Les artistes et les expos

Franck Delorieux : Paraphrase sur l’invention d’un gant
par Gérard-Georges Lemaire


Fort heureusement, il existe un précédent. Je veux parler de l’0pus VI dite Paraphrase sur la découverte d’un gant. En 1881, l’artiste allemand Max Klinger, l’un des éléments les plus singuliers de la Sécession allemande, qui fut l’auteur de compositions aussi insolites que macabres (La Mort dans le désert, La Mort qui pisse, entre autres), achève un cycle d’eaux-fortes commencé trois ans plus tôt. Il raconte en dix planches une histoire pour le moins curieuse. La voici : une jeune femme perd un gant tandis qu’elle fait du patin à roulettes ; un homme le ramasse. À partir de cet instant précis, tout devient onirique puisque la troisième estampe (un mélange d’eau-forte et d’aquatinte) représente une femme en train de pleurer alors que la quatrième montre une fragile embarcation à voile dangereusement ballottée par les vagues de la tempête que gouverne un seul homme qui tente de s’emparer du gant emporté par le courant. Les planches successives montre le triomphe du gant solitaire dans un char tiré par deux coursiers blancs, puis des scènes irréelles qui expriment l’angoisse ou la quiétude que procure cet accessoire vestimentaire. Le drame atteint son sommet quand un oiseau tout droit sorti de la préhistoire s’empare du gant et l’emporte dans la nuit profonde.

Le portfolio de Klinger a inspiré Max Ernst et les surréalistes qui ont tout de suite vu en lui un précurseur. On ignore s’il s’était inspiré ou non de Das Leben des Traums d’Albert Scherner ou de Das Traumleben der Seele d’Hermann Siebeck. Quoi qu’il en soit, c’est bel et bien un rêve qui est mis en scène et sa résonance érotique ne fait aucun doute.

Franck Delorieux n’est pas parti de cet exemple précieux fourni par le XIXe siècle. Mais il a à son tour introduit une forte dimension onirique et sensuelle dans la suite de photographies qui place le gant dans tous ses états. Rien de figuratif en dehors du sujet et rien de spécifiquement littéraire ou même anecdotique ne détourne le regard du jeu des manipulations de l’objet (le gant) et du support (c’est-à-dire de sa matérialité pure et de son jeu chromatique s’inscrivant dans une tension de toutes sortes de gris entre le blanc et le noir, en privilégiant toujours ce dernier). Franck Delorieux s’exprime ici en accentuant une ambiguïté troublante dans le langage photographique, qui associe un esprit emprunt de néoclassicisme et quelque chose qu’il soutire un peu aux expériences de l’entre deux guerres et un peu aux grands photographes de mode, en particulier Cecil Beaton, parvenant par ces choix à se débarrasser de tout excès rhétorique.

Ce qui se dit et se sous-entend dans ces oeuvres est prononcé par de très fines litotes visuelles. Et, dans cette perspective où rien n’est superlatif, Franck Delorieux parvient à insinuer une poésie aussi attachante que celle de Klinger.

L’exposition Historias de guantes a été présenté
dans le foyer de l’IFAL de Mexico
du 29 mars au 1er juin 2007 à l’initiative de Marc Sagaert.

Sans titre, Franck Delorieux, photomontage sur papier d'Arches, 2005.


Gérard-Georges Lemaire
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