Les artistes et les expos

Solange Galazzo (galerie Lelia Mordoch jusqu’au 18 février)
par Gérard-Georges Lemaire


La peinture peut-elle encore être le territoire de la sensualité pure - ou impure, comme on préfèrera l’envisager ? Il y a dans les tableaux de Solange Galazzo une gourmandise de la couleur qui rappelle celle des artistes fauves et des membres du Cavalier bleu. Et on y décèle, quand on la fréquente un peu, d’autres péchés qui, dans l’exercice moderne de cet art, se transforment en de paradoxales vertus (même si elles ont le goût troublant d’une transgression qui procure un violent frisson et, en même temps, une douce délectation). Mais – c’est ce qui la distingue de ses lointains prédécesseurs de l’aube du siècle dernier –, elle n’hésite pas à associer des tonalités dissonantes qui engendrent une rupture dans les conventions de l’harmonie. En sorte qu’elle fait apparaître des harmonies nouvelles dans un registre onirique (elles ne pastichent donc pas celles de l’expressionnisme quelques soient leur parenté lointaine) et dans une réinvention insolente des codes qui ont pu régir les lois de la relation entre le monde sensible et des états d’âme qui le traduit dans le langage de l’art pictural.

Dès qu’elle s’attache à décrire la vie sauvage sous des cieux lointains, avec de grands félins pour modèles, elle traduit ces espaces de la liberté inconditionnelle des sens par une métamorphose permanente des formes littéralement abstraites dans l’effervescence d’un exotisme qui ne s’inspire ni du Douanier Rousseau ni de Paul Gauguin, mais qui appartient à son imaginaire propre, sans analogie aucune avec des périples esthétiques hérités du passé. Et pourtant, elle en préserve l’esprit. Toute figuration est chez elle projetée dans le tourbillon magique de tensions chromatiques intenses. Et quand elle s’emploie à traduire dans les termes de sa poésie plastique l’extravagant gigantisme des métropoles modernes d’autres continents, elle en extrait les essences les plus contradictoires. Ce ne sont pas tant les architectures vertigineuses qui la concerne, mais ses masses colorées qui s’organisent selon un effet d’ensemble qui n’a d’autre raison que celle que dicte sa fantasmagorie. Des orangés vifs, des violets profonds, des jaunes de crépuscules incertains sont alors associés à des noirs saturés (ou plutôt des effets de noir) qui se fondent dans un grande impression de nuit illuminée.

Tous ces nocturnes féeriques dans des cités désormais fictives (qui peuvent être souvent associées à des vues maritimes) ont en commun une abolition des frontières entre la terre, le ciel, le feu du ciel et l’eau, qui ne sont plus que suggérés. Des incrustations de paysages de coquillages et des kyrielles de petites lumières peuvent introduire de petites taches lumineuses au sein de ces nuits intenses.

Ces oeuvres urbaines de Solange Galazzo n’a pu s’édifier qu’en épousant la logique équivoque du désir et d’une approche sensuelle du sujet, même si de grands thèmes cohérents et structurés se dégagent de ces suites. Mais sa démarche théorique de ses idées picturales lui impose de toujours construire plusieurs cycles simultanément. C’est ainsi qu’elle a imaginé en parallèle à ces compositions tournées vers l’architecture un certain nombres d’échelles. Il est indubitable qu’elle a été inspiré par la symbolique chrétienne, celle de Jacob ou celle de l’échelle de la mémoire. Quelques soient ses sources, il s’agit de toute façon de dresser un pont entre la terre et le ciel. Pour ce faire, elle a employé de vieilles échelles en bois abandonnées par les employés de la voirie. Elle les a récupérées, les a laissés telles quelles, se contentant de combler les espaces entre des marches avec de la toile. Cette occultation des vides lui permet de peindre des paysages qui sont vécus comme une série de variations. Elle décline ces vedute en fonction de la dimension décroissante de ses toiles qui constituent autant d’étapes d’un cheminement de l’oeil, d’une ascension qui va du plus concret au plus abstrait.

Solange Galazzo, en fidèle émule de Stéphane Mallarmé, aime peindre des éventails ou encore des feuilles de lotus (qui finissent d’ailleurs, en séchant, par ressembler à des éventails aux formes arrondies). Ce goût particulier pour la poésie fragile de cet objet décoratif évoquant toute la nonchalance sensuelle de la femme, remet en mémoire ceux que le jeune Oskar Kokoschka avait peint pour sa maîtresse, Alma Malher. On en retrouve parfois la présence dans certains de ses tableaux, par exemple dans le Frémissement d’éventails sur la ville, la nuit (2004). Entre l’éphémère et l’éternel, ces compositions fragiles participent de sa recherche anxieuse et passionnée de ce que la peinture peut faire affleurer à la surface de la conscience de jardins souterrains qui sont en réalité d’épaisses forêts tropicales et de quartiers qui se révèlent les labyrinthes à la fois inquiétants et fascinants d’un cheminement intérieur qui se déroule dans le plus grand secret et dont ne transparaît que les sublimations.

Gérard-Georges Lemaire

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