chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t

Les artistes et les expos
Cochonneries
suite...
Les artistes et les expos - Cochonneries par Thierry LaurentFascination de l’art contemporain pour la régression kitsch ? Depuis le Pop Art, l’art s’intéresse aux formes les plus communes de la société, tournant le dos à l’imaginaire exigeant des avant-gardes. Le cochon ne serait-il pas l’emblème lisse et dodu d’une vulgarité de masse qui n’est autre que celle de l’esthétique des produits de consommation, de ces déballages de chair fraîche, supports publicitaires pour crèmes amincissantes, de cet érotisme calibré par les vidéos pornos ? Les cochons en porcelaine de Jeff Koons sont dans l’ensemble plutôt rigolos : ils scintillent, ils sont entourés de guirlandes de fleurs, leur épiderme évoque le lisse, l’aseptisé, l’univers des rayons de jouets, des parcs d’attractions, des boutiques souvenirs. Le cochon est présenté comme un animal hilare, aux formes arrondies, voluptueuses, représentations bâtardes des seins siliconés des starlettes de sitcom. Voilà un compagnon de vie souriant et, somme toute, sympathique. Le cochon est l’icône de la société du banal, le nouveau dieu d’un univers où les pulsions primitives de l’humain, la baise, la bouffe et le paraître, sont exploitées par les firmes cosmétiques, les marchands de lessives, les vendeurs de produits alimentaires. Jeff Koons dénonce-t-il cet « avilissement » de l’humain, pour reprendre son expression, ou, stratège cynique et mystificateur, l’exploite-t-il comme un bon filon dont il tire profit ?

Cette entreprise de déification de la vulgarité porcine acquiert un degré supplémentaire avec le cochon de Paul Mac Carthy mis en place au Palazzo Grassi, lors de l’exposition de la collection Pinault, pendant l’été 2006. Vu de près, quel beau cochon ! Un cochon artificiel, mais plus vrai que nature ! Un fin duvet recouvre sa couenne, un cochon joyeux, soyeux, qu’on a envie de caresser. Mais le hic est qu’il s’agit d’un cochon handicapé, un cochon pathétique en somme, car ses mouvements sont assujettis à un dispositif électronique, avec fils et branchements visibles. Lorsque le cochon est actionné par le système électronique, il remue les oreilles, la queue, il lui arrive de sourire, et force est de constater qu’il y a quelque chose de dérisoirement majestueux dans cette truie allongée comme une Venus alanguie, au demeurant placée au sommet des marches du Palazzo Grassi. Un cochon qui ressemble à une déité, un dieu cochon, comme si l’on voulait dire que notre monde n’est plus asservi au culte du Veau d’or, mais à son équivalent contemporain, le Grand Dieu-Cochon Rose, dans sa superbe dérision. Un dieu fragile, dont l’existence est suspendue aux caprices des spectateurs qui décident d’actionner ou non le dispositif électronique. Un cochon risible, entre vie mécanique et mort clinique, qui souligne la vanité de toute entreprise humaine, fût-elle celle du maître des lieux.

Peut-on en revanche souscrire à la démarche de Wim Delvoye ? L’artiste présente de vrais cochons, d’authentiques cochons, qui ont vécu une vraie vie de cochon, mais qui ont été abattus, et dont la couenne à ensuite été extraite, puis traitée spécialement pour être apposée sur un moule en forme de cochon, si bien que la dépouille du cochon tatoué donne une singulière impression d’animal vivant. Wim Delvoye nourrit les cochons, les engraisse, consacre son art à les tatouer : de magnifiques tatouages certes, agrémentés de toutes sortes de signes cabalistiques, de logos et arabesques en tous genres. La peau est parfois aussi détachée pour être exposée telle quelle, ornée de jeux de tatouages héraldiques. (Tattooed Pigskin heraldic, 2001, collection Centre Georges Pompidou). Wim Delvoye exploite une ferme, avec une douzaine d’employés, qui nourrissent joyeusement les truies, en vue de les tatouer, de les tuer, puis de les exposer comme oeuvres d’art. Les cochons sont à vendre, avis aux amateurs, cent mille euros pièce, en galerie.

Les artistes et les expos - Cochonneries par Thierry Laurent« Ce qui est intéressant, nous dit l’artiste, c’est de tatouer des petits dessins sur les marcassins et d’attendre qu’ils grandissent pour avoir un plus grand dessin. Après, tu peux récolter de grands dessins, des grandes peintures. L’idée n’est pas de produire une oeuvre, mais de la faire grandir ». Cynique à souhait, l’artiste ajoute : « Oui, je spécule. La peinture avec le temps devient plus chère ». Evidemment il faut tuer le cochon. La ferme chinoise de Wim Delvoye serait plutôt un laogaï, un lieu d’extermination en Chine. Mais justement, c’est dans le meurtre du cochon que réside l’art. « Le cochon vivant n’est pas une oeuvre en soi », ajoute l’artiste. Il y a oeuvre d’art « quand le cochon meurt ». Et d’ajouter : « la mort c’est le début de l’art. Ce qui touche l’art est mort, sinon ce n’est pas de l’art ». (1)

On pourrait imaginer une suite à « La Ferme des Animaux » de Georges Orwell. Il s’agirait d’une ferme pour cochons, exploitée par Wim le cochon exterminateur. Un cochon sans scrupule ! Wim le cochon exterminateur a trouvé drôle d’exploiter ses congénères en les exécutant les uns après les autres, dans des camps de la mort, afin de vendre leur peau tatouée aux galeries et musées branchés du monde occidental. On découvrirait que Wim le cochon exterminateur a les traits d’un humain, ceux de Delvoye l’artiste, qui vend très cher les dépouilles de ses frères cochons à ses faux frères humains.

Orwell avait raison. Le cochon, c’est l’homme !

(1) Entretien Wim Delvoye/Pierre- Evariste Douaire. Paris Art.

< retour page 2 / 2  

Thierry Laurent
mis en ligne le 30/07/2007
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations