Art en ligne et censure
Un mail de Nicolas Frespech


23-04-02
Une nouvelle lettre pour essayer de comprendre !

Rappelez-vous votre dernier secret échangé, cette volonté de se confier et ce sentiment de libération.
L'Internet n'a fait que multiplier ces échanges d'informations. Images codées, Smileys, mails crypté en Rot13. Un flot de données incessant portant avec lui autant de sérieux que de futile, autant de public que de privé.

Le site des secrets a pour vocation de laisser une place, un espace virtuel où tout un chacun peut se laisser aller à la confidence. Oeuvre collaborative, elle affiche sous forme de diaporama aléatoire un état du monde. Sa force tient dans le fait que chaque secret peut se rapporter à un autre, trouver aussi un écho chez le "regardeur". Les secrets sont présentés anonymement, aucun contact n'est établie par la suite avec l'offreur de secret. Les mails qui apportent ces confidences sont rigoureusement triés et  sélectionnés pour que secret ne rime pas avec règlement  de compte et autre incitation de haine.
Les secrets des autres deviennent en quelques sorte nos secrets, une appropriation virtuelle d'une confidence. Amour, amitié, travail sont les principales thématiques dégagées de ce flots de secrets, le site devient un révélateur de l'autre.
 
Ce site Internet, en constante évolution à été acheté par le Fonds Régional d'Art Contemporain Languedoc-Roussillon en 1998. L'art en ligne se vend mal, il était important qu'une structure dévouée à  la jeune création encourage ce type de démarche artistique. Intégrant une collection publique d'art contemporain, le site des secrets devenait alors une oeuvre d'art à part entier.

Malheureusement, le site est fermé depuis décembre 2001 sur décision de la Région Languedoc-Roussillon qui du jour au lendemain (et presque quatre années plus tard)  n'y voyait plus une oeuvre d'art mais une insulte à "la bonne morale".
Cette décision a été prise sans aucune prise de contact avec l'auteur de l'oeuvre et cette décision injuste et arbitraire a détruit cette création en ligne. Bien entendu, on pourrait penser qu'une oeuvre numérique peut se dupliquer à l'infini, ce qui est vrai, mais le site Je suis ton ami(e)et tu peux me dire tes secrets constituait un Work in progress, c'est à dire une oeuvre qui se construit tous les jours. Le site était actualisé régulièrement, profitant des apports de nouveaux secrets, le site évoluait aussi avec les dernières techniques offertes.

La première version du site, sa matrice en quelque sorte a disparu, ni la Région, ni l'hébergeur du site ne veulent dire où se trouve cette création ! ! !
On ne peut la considérer en réserve, ce qui est en réserve existe, un site web n'existe pas si il n'est pas présent, ou du moins si les données qui le compose ne sont pas en ligne. Cette censure semble irrévocable, comment pouvoir la discuter alors que le site n'existe plus ?
L'oeuvre semble définitivement condamnée.
Quand un hébergeur accueil votre site, il vous donne les codes d'accès à votre serveur, exactement à l'image d'un artiste qui a les clefs de son atelier. L'existence du site des secrets tient aussi de ce paramètre important, interdiction d'avoir accès à sa création, interdiction de la faire vivre, il n'y a rien de plus frustrant et de plus triste que de ne plus avoir accès à son travail.
Du jour au lendemain vous êtes mis dehors, sans aucune explication !
 
Le politique se mêle à l'artistique. Il est bon de savoir que les collections d'art contemporain du Frac Languedoc-Roussillon sont riches. C'était le travail d'Ami Barak que de constituer une collection d'art porteuse de sens, représentative de notre époque.

Ami Barak vient d'être licencié par la Région.Internet est devenu un outil d'expression au même titre que la peinture acrylique ou que la vidéo. La censure dans l'art a toujours existé, mais elle est en général le fait d'Etats totalitaires. Comment se peut-il aujourd'hui que l'on "taise une oeuvre" loquace et par delà la parole citoyenne.

Comment se fait-il qu'une décision politique soit plus forte qu'une décision artistique ?
Comment se fait-il que ce genre de censure se fasse à l'écart du citoyen ?
 
La peur qu'engendre le net, les événements du 11 septembre commencent à formater le net. Outil d'expression, le réseau est la proie des censeurs, des moralistes extrémistes .

Le site des secrets n'existe plus, pourtant, il doit retrouver son domicile, le site Internet du Frac sur lequel il était hébergé depuis 1998. Cette oeuvre n'existe que par le fait qu'elle soit vue, que les données qui la composent existent sur un serveur Internet.
Il est temps de réfléchir , de se concerter pour que ce type d'abus n'existe plus. Il faut que les créateurs, responsables soient protégés par des contrats validés.
Sans un minimum de respect à l'oeuvre et de garantie législative, la création en ligne ne
pourra se développer.
Supporteriez vous qu'on vous enlève vos pots de peinture sous prétexte que ce que vous
faites ne convient pas ?
 
 Nicolas Frespech
http://www.frespech.com/
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