrir, ce plaisir : il suffit de regarder. Mais n’oubliez pas : à la bonne distance !

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Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 19/08/2006
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