DVD

Pléthore et à travers
par Guillaume de Boisdehoux


Il était logique que ARTE, chaîne de référence et important soutien au cinéma, soit une référence également en matière d’édition vidéo et de DVD. Le catalogue 2005 le prouve : cinéma patrimonial, asiatique, d’auteur, documentaire, art et découverte, géopolitique, théâtre - religions. L’échantillonnage reçu est éloquent : Louis Malle, dans le cadre de l’acquisition par ARTE Vidéo du catalogue des films du grand réalisateur, à l’occasion du dixième anniversaire de sa disparition, avec les premiers films de cette collection : Zazie dans le Métro, Au revoir les Enfants, Atlantic, City, Inde Fantôme et Calcutta.
Chris Marker, Chats Perchés
Contes Immoraux (1968) et La Bête (1975), de Walerian Borowczyk
Le Bonheur, de Alexandre Medvedkine, 1934
Arthur Rimbaud, de Richard Dindo, 1991


Zazie dans le métro
Louis Malle, 1960, ARTE Vidéo
Adaptation magnifique du livre de Queneau, dans un cinéma virtuose et simple, sensible et drôle, délicat et spectaculaire, Zazie montre les prémices de tout ce qui a suivi, à la fois dans les films « vus d’un gosse », les gags « not made in Hollywood », la Nouvelle vague dont il est le précurseur. Les dialogues sont précieux «Je veux être institutrice jusqu’à 65 ans pour faire chier les mômes, ou astronaute pour faire chier les Martiens ! «. Les enfants de l’âge de la petite Zazie se régalent et sont un régal à regarder regarder. C’est exprès, Monsieur Gates, qu’il y a deux fois le même mot.

Calcutta et l’Inde Fantôme
Louis Malle, 1969, ARTE Vidéo
Il doit y avoir, pour l’Inde, deux types d’individus : ceux qui aiment, y sont allés ou en ont l’envie, et les autres. Je fais partie des seconds et, pourtant, parce qu’il y va de la conscience professionnelle, j’ai regardé ces films de Malle. Si je n’ai toujours pas envie d’y aller, j’ai aimé ces documentaires qui sont l’œuvre d’un très grand cinéaste.

Atlantic City
Louis Malle, 1980, ARTE Vidéo
Depuis 1980, je n’ai pu couper un citron sans penser aux seins de Susan Sarandon. Elle est magnifique et Burt Lancaster est éblouissant dans un de ses plus beaux rôles. Tourné dans des extérieurs « réels », il était impensable, ou trop cher, de faire écrouler un immense hôtel ou d’en faire reconstruire plusieurs tout aussi immenses, le film suggère une solution au problème des banlieues sinistrées : légaliser le jeu de hasard et d’argent. Immédiatement afflueront les pelleteuses et démolisseuses pour ensuite construire les casinos et établir leurs polices mafieuses. À méditer par les élus de banlieue s’ils voulaient diriger la France. Je n’avais pas oublié une seule image de ce film depuis 1980. À l’époque, on allait voir le dernier film de untel et pas un autre navet avec unetelle comme aujourd’hui, trop souvent hélas.

Au Revoir Les Enfants
Louis Malle, 1987, ARTE Vidéo
Pour un borgne, l’occupation allemande fut douce, comme pour les collabos et les planqués, mais elle l’a été beaucoup moins pour les autres. Cet enfant juif est caché par des religieux catholiques. Klarsfeld l’a rappelé, 70 % des Juifs français furent sauvés des nazis par des catholiques, des protestants, des communistes, des athées et, si 1.500 appels téléphoniques anonymes par jour à Paris dénonçaient des Juifs à la Gestapo, c’est mieux que la Hollande, où 3% en réchappèrent. Pour cet enfant juif, donc, à qui le petit Malle (c’est lui) demande : « tu as peur », la réponse est « toujours ». Film bouleversant, douloureux, beau, sans la moindre concession, pas de larmoiement, ni de pitié mal placée, mais une dignité et un « traitement du problème » exempts de la moindre facilité. Il fallait le faire, surtout alors que de doux serviteurs de l’occupant, dont un qui fut plus tard Préfet de Police et même Ministre de la V° République n’étaient même pas encore inquiétés par des procédures judiciaires.

Scènes de la Vie Conjugale, 1973
Saraband, 2003
Ingmar Bergman, ARTE Vidéo
Le maître du cinéma. Scènes de la Vie Conjugale bouleverse autant qu’à la première vision. Saraband, sa dernière œuvre à 84 ans, est un accomplissement total. Personne, dans ce jeune art, n’a su aller au fond de l’être humain comme Bergman. La vie est tragique, il le sait depuis l’enfance. On ne ressort pas entier d’un visionnage de ces films. Que dire de plus ? RIEN. On se tait comme après Mozart.

Comtes Immoraux et La Bête
Walerian Borowczyk, ARTE Vidéo
Ah ces belles années de la libération sexuelle, époque où le cinéma se libérait aussi, peu avant que la détaxe du porno vit fleurir sur les écrans de France des films pornographiques aux titres désopilants. Anatole Dauman, grand producteur avisé, nous a aussi fait découvrir Oshima et ses Empires, des Sens et de la Passion, je préfère le premier. Avec Borowczyk, c’est un autre type d’érotisme. Il filme les corps avec douceur, délectation et plaisir. Les femmes sont belles, très belles. Il paraît que les garçons aussi, mais je suis moins qualifié. Comment critiquer ce type de film ? La seule question est de savoir si plaisir il y eut à les regarder, ma réponse est positive.

Le Bonheur,
de Alexandre Medvedkine, 1934 ARTE Vidéo
Le comique bolchevik ! Je ne connaissais pas. La date de création fait penser à Chaplin, mais ce comique cynique et désabusé des peuples « opprimés » (qui ne l’est pas ?) et de ces Russes est inimitable. Le DVD 2 de ce coffret contient le remarquable film de Chris Marker sur Medvedkine, la Russie et l’URSS et le XX° siècle qui, contrairement à ce que les ignorants disent, ne fut pas le plus meurtrier de l’histoire. Les Espagnols et Portugais tuèrent cent millions d’habitants d’Amérique du Sud alors que les Anglais et autres n’en tuèrent que cinquante millions en Amérique du Nord à la main, la hachette ou l’arc et la flèche, de l’artisanat et pas de la boucherie organisée à la bombe incendiaire, au gaz, à la mitrailleuse lourde ou au napalm !

Land of Plenty
Wim Wenders, TF1 Vidéo
Land of Plenty est un film rare de fiction et de réalisme. L’action commence un an après le 9/11, date indispensable à toute tentative de compréhension de ce pays. Que les bombes US aient tué tant de civils n’y change rien : on ne tue pas des citoyens US, surtout pas aux USA, cette démocratie exemplaire de Abou Ghraib et Guantanamo.
Wenders analyse ce qui s’y passe avec deux personnages, un oncle et sa nièce : il est un « vet », ancien combattant du Vietnam, guerre qui n’a pas fini de marquer ceux qui l’ont faite, sans parler des trois millions de morts vietnamiens, elle est fille de « post bab », a vécu en Afrique et au Moyen-Orient. Ils se rencontrent dans les bas-fonds de Los Angeles. Agent auto-improvisé de surveillance du terrorisme, dans un vieux van aménagé avec caméras, micros, magnétos, il surveille, dans son délire paranoïaque, tout ce qui peut constituer une menace pour la sécurité du pays.
Elle, recueillie par un pasteur étonnant dans une « mission », aide comme elle peut les SDF du coin. La mort de l’un d’entre eux, qui a la malchance de s’appeler Ahmed, les réunit dans une enquête délirante et pathétique qui met en scène deux regards sur les Etats-Unis, celui d’une victime de la propagande incessante et celui d’une jeune femme qui, l’ayant quitté, en sait plus sur son pays. Bush dit les mêmes phrases, simplistes et à une proposition, n’autorisant pas de discussion, que celles prononcées par cet oncle barge grave. Les extraits d’émissions de radio d’une violence et vulgarité incroyables montrent le bourrage de crâne. Wenders n’en veut pas aux Étatsuniens, il en a pitié sans sentimentalisme, sachant à quel point l’abrutissement télévisuel a bien fonctionné. Le « rêve américain », inventé par les Européens partis vivre aux USA aux XVIIIe et XIXe siècles, est devenu une publicité, un leurre. Wenders en a aussi été victime. Les deux protagonistes parlent d’un cauchemar. Le film a été éclipsé à sa sortie par une autre production US, la « Bush, Carlyle, Haliburton & Co. » : La Guerre d’Irak avec 100.000 figurants, euh, morts civils et toujours pas d’armes de destruction massive en Irak.

Il faut Assassiner Hitler
BBC, Montparnasse Vidéo
Docu-fiction, où les Anglais sont à la fois friands et experts, BBC en deux épisodes. Les services secrets britanniques envisagent d’assassiner Hitler. Pour les uns, il est tellement mauvais chef de guerre que sa disparition pourrait placer un meilleur stratège et on en ferait un martyr, pour les autres, sa mort précipiterait la fin de la guerre et sauverait des millions. Le rythme du film est bon, on attend la décision de l’Etat-Major. Tourné pour la télévision, effets un peu faciles, image pas toujours sobre (il faut frapper fort sur un petit écran) et pas de version originale sous-titrée.

Chats Perchés
Chris Marker, Arte Vidéo
Chris Marker est au cinéma ce que William Klein, par exemple, serait à la photo, provocateur, surdoué, jouant de son médium avec la distance qui sied quand on est bon et qui n’est possible que quand on est très bon. À partir d’un graffiti dont je ne sais même pas s’il a été vu dans Paris, le graffiti agréable d’un chat qui rit, il construit une ballade politico-artistique des cinq dernières années qui serait, je crois, un excellent guide à quiconque voudrait comprendre la France de ces années.

Carnet de voyage (à motocyclette)
2004, TF1 Vidéo
Voyage initiatique accompli par Guevara et son ami Granado, étudiants bourgeois partis à moto de Buenos Aires visiter leur continent. La moto casse vite et à pied, en stop, ils découvrent la réalité de mines possédées par les entreprises US (Anaconda), de léproseries où la Mère Supérieure ne donne à manger qu’à ceux qui vont à la messe, la misère, l’hypocrisie, le désespoir. Le futur héros romantique découvre la vie. Quelques années après, il rejoindra Castro, pour devenir l’icône souriante, mais morte, de sa révolution. Connaissant un peu l’histoire, on ne peut pas ne pas deviner, dans le regard de l’acteur qui incarne Guevara, la révolution intérieure qui le prenait déjà.

Talons Aiguilles
Pedro Almodovar, 1992, TF1 Vidéo
Almodovar s’est taillé une place bien à lui, méritée, dans le cinéma mondial en assez peu de temps et de films, finalement. Je crois que celui-ci est le dernier que j’ai vu en salle. Excellent, bien entendu, ne peut pas être absent de la Vidéothèque de l’Honnête Homme, j’écoute « La Discothèque du même », sur France-Musiques.

The Shanghai Gesture
Josef Von Sternberg, Films Sans Frontières
Près de dix ans après Shanghai Express, Sternberg retrouve avec The Shanghai Gesture un Orient nocturne, cosmopolite et dangereux que seuls ceux qui ont eu la chance de passer à Shanghai ou Tokyo ont pu ressentir. La claustration, déjà présente dans Shanghai Express, se confirme dans la maison de jeu. Le sentiment effrayant de son illettrisme ajoute à cette sensation. On ne critique pas un classique, on le revoit.

No moro Brasil
Karismaki
Ce réalisateur Finnois se filme dans l’hiver de son pays avec un disque de samba échangé contre un disque de rock. Il part retrouver les origines de cette musique. Entre road movie et documentaire musical, ce film est beau parce que la musique brésilienne est une des plus belles. Jobim, Veloso, Villa-Lobos et d’autres sont parmi les plus grands compositeurs de tous les temps. Si la musique est souvent un moyen de s’en sortir, dans les favellas de Rio, elle est l’autre moyen, avec le trafic de drogue.

Life Stinks (Chienne de Vie) Mel Brooks, MGM
Robin Hood Men In Tights (Robin des Bois, les hommes en collant), Mel Brooks
The Producers (Les Producteurs), Mel Brooks, MGM
Le vrai Mel Brooks, tombé en panne à peine sorti de chez le concessionnaire, quitte l’autoroute et tombe dans le Watts, qui rappelle Tikrit ou Falloujah après la visite des « boys », devant être accueillis avec des fleurs. Il en tire un de ses meilleurs films, où deux promoteurs parient la moitié de Watts que l’un (Brooks) ne survivra pas un mois sans un sou, sans carte de crédit et anonyme, dans cette jungle. Un portrait vrai des USA. Broadway et le cinéma sont visés par le réalisateur dans Les Producteurs, son premier long-métrage, où Hitler danse dans une comédie musicale. Dans Robin des Bois, parodie du film médiéval, quand le roi demande à Robin pourquoi le peuple anglais l’écouterait, la réponse est : «parce que, à la différence d’autres Robins des Bois, je parle avec l’accent anglais.» Pour ça et autres fous rires, à voir et revoir. Anne Bancroft est morte. Mel, nous pensons à ta peine. Elle nous manque, à nous aussi, tous les jours.

Andreï Roublev, Stalker, Le Miroir,
Solaris, L’Enfance D’Ivan
Andreï Tarkovsky, MK2 Vidéo
Dans les « classiques », Tarkovsky a une place que personne ne lui conteste. Je ne gardais pas un souvenir vivace de Andreï Roubleev, puisque je l’avais vu en Finlande, en version originale soustitrée en Finnois et Suédois. Mais j’avais sommeil, ce qui tombait bien. J’ai donc découvert ce cinéma d’une dimension à l’échelle, vertigineuse, de ce pays qui est un continent, de culture à la fois millénaire et rustre. Magnifique et magnifique travail de restauration, comme d’habitude chez MK2. Indispensable.

Le Père Goriot (d’après Balzac)
J.-D. Verhaeghe, Montparnasse Vidéo
Ne me demandez pas pourquoi, je déteste Aznavour qui ne m’a rien fait. Le voir en couverture de ce DVD, un « téléfilm » probablement, ne m’a pas donné une grande envie. Alors c’est un soir, très tard, quand toute réflexion est devenue impossible, (vers 18h30 chez moi), que je me suis collé devant l’écran de 17 mètres de base du somptueux triplex que VERSO met, gratuitement, à la disposition de chacun de ses collaborateurs. Et là, j’ai découvert un jeune auteur, ce Balzac dont il me semble, mais je me trompe peut-être, qu’il a de l’avenir. En gravissant les marches du triplex (même pas d’ascenseur intérieur, je vais lancer un mouvement de grève), j’ai décidé de relire La Comédie Humaine. J’en suis à la page 3, j’en parlerai la prochaine fois.
Refusant de parler d’un film ou DVD que je n’ai pas eu le temps de voir et manquant d’espace, j’annonce, dans le numéro à venir, les critiques de ces films :
Les Petits Fils,
2004, Ilan Duran Cohen, MK2 Vidéo
Whisky, 2004 et 25 Watts, 2001, Juan
Pablo Rebella & Pablo Stoll, MK2 Vidéo
Capturing The Friedmans, MK2 Video
La série des lieux de Montparnasse Vidéo, remarquable en tous points…
HHH, Portrait de Hou Hsiao-Hsien, Olivier Assayas, MK2 Vidéo
Mère Fille, Pour la Vie, Paule Zadjerman, MK2 Vidéo
Contes de Saisons, Printemps, Été, Automne et Hiver, Rohmer, Opening.

Guillaume de Boisdehoux
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