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Esthétique
L'envie d'une esthétique lointaine
par Olessia Koudravtseva

Aujourd’hui, parle-t-on toujours des traditions ?

L’art contemporain n’est pas un art sans repères puisque l’artiste cherche sans cesse l’inspiration et inconsciemment il soulève les questions problématiques: répéter une oeuvre déjà créée ou inventer quelque chose de totalement nouveau et individuel, briser les vieux postulats de l’art ancien ou s’inspirer par les chefs d’oeuvres des maîtres du passé. Un autre problème reste toujours actuel, il s’agit du rapport entre le public et l’art contemporain. Si on demande à une dizaine de personnes dans la rue, aimez-vous l’art contemporain ? Soit on reçoit des réponses négatives, soient les personnes interrogées expriment leur incompétence en matière d’art contemporain. L’existence de ce problème se confirme par la solution qu’apportent les établissements culturels pour ces publics. C’est un phénomène qui s’est créé ces derniers temps, surtout en Europe, et qui consiste dans l’installation d’expositions d’art contemporain dans les lieux abritant l’art ancien, tels que les musées, les vieilles villes, les châteaux, les abbayes, etc…

D’un côté l’art contemporain a besoin de courtiser les publics qui préfèrent l’art ancien, mais ce phénomène a encore un but : réhabiliter un lieu peu visité grâce à l’Art contemporain qui est une sorte de curiosité. Les publics, les commissaires, les artistes deviennent des « consommateurs » de traditions. On verra de plus en plus la tendance car elle permet de s’adresser aux publics se trouvant dans plusieurs camps : ceux qui fréquentent des musées surtout d’art ancien, ceux qui investissent dans l’art contemporain et qui ont besoin d’être rassuré par la reconnaissance de la valeur de l’artiste de leur collection et en même temps, le public surtout composé par les jeunes qui appartient à la culture de consommation, ou ceux qui ne s’intéressent pas aux patrimoine culturel, ou encore ceux qui vivent dans les secteurs urbains modernes dégradés, qui sont souvent issus d’une culture lointaine hors d’Europe, mais qui en réalité ont des repères culturels très faibles. Ce conflit culturel propagé en Europe occidentale crée un terrain fertile pour les artistes contemporains et pour les organisateurs des expositions qui s’inspirent de plus en plus des traditions d’art des siècles passés et d’art étranger. Soumis aux conditions de la mondialisation de l’art, ils cherchent de cette façon un art intemporel et international pour trouver un langage compréhensible pour les populations de générations, d’origines et de cultures différentes.

Un exemple de cet intérêt de la part des professionnels du monde de l’Art d’aujourd’hui pour les expériences du passé, nous le trouvons dans un des plus grands événements d’art contemporain non seulement français, mais aussi international, telle que La FIAC. L’édition de La FIAC 2006 devient très significative, car la Foire quitte définitivement les pavillons d’expositions, construits dans les années 1970-80 à La Porte de Versailles pour se réinstaller dans Le Grand Palais. Et une autre partie des exposants de La FIAC 2006 sont accueillis dans la cour carrée du Louvre et dans le jardin des Tuileries. D’un côté, c’est une démarche purement commerciale, mais de l’autre côté c’est la preuve que l’art contemporain n’est plus un art « révoltant » et non officiel, mais l’art reconnu par les autorités culturelles qui trouvent que les publics visitant les monuments d’art ancien sont prêts non seulement à accepter les créations contemporaines placées dans le cadre d’un chefd’oeuvre d’art ancien, mais ils laissent le public faire une liaison associative entre deux univers incomparables du premier regard. Souvent le grand public n’est pas prêt à cela, car il reste non accompagné par les créateurs des expositions qui n’expliquent pas leur logique d’emmener la Foire dans la résidence royale. Les visiteurs se demandent pourquoi un sousmarin arrive dans le jardin des Tuileries, quelle en est la raison ? Pourtant la raison est simple : l’art contemporain a besoin d’appuis, une base prouvée par le temps et par l’opinion publique et il les trouve dans l’art ancien. L’art contemporain « officiellement reconnu » a besoin d’être médiatisé, car sa valeur esthétique n’est pas toujours évidente, même s’il n’y a pas d’inspirations directes venant des oeuvres des maîtres anciens, l’art contemporain présenté non seulement par l’artiste, mais surtout par l’organisateur de l’exposition sera référencé avec l’art ancien. Malheureusement une grande partie des événements d’art contemporain utilise les oeuvres anciennes en tant qu’un fonds sans trop plonger dans l’actualité de l’art ancien, que les artistes voient souvent mieux que les organisateurs. Voila pourquoi il est intéressant d’évoquer les actions artistiques qui révèlent vraiment les traditions de l’art ancien réactualisées aujourd’hui. Nous restons dans le cadre de l’art officiellement reconnu par les collections publiques.

D’abord nous allons nous adresser aux plus grands musées du monde, par exemple, au Musée du Louvre. Aujourd’hui le Musée du Louvre mène une politique en faveur de l’art contemporain, en effet entre les années 2000 et 2008 le musée a organisé plus d’une dizaine d’expositions consacrées à l’art contemporain influencé par l’art ancien. Une des premières expositions faite en l’an 2000, intitulée « l’Empire du Temps. Mythes et créations.» a été composée avec les oeuvres tirées de tous les domaines de civilisation représentés au Louvre, des oeuvres empruntées au musée d’Orsay avec une incursion dans l’art contemporain. Déjà cette première expérience avait pour le but la démonstration des liens entre les siècles et entre les cultures réunies au sein d’un musée de l’art ancien. Le Louvre alors privilégie de dire que les traditions existent toujours dans l’art contemporain. Les dernières expositions nous montrent : le passé et le présent dans « A côté rêve un sphinx accroupi. Des photographes au Louvre » avec des oeuvres de Patrick Faigenbaum (12-11-2004 au 07-02-2005). Les liens entre la tradition et la modernité dans « Contrepoint. L’art contemporain au Louvre » (12-11-2004 au 09-02-2005). Dans « Profondeurs Vertes. Commande à un artiste américain » (14-06-2006 au 25-09-2006) les frontières de l’histoire de l’art traditionnelle ont été brisées.

Dans « Contrepoint 3 - De la sculpture. Art contemporain. » (05-04-2007 au 25-06- 2007) Le Louvre attire l’attention vers l’art ancien grâce aux sculpteurs contemporains. Trois récentes expositions personnelles organisées par le musée dans le cadre de l’art contemporain nous offrent des points de vue sur les traditions artistiques anciennes faites par les trois artistes, tel que : Sarkis (Sarkis. Rencontres avec Uccello, Grünewald, Munch, Beuys, 21-02-2007 au 21-05-2007), Anselm Kiefer (Anselm Kiefer au Louvre - Un nouveau décor pour le palais, du 25-10-2007) et Jan Fabre (Jan Fabre au Louvre - L’ange de la métamorphose, 10-04-2008 au 07-07-2008). Toutes ces expositions nous présentent un travail évolutif pour la mission de l’art contemporain qui de simples citations va vers l’analyse de l’art ancien. L’exposition préparée par le département de l’Art de l’Islam intitulée « Rencontre » nous présente l’art contemporain occidental appuyé sur l’art oriental du Moyen Age dans les oeuvres issues du travail commun de deux artistes italiens inspirés par les Arts de l’Islam. Les calligraphies d’Emanuele Pantanella et les créations contemporaines de Franco de Courten jouent sur les grandes feuilles de papier. Depuis toujours Emanuele Pantanella a été fasciné par le signe et la rythmique à la fois rigoureuse et à la fois dansante des lettres arabes. En voyageant de l’Inde à l’Iran, en passant par la Turquie et le monde arabe, Pantanella cherche la musicalité graphique du mot. Il apprend l’arabe et sa calligraphie, l’architecture particulière de sa graphie : la structure des lettres, les signes souscrits… Franco de Courten est aussi un connaisseur de l’Art Islamique, il a vécu plusieurs années en Orient. Emanuele Pantanella et Franco de Courten se réunissent dans une libre interprétation des particularités de la culture classique de l’Islam que domine l’écrit ; ils y mêlent les signes, les couleurs et le goût de la géométrie.

Si le monde islamique préférait un papier parfaitement lisse, les deux artistes contemporains utilisent un papier à la texture non polie. Alors la plume n’y glisse pas de la même manière, et avec une encre intense elle se tait dans les arrondis et elle laisse apparaître le papier. Comme remarquent les organisateurs de cette exposition : «Peinture et écriture vont en toute complicité. Avec l’humour en partage : un proverbe arabe - « Occupe-toi de ta santé »- accompagne une icône de notre culte du corps, saisie derrière une trame en code - barres. « Grande est la faute de celui qui parle » s’adresserait-il par hasard aux bavardages d’une femme, fût-elle d’Orient ou d’Occident ? ». Cette exposition est une rencontre entre l’art de la calligraphie, des textes remontant aux siècles du Moyen Age et entre une technique libérée, qui ne se manifeste pas contre d’anciennes règles, mais qui cherche à exprimer la particularité de l’art ancien de l’Islam en langue artistique bien explorée par les artistes occidentaux. Depuis 2004, Le Musée d’Orsay lance le projet « Correspondance Musée d’Orsay/ l’Art Contemporain », dans une vingtaine de projets déjà réalisés, l’organisateur principal, l’ancien président du musée Serge Lemoine crée un libre jeux associatif entre une oeuvre qui se trouve dans la collection et une oeuvre d’un artiste contemporain, parmi ces « Correspondances » : J.-F. Millet / J. Kounellis, P.Cézanne / J. Wall, C.Monet / F. Morellet, V. van Gogh / J. Chamberlain et les autres.

De l’autre côté de l’océan, dans The Metropolitan Museum, l’art contemporain présenté ne cherche pas d’appuis dans l’art ancien, la politique des expositions n’est pas analytique, elle n’est pas non plus conceptuelle, elle ne force pas le spectateur à réfléchir, elle est plutôt informative. Par exemple, l’exposition de l’art contemporain « Closed circuit » qui a réuni les artistes de vidéos et des news médias n’a pas de quelconques correspondances avec la collection de l’art ancien du Musée Metropolitan. Metropolitan se dirige vers les expositions de l’art ancien où il y a une forte préférence pour l’art oriental qui se concentre sur Le Proche et L’Extrême Orient à partir de l’époque du Moyen Age. Dans l’intervalle de temps entre 2005 et 2007 trois expositions sur l’art médiéval de La Chine et du Japon ont vu le jour.

L’art de L’Extrême Orient comme l’art contemporain est exposé ici sans aucun « parallélisme », sans jeu associatif, ni avec l’art d’autres époques, ni avec l’art d’autres pays. Par contre, concernant des expositions consacrées à l’art du Proche Orient, The Metropolitan Museum a organisé au cours de l’année 2007 deux grandes présentations du Monde de l’Islam : « Europe and the islamique World : Print, Drawing, Books » et « Venice and the Islamique World (828-1797) » il a choisi de suivre la politique actuellement fréquente dans les musées occidentaux qui consiste en la « réconciliation » de deux mondes à travers des oeuvres anciennes témoignant des liens artistiques, culturels et économiques entre le Monde Arabe et le Monde Chrétien. Pourtant Le Musée Metropolitan n’hésite pas à s’adresser aux associations plus ou moins directes que révèlent des organisateurs de l’exposition « Eternal Ancestors : The Art of the Central African Reliquary » pour montrer que l’art populaire africain a les mêmes racines que l’art occidental et oriental et qu’elles remontent de l’Antiquité Tardive au Moyen Age. Les reliquaires africains des peuples du Gabon de la fin du XIXe- début du XXe siècles, présentant les têtes, les bustes et des figures anthropomorphiques sont comparés aux reliquaires créés au Pakistan au I-IIIe siècle et à celui de St. Yrieix, daté du XIIIe siècle et provenant de l’église de St. Yrieix-La Perche en Haute-Vienne. Revenons en Europe dans The British Museum qui contrairement au Louvre et au Musée Metropolitan reste fidèle à l’art ancien et s’il invite l’art contemporain c’est toujours l’art qui est basé sur les traditions et c’est plutôt l’art populaire et «ethnique» venu des pays lointains. Ainsi au cours de l’année 2007 The British Museum nous présente les expositions d’art contemporain de l’Afrique et de la peinture indoue . Les expositions organisées en 2007 et 2008 consacrées à l’art oriental et occidental du Moyen Age, telles que « The First Emperor, China’s Terracotta Army » et « Tau Cross, Anglo- Saxon early XI c.» montrent toujours un intérêt pour ce sujet, mais elles restent plutôt informatives, qu’analytiques. A l’Est de l’Europe, La Russie qui réunit l’Europe et l’Asie, Le Musée de l’Ermitage à partir des années 1999-2000 a donné carte blanche à l’art contemporain. Aujourd’hui les projets et les expositions se multiplient dans ce musée ambitieux qui veut enrichir sa collection d’art du XXe et XXIe siècles et qui invite de façon permanente les galeries et les musées d’art contemporain, pour présenter aux grands publics les artistes d’aujourd’hui. En 2002, l’Ermitage a acquis « le Carré Noir » de Kazimir Malevitch, en 2004 il présente Ilya Kabakov dans son exposition personnelle « Un cas dans le musée et autres installations », en octobre 2007 l’Ermitage lance l’exposition « l’Amérique aujourd’hui » dans le cadre du projet « l’Ermitage 20/21».

Ce musée n’est pas une exception et il mène une politique progressiste en faveur de l’art contemporain, pourtant la plupart des projets trouve un lien soit avec la collection du musée, soit avec les traditions artistiques anciennes. Parmi ces expositions, celle de l’abstractionniste Wilem Kooning ouverte pour le 400e anniversaire de Rembrandt, retrace les traditions de la peinture occidentale avec ces multiples triptyques destinés aux églises.

Entre 2006 et 2007 le musée se dirige vers l’Art contemporain oriental qui garde plus visiblement les traditions populaires anciennes : en 2006 s’ouvre l’exposition « Les couleurs du Japon dans l’oeuvre de Séridzava Kéyssyké, le maître de la peinture sur les tissus de la ville Sydzouoka » qui revoit l’ancienne technique traditionnelle « kathazomé » sous un angle contemporain ; en 2007 s’ouvre une autre exposition personnelle du maître bijoutier de La République des Adygués Assia Eoutykh qui s’intitule « La tradition et l’actualité dans l’oeuvre d’Assia Eoutykh » qui montre une forte inspiration pour les oeuvres de l’art décoratif avec les ornements et les symboles qu’on trouve dans l’Orient ainsi que dans l’Occident de la période de La Grande Migration des Peuples.

En 2007, en même temps que le Louvre, l’Ermitage ouvre l’exposition qui s’intéresse aussi aux calligraphies arabes dans l’expression des artistes contemporains, mais si « Rencontre » du Louvre se passe entre l’art ancien de l’islam et les artistes occidentaux d’aujourd’hui, « La danse de la plume et des encres » de l’Ermitage présente l’art contemporain du Proche Orient inspiré par les traditions qui déterminent un style national unique. Avant d’arriver à l’Ermitage cette exposition conçue en collaboration avec la galerie privée Triomphe et une commissaire occidentale, Rose Issa (connue par les expositions identiques qu’elle a organisées dans le Musée de Victoria et Albert à Londres) a été d’abord « testée » sur le public moscovite, dans le Musée de l’Orient à Moscou. Cette exposition comportant 36 oeuvres d’artistes venus du Liban, d’Iran, de Tunisie, d’Algérie, tels que : Ali Omar Hermes ; Mohamed Ehsai ILL.4; Nja Mahdaoui ; Etel Adnan ; Rachid Koraichi ; Malihe Afnan devient la plus grande présentation de cette spécialité d’artistes jamais organisée auparavant en Russie, sur le plan que leur art est un art entre le sens symbolique profond et la décoration.

Pourtant ce n’est pas la première expérience de l’Ermitage d’avoir présenté des artistes contemporains qui parlent des traditions de l’Islam. En 2003, dans le cadre du festival international de l’art vidéo PRO/SMOTR à l’Ermitage, l’artiste américaine d’origine iranienne Shirin Neshat révèle les codes sociaux et religieux cachés dans la calligraphie qui semble si décorative aux publics non islamiques. Dans sa vidéo « Turbulent » (1998) présentée au festival, elle aborde des problèmes essentiels de la société patriarcale et fondamentaliste dont elle est issue..

Cet artiste, aujourd’hui installé à New York, nous entraîne aussi vers une réflexion plus profonde, c’est-à-dire dans un monde où l’identité culturelle est en perpétuel devenir. L’oeuvre de Shirin Neshat ne cite pas des oeuvres anciennes, l’artiste souligne ses racines orientales, elle maîtrise bien la langue artistique ancienne, mais elle parle surtout de l’actualité qui est encore fortement liée au passé. L’autre artiste américain présenté dans ce festival, Bill Viola, est attaché à la tradition artistique occidentale. Dans son installation – vidéo, il s’appuie sur le tableau de Pontormo « Rencontre de Marie et Elisabeth » exécuté vers 1530 pour l’église Saint Michel de Carmignano en Toscane et inspiré par la petite gravure d’Albrecht Dürer « Quatre sorcières » (1497). Le Musée de l’Ermitage nous confirme une tendance fortement présente dans les plus grandes musées du monde. La politique de la démonstration de l’art contemporain peut varier, elle peut être : informative, comparative ou analytique. Le statut de ces musées en tant que « le musée de l’art ancien » les oblige souvent à faire le lien entre l’oeuvre contemporaine et les oeuvres de leurs collections, parfois même commander une oeuvre « sur mesure » chez un artiste contemporain. Nous trouvons ces exemples au Louvre qui tient à cette pratique depuis longtemps : il y a plus de cinquante ans, le musée commande le décor pour la salle Henry II à Georges Braque ; en 2007 l’escalier nord de la colonnade de l’aile Sully est décoré par l’oeuvre d’Anselm Kiefer, les créations musicales et chorégraphiques créées spécialement pour cette occasion sont présentées au cours des années 2007-2008. Contrepoint 3 -

De la sculpture qui a eu lieu en 2007 a été marqué par les créations spécialement faites pour le Louvre. En 2006, Le Louvre invite l’artiste américaine Mike Kelley à produire une oeuvre spécifique ; à la fois plasticien, performeur, musicien, critique d’art et commissaire d’exposition, Mike Kelley réalise des installations mixed - média qui associent l’image animée et le son à la sculpture . Ainsi, cela donne une réflexion que les artistes contemporains ressentent aussi fortement que la nécessité pour les grands musées de s’adresser aux traditions artistiques intemporelles. Est-ce que dans leur vie hors « les musées de l’art ancien » les artistes contemporains exposent leurs attachements aux traditions ?

Pour répondre à ces questions, nous allons voir un musée orienté vers les Beaux Arts de tous les temps et de tous les pays, avec un intérêt particulier pour l’art contemporain. Prenons l’exemple du Musée des Beaux Arts de Montréal qui a créé l’exposition « E-Art : nouvelles technologies et l’art contemporain. Dix ans d’action de la fondation Daniel Langlois ». Cette exposition a réunit plusieurs artistes canadiens et américains, spécialisés en mélanges de différentes techniques multi médias pour la création de leurs oeuvres. Parmi ces artistes, trois s’adressent à l’art ancien. Catherine Richards en collaboration avec Martin Snelgrove présente l’oeuvre intitulée « Méthode et dispositif pour trouver l’amour », créée en 2000 en une copie à la demande du brevet d’invention. Cette création est composée par : une vitrine en verre, des circuits électroniques, capteurs, schémas à partir de tableaux de maîtres, tel que : Bronzino, Da Vinci, Da Vignola, Michel Ange et Rubens exécutés sur papier et une citation tirée de la correspondance avec l’examinateur de brevets. Le texte du brevet est un texte protégé, car il se trouve dans une vitrine, comme dans un reliquaire, ce n’est plus un simple texte, mais un texte sacré. En consultant le brevet plus attentivement, nous constatons, que sur les dessins on a superposé des éléments technologiques comme : boucle d’oreille, pince-nez, excitateur de mamelon. Les agrandissements de ces figures accompagnent une citation : « Les dessins sont rejetés parce qu’ils contiennent des images offensantes. Spécifiquement les figures 1, 5, 11, 12, 13 sont considérées contenir de telles représentations qui peuvent être considérées offensantes par plusieurs personnes. Donc, il est requis de les éliminer de la demande. » Alors d’un côté l’écrit est sacralisé par l’artiste comme si c’était La Bible, mais de l’autre côté, par cette réponse « d’un inquisiteur » prononcée comme un verdict à une « sorcière » le texte « sacré » devient une théorie rejetée.

Un autre artiste présenté à cette exposition cherche lui aussi des repères perdus dans sa série intitulée « Travaux de mémoire » et notamment dans l’oeuvre « Je n’ai jamais lu La Bible » (1995) faite avec les circuits électriques fabriqués par l’artiste, le dictionnaire Webster et un haut-parleur.

De cette série sur la mémoire ou sur la rémanence et l’oubli d’une oeuvre évoquant les souvenirs et le déracinement culturel Jim Campbell passe à la frontière de la reconnaissance des images, il se concentre sur la mémoire intemporelle. Ces oeuvres reposent sur plusieurs ambiguïtés, celle de l’image et de sa perte. Dans les « Icônes ambiguës » (2000) ou « l’Église sur la Ve Avenue » (2001) l’image est avant tout dans la tête du spectateur. C’est lui qui reconnaît l’image. Ici, les oeuvres d’artistes marquent ainsi l’ambiguïté du statut des images dans notre monde des bits informatiques. Son oeuvre est aussi un discret plaidoyer pour une herméneutique faisant encore place à l’interprétation humaine, à cette reconnaissance ouverte au jeu des ambiguïtés que portent les sujets humains. Co-exposant de Richards et Campbell, l’artiste américain Eduardo Kac s’intéresse aussi à La Bible au travers d’un autre aspect de la mémoire humaine intemporelle. « Genesis » (1999) est une oeuvre transgénique faite avec une bactérie créée par l’artiste, lumière ultraviolette, ligne Internet et projection vidéo. « Genesis » utilise la méthode de la conversion qui est illustrée par une image faisant partie de l’oeuvre, elle présente un verset de La Bible converti en code Morse, ensuite, une table de conversion traduit en code d’ADN, protéines de base de l’ADN : T (thymine), C (cytosine), A (adénine), G (guanine).

Cette exposition dans le Musée des Beaux Arts de Montréal est très significative, car elle est orientée vers les nouvelles technologies, vers l’art novateur, l’art lié à une autre réalité telle que l’informatique, mais nous comprenons très vite que cet art « novateur » a besoin de s’orienter vers les cultures anciennes, car elles sont porteuses des codes incrustés dans la mémoire du spectateur international. Ce n’est pas étonnant que les artistes américains s’adressent aux oeuvres des anciens maîtres, aux icônes, aux textes sacrés, car ils semblent chercher leurs repères dans le mixage des cultures, dans le « chaos » du mondialisme et des nouvelles technologies. Nous apercevons une tendance valable pour tous les pays, elle consiste dans le fait que le phénomène de l’art contemporain ne se présente pas comme une logique : « l’artiste – l’oeuvre d’art », mais comme celle de « l’artiste – l’oeuvre d’art – l’organisateur d’exposition » et parfois comme une suite: « l’artiste – l’oeuvre d’art – l’organisateur d’exposition – le lieu d’exposition ». Quelle est la place du lieu d’exposition dans le phénomène de l’art contemporain ? En revenant en France qui possède un très grand patrimoine historique, nous constatons que certains sites patrimoniaux invitant les artistes contemporains internationaux ne cherchent pas à établir un lien entre le lieu, son époque, son sens esthétique et les créations des artistes invités. Au contraire ils détournent l’esprit du site pour mettre en place une politique pseudo – intellectualiste basée sur la relation l’art/ publics.

Pour être concrète, je donne l’exemple de l’Abbaye de Maubuisson qui est un centre d’art contemporain créé au début des années 2000 dans le département du Val d’Oise, il se trouve dans le domaine d’une abbaye cistercienne du XIIIe siècle qui regroupe un ensemble de constructions originales du Moyen Age. La directrice du centre qui est en même temps la chargée de la mission pour l’art plastique dans ce département Caroline Coll- Seror fait une déclaration inquiétante : « L’art contemporain n’est pas un art de la contemplation, mais un art de la relation » et elle continue en posant la question à un des artistes invités : « Pouvezvous dire en quoi les oeuvres présentées à Maubuisson explicitent cette relation et le rôle accordé au spectateurs ? De quelle manière sollicitez-vous la participation des visiteurs ? ». Selon elle « l’abbaye est aussi un espace publique, un lien d’échange où l’artiste est en prise directe avec un public ». Mise à part cette affirmation douteuse vis-à-vis de l’art contemporain en général, qui de toute façon ne peut pas être généralisée, ce « principe de Maubuisson » doit être valable pour une méthode subjective de la sélection des artistes invités dans l’Abbaye.

Alors le lieu qui est destiné à être une concentration de l’esprit, de la réflexion sur les sujets intellectuels et religieux, royaume de la méditation religieuse est converti dans l’endroit où la contemplation n’est pas envisageable. D’après « le principe de Maubuisson » l’art est « obligé » de rentrer en contact avec le public, d’être interactif, il n’a pas le droit d’être concentré ou d’être enfermé en lui-même, il ne peut pas être autonome et par conséquent l’artiste qui ne réfléchit pas à la politique du lieu d’exposition, qui ne crée pas l’oeuvre pour un spectateur potentiel n’est pas bienvenu dans ce centre d’art. Bref comme la valeur esthétique de l’art contemporain n’est pas toujours évidente, l’oeuvre « de qualité » pour les responsables de Maubuisson est une « oeuvre – attraction » qui appelle le spectateur à l’action physique, au contact souvent tactile, comme par exemple les appareils de musculation dans l’exposition d’Olga Kisseleva « Douce France » ; la contemplation, le regard méditatif, admiratif, attentif ne font pas partie de la relation oeuvre - spectateur. Intéressant comment un critique d’art actuel ressent cette oeuvre d’Olga Kisseleva, détournant l’esprit original de la salle du Parloir de l’Abbaye : « Les coussins des appareils de fitness sont recouverts de motifs rappelant ceux des tapisseries médiévales, transformant cette salle de fitness en salle de torture Moyenâgeuse ».

C’est triste pour le créateur qui est souvent obligé de suivre ce principe autoritaire de Maubuisson, car il fait (comme Olga Kisseleva dans son exposition « Douce France ») ou adapte (comme J.-C. Nourisson, B. Broisat, F.-X. Courrèges) des oeuvres spécialement pour l’Abbaye selon « les règles » instaurées par ce centre artistique. Et c’est d’autant plus triste que le spectateur n’a plus la possibilité de trouver les liens harmonieux entre un lieu historique et l’art d’aujourd’hui, il est obligé de constater un fossé entre le passé et le présent, sans pouvoir comprendre pourquoi ces oeuvres contemporaines se trouvent dans une abbaye médiévale. Puisque « le projet artistique et culturel de Maubuisson s’éloigne de la pratique classique de l’in situ : plutôt que de partir du lieu pour créer des oeuvres, il privilégie l’univers singulier des créateurs invités à s’exposer dans les espaces mis à leur disposition. La grange à dîmes est utilisée comme un volume, une « boîte noire » propice à tous les possibles ». Non seulement la grange à dîmes, mais aussi les parties réservées aux religieuses sont utilisées simplement comme les « murs » pour « accrocher » les expressions artistiques. Nous avons déjà vu ce phénomène (bien sûr dans son extrémité) dans l’histoire proche, quand les églises ont été reconverties en lieu de stockage pour des légumes, ou refaites en théâtres, ou encore mieux en piscines, quand des couvents servaient de prisons.

Le vrai esprit du lieu est systématiquement détourné et parfois même renversé, par exemple, le parloir qui était la seule pièce dans laquelle les religieuses avaient le droit de parler, l’artiste Jean-Christophe Nourisson a placé des radios abritées dans une installation de laine de verre pour introduire le bruit du monde dans ce lieu protégé. François- Xavier Courrèges installe son autoportrait vidéo « Dreamlike » (2002) dans la salle des religieuses. Stéphane Calais place trois chiens fao de restaurant asiatique « déguisés » en lions chinois devant des vestiges de l’église abbatiale. Mais ce n’est pas dans l’idée de faire des parallèles quelconques entre la tradition orientale et occidentale, ou pour faire des associations avec les traditions médiévales de ces deux cultures basées sur la similitude mythologique, décorative ou symbolique. C’est tout simplement une des oeuvres de cet artiste invité qui a été auparavant exposée dans les salles d’expositions de la Villa Arson à Nice dans « une mise en scène », qui s’appelait « Or, chien et oiseaux » et qu’il fallait placer quelque part sur le site de Maubuisson. D’un côté « le principe de Maubuisson » refuse l’influence du lieu en tant qu’une source d’inspiration pour un artiste contemporain invité, car c’est le lieu qui doit accueillir une expression contemporaine et c’est au spectateur de se « débrouiller » pour produire une opinion, pour percevoir les idées d’artistes et de commissaires d’exposition qui ne se croisent pas toujours. Mais de l’autre côté, les oeuvres qui remplissent les espaces de l’Abbaye de Maubuisson sont souvent tellement « vides » qu’elles « s’accrochent » sur l’esprit du lieu pour en capter une moindre association qui va apporter un sens. Bien évidemment les principaux acteurs dans cette action ne sont pas les oeuvres et même pas les artistes, mais les commissaires mis en place à Maubuisson. Parfois nous y trouvons des adaptations surprenantes entre le lieu d’exposition et le sujet de l’oeuvre comme dans « La Mariée » (2005) de Stéphane Calais qui présente la photographie de mariage de sa mère dans le passage entre le cloître et le jardin et se qui doit « faire référence au mariage christique que les moniales cisterciennes contractaient en prenant le voile ».

L’in situ ou pas, il faut justifier la présence de l’art contemporain dans un lieu du patrimoine, aujourd’hui les commissaires expliquent toujours pourquoi on retrouve un homard suspendu dans des appartements royaux, ou pourquoi un lapin de dessins animés est mis sur le piédestal dans un château. verso 27 Ainsi le Split Rocker - un hybride de jouets d’enfants moitié cheval à bascule, moitié dinosaure animé règne à Versailles, prenant place dans le parc royal. Cette création de Jeff Koons réalisée avec 100.000 pots de fleurs symbolise « la vie et la grâce ». Cette action très médiatisée est marquée par l’édition d’un catalogue « dans lequel les oeuvres sont reproduites in situ dans le cadre d’une installation exceptionnelle ». Les organisateurs de l’exposition valorisant si bien Jeff Koons, mais à peine le Château de Versailles nous donnent un espoir, que cette édition « ouvrira plusieurs pistes de recherches »… La relation entre l’art contemporain et l’art ancien ne vient que de commencer, car l’art contemporain veut à tout prix devenir intemporel.

Olessia Koudravtseva

E. Pantanella, F.de Courten, Aleph-lam.

mis en ligne le 10/03/2009
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