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1) FORÊTS, LE MONDE EN DEVENIR
2) LE SENS DE LA REPRÉSENTATION
VALÉRIE FAVRE - 1) FORÊTS, LE MONDE EN DEVENIR 2) LE SENS DE LA REPRÉSENTATION
par Amélie Pironneau
par Vianney Lacombe

1) FORÊTS, LE MONDE EN DEVENIR
Par Amélie Pironneau

Pour peindre, Valérie Favre frotte sa pratique à d'autres formes d'expériences artistiques, au théâtre, au cinéma, à l'écriture, pas seulement en raison de l'expérience qu'elle a eu de celles ci mais pour enrichir la peinture, pour repousser toujours plus loin ses limites, pour éviter sa clôture dans une définition et un statut définitifs.

L'exposition de ses œuvres récentes au musée de Picardie, notamment l'ensemble Forêt, en est l'illustration.

Valérie Favre a construit d'abord une scène, un univers de l'illusion dans lequel " projeter le spectateur ~ comme pour le faire réellement entrer dans l'espace pictural, corps parmi les corps peints, regard regardé par les regards peints. Peinture-théâtre. Spectateur-acteur invité sur une scène où le premier rôle est tenu par la peinture.

Décor: une forêt, composée de quatorze toiles qui recouvre une paroi de plus de 18 mètres. Une forêt, un espace retranché, un refuge pour la peinture elle-même. Une forêt qui serait l'espace même de celle-ci. Forêt endormie, elle s'étend silencieusement, dans une lumière intermédiaire entre le jour et la nuit, sorte d'univers mi-lunaire, incertain qui laisse entrevoir des sentiers étroits, des méandres obscurs qu'il va falloir emprunter, où il va falloir se perdre pour voir enfin ce qui ne peut se voir ordinairement, qui n'est pas à la surface du visible mais dans son épaisseur. Une forêt profonde pour la peinture parce qu'un lieu pour la pensée, un lieu sans fond où elle puisse s'abandonner à toutes les errances, à tous les égarements. Une forêt comme espace mental où la pensée ne prend pas la forme d'une réflexion mais où elle puise l'intensité qui fait d'elle une pensée fulgurante. Une forêt pour faire surgir les figures qu'elle cache en son fond.
Lapine Univers au corset rouge, 2001. Huile sur toile, 50 x 40 cm Courtesy galerie Nathalie Obadia, Paris.
Sur le mur opposé, a lieu leur apparition. La traversée a eu lieu. La peinture fait corps avec l'épaisseur. Les Lapines, figure récurrente dans la peinture de Valérie Favre, sont enveloppées dans la matière picturale. Elles s'y fondent, non pour y disparaître, mais pour y prendre corps. Apparitions inattendues, à l'instar des histoires étranges contées dans de petites saynètes que constituent ces toiles. Rencontre avec la mort, avec des créatures inquiétantes, avec ce qui fait la matière des rêves. Forêt: univers cosmologique. La peinture, parce qu'elle est matière informée permet la multiplicité des figures. Les Lapines, dont le modelé semble se défaire, y sont à la fois, " fragiles " et " monstrueuses ". Au départ déjà créatures hybrides mi-humaine, mi-animale, elles changent de rôle en changeant de corps; apparaissent en Zorette, en Pinochiette. La peinture leur prête son corps fluide dans lequel elles puisent leurs forces ou s'y anéantissent, actrices muettes d'une pièce incompréhensible.

Une forêt: profondeur de champ, mouvement dans un espace-temps. Peinture-cinéma. "Je suis particulièrement intéressée par le fait de dérouler des événements sur un seul plan fixe " dit Valérie Favre. Comment, à l'aide des seuls moyens picturaux, créer ce déroulement, comment faire bouger l'immobile ? Cadrage: la forêt, peinte à la manière des " panoramas du XIXème qui pouvait aller jusqu'à imiter un angle de prise du vue de 360°", constitue un espace clos, autonome, qui contient le monde à lui seul. Rien ne vient de l'extérieur et c'est là la condition même de la visibilité qui s'y déploie. Ce qu'il y a à voir n'existe qu'à l'intérieur de lui.

La peinture, espace immobile par excellence, produit ici d'incessants mouvements, " le mouvement du monde " auquel l'artiste, pour Valérie Favre, participe. Mouvement, non pour parcourir sa surface identifiable mais son fond informe.

Dans la substance vaporeuse et enveloppante de la peinture, les figures ne prennent pas de forme fixe et achevée. A la limite de la dissolution, elles circulent dans la profondeur de l'espace qu'elles creusent en se métamorphosant, passent d'une toile à l'autre sous un aspect à chaque fois différent. Forêt, peinture, cosmos: les Lapines n'ont jamais à ce point fait corps avec l'Univers et ses mutations infinies. La matière sensible de la peinture, en apparence inerte, crée un mouvement organique qui empêche toute chose de s'établir définitivement.

Les couleurs, selon leur degré d'intensité ou de dilution, ainsi que les contours, selon qu'ils soulignent ou laissent s'engloutir les formes, constituent les moyens de rendre visible ces transformations.

Le spectateur est conduit à faire l'expérience de ce mouvement en ajustant son regard sur ce qui se dérobe ou surgit dans l'élément fluctuant de la peinture, en se déplaçant d'une toile à l'autre, à la recherche d'une cohérence perdue, d'un sens absenté qui forcent à voir ce que Valérie Favre appelle " un événement ", c'est à dire quelque chose d'absolument nouveau, pour l'œil et l'esprit, qui survient, avec lequel la peinture nous met en contact, par une sorte de dévoilement de ce qui forme non-visuelle, reste obscur et informulé, parce qu'il ne peut être dit.

Peinture-écriture qui emprunte alors à la poésie sa force créatrice, cette parole paradoxale qui commence au moment où les mots font défaut. La Forêt, peinture-poésie " où la transparence de la pensée se fait jour de par l'image obscure qui la retient, où la même parole, souffrant une double violence, semble s'épaissir, se remplir de la profondeur parlante, incessante, murmure où rien ne se laisse entendre *. (Maurice Blanchot. Une voix venue d'ailleurs).

konstierein Freidrichnafen, Allemagne, 23 mai-16 juillet.
Centro del Arte Salamanca, Espagne, 22 août- 15 octobre.
Kunatlerein Munster, Allemagne, Galerie Wohumschine, Berlin, Allemagne, mars 2004.
Galerie Nathalie Obadia, mai 2004.


2) LE SENS DE LA REPRÉSENTATION
Par Vianney Lacombe

Le travail de Valérie Favre impose une nouvelle direction à la peinture en déplaçant le centre d'intérêt du tableau à l'extérieur de nous-mêmes, et en réorganisant l'espace pictural autour de notre absence. La sauvagerie et l'innocence de sa peinture sont celles de l'univers instinctif séparé de la présence humaine. Le radicalisme absolu de son travail montre ce que la peinture devrait être, si l'homme disparaissait en tant que conscience, et que le tableau recomposait le monde à un niveau d'existence qui n'est pas le nôtre. Ainsi nous croisons des chairs dans les forêts de Valérie Favre, mais ces chairs sont amputées de tout prolongement qui n'est pas immédiatement nécessaire à l'impact visuel et émotionnel de la toile. Dans son Triptyque l’immense carnation des jambes chaussées et surmontées d'un embryon de robe n'a d'autre fonction que de nous faire découvrir la nouvelle beauté d'un objet amputé de sa signification humaine et de le reproportionner dans une réalité différente qui le comprime au sein des autres vitalités qui se partagent la toile.

Dans la série des Lapines Univers Valérie Favre nous montre les autoportraits d'une artiste confrontée à la nécessité de retrouver dans un espace pictural ce que le monde des images actuel a rendu impossible, en vidant de son sens la représentation humaine. Cette impossibilité, Valérie Favre décide de s'en servir en substituant aux images désormais inopérantes la représentation d'existences considérées par nous comme insignifiantes. La tache aveugle que représente l'animalité pour notre conscience est ici explorée, mise en scène et jouée en relief au détriment de la minceur du comportement humain, qui n'est plus considéré comme porteur de sens et doit donc être supplanté par celui d'un autre animal, une lapine univers évoluant dans une flore et une faune à sa mesure, rétablissant l'ordre ~ premier des sensations par la sauvagerie enfantine de son | regard débarrassé de la hiérarchie imposée par la présence centrale de l'homme. Ainsi toute peinture redevient possible par ce déplacement du sens à l'extérieur de notre existence, par une considération de toutes les pensées muettes, et leur restitution dans un tissu neuf de sensations, et par l'accueil de tous les possibles dans ! l'espace pictural du tableau. Car c'est le pinceau et son rythme qui explorent cette nouvelle sylve et ses habitants rendus à leur i liberté originelle, seulement attentifs aux organismes qui se | pressent et demandent à être décrits, prestiges archaïques de l'enfance dans sa non-séparation de tous les règnes, pensées de i feuilles, de branches et de fourrures qui montrent les risques encourus par Valérie Favre dans sa narration d'un au-delà de notre présence dont notre conscience s'est toujours détourné, un nouveau cadre pour la peinture dans lequel le regard consent à nous oublier pour explorer ce que notre intelligence a toujours négligé.
Amélie Pironneau & Vianney Lacombe
mis en ligne le 01/09/2003
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