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Dossier Gilles Ghez
Tout m’inspire
Dossier Gilles Ghez : Tout m’inspire Entretien entre Gilles Ghez et Jean-Luc Chalumeau
Entretien entre Gilles Ghez et Jean-Luc Chalumeau
Jacqueline Taïeb, Sans titre. 114 x 195 cm.
Gilles Ghez, A propos d’Alfred, 2005.
31 x 31 x 16 cm. coll. privée.



J.-L. C. :
J’imagine que tu aimes aussi la bande dessinée.

G. G. : Naturellement, étant entendu que la B.D. n’est pas ou pas seulement de la sous culture. Hugo Prat, Bilal, Edgar P. Jacobs ont porté la B.D. au niveau de l’art. Je peux aussi dire que si j’ai aimé La Marque jaune, sur un tout autre plan, j’ai eu un des chocs de ma vie avec l’Age d’homme de Michel Leiris et une véritable passion pour les textes de La règle du jeu.

J.-L. C. : Parmi les peintres que tu dis admirer, il y a nettement plus de morts que de vivants. Cela veut dire quelque chose ?

G. G. : Non, pas précisément. J’ai donné des noms de peintres bien vivants, Dieu merci, et s’il y a pas mal de noms de l’histoire de l’art, c’est sans doute simplement que c’est dans le passé qu’il faut chercher ceux qui m’ont le plus influencé.

J.- L. C. : Chez les vivants, il s’agirait de connivences, d’amitiés ?

G. G. : On ne peut pas dire cela. Je répondrais sans orgueil particulier que je fréquente peu les artistes contemporains.

J.-L. C. : Il y a une solitude de ton oeuvre qui correspondrait à la solitude de son auteur ?

G. G. : Tout à fait. Une solitude involontaire sans doute, mais ceux qui disent que je suis d’un naturel un peu sauvage doivent avoir raison.

J.-L. C : Tes boîtes n’étant ni sculptures ni peintures, comment peut-on définir Gilles Ghez ? Est-ce tout de même un peintre ?

G. G. : C’est un artiste : c’est tout ce que l’on peut dire. D’où un réel problème, car les gens aiment bien les classifications.

J.-L. C. : On doit se contenter d’observer que ton art est résolument figuratif.

G. G. : J’ai cependant aussi fait des choses abstraites, je sais juxtaposer des formes et des couleurs : ça m’intéresse et m’amuse. Mais d’une manière générale, oui, je suis figuratif alors même que certaines boîtes, par exemple celles construites sur le thème des cheminées de paquebots sont en fait des compositions abstraites, la « figuration» ne tenant qu’à quelques détails.

J.-L. C. : Chacune de tes oeuvres fait en tout cas la preuve de beaucoup d’imagination : sont-elles minutieusement préconçues avant exécution ?

G. G. : Pas du tout. Le résultat est toujours imprévu, d’où des distorsions entre les dessins préparatoires et la boîte finale.

J.-L. C. : Ce qui fait que, d’une certaine manière, tu es un artiste conceptuel.

G. G. : Tout artiste est conceptuel, à quelques exceptions près : les purs expressionnistes comme Pollock ou les artistes du cri comme Munch.

J.-L. C. : Par ailleurs tu es très matiériste aussi, car dans tes oeuvres les matériaux ont une importance évidente.

G. G. : On y trouve du bois, du papier, de la toile, du carton, de la colle, de l’huile… énormément de choses en effet. Un artiste travaillant dans les trois dimensions est forcément un matiériste.

J.-L. C. : Parce que tes boîtes présentent des petits spectacles au sens le plus théâtral du terme, tu es encore un scénographe. On pourrait même imaginer le passage de tes oeuvres à la dimension d’une véritable scène.

G. G. : J’ai effectivement eu affaire avec le théâtre, mais je collaborais avec des troupes désargentées, ce qui était fort gênant compte tenu des exigences techniques du passage de mes boîtes à l’échelle d’un décor. J’ai ainsi participé au montage, à Lyon, d’une pièce de Jarry en tant que responsable des décors et des costumes, le metteur en scène étant Gilles Chavassieux, avec des contraintes financières telles que je n’ai pas pu parvenir au niveau de perfection dans la réalisation que j’aurais souhaité. La Maison natale de Henry James a aussi été transformée en boîte par mes soins sur une scène : une boîte qui s’ouvrait comme descend un pont-levis, toujours pour une mise en scène de Gilles Chavassieux, que j’avais incité à adapter au théâtre la nouvelle de James.

J.-L. C. : Abandonnons ton passé théâtral et parlons de l’avenir : quels sont tes projets ?

G. G. : Je n’en ai aucune idée : c’est le travail qui m’indiquera des directions. Ce n’est pas parce que je voudrais travailler sur un thème particulier que le travail m’obéira. C’est lui qui me tire et dirige mes oeuvres. Je m’entraîne parfois dans des directions que je n’avait pas envisagées

J.-L. C. : Tu as déjà beaucoup évoqué les atmosphères de pluie des romans de Simenon.

G. G. : Et aussi les vues de Londres, bien sûr, la ville du brouillard et de la pluie. Londres que j’ai beaucoup aimée autrefois et que j’aime moins aujourd’hui parce qu’elle s’est mise à ressembler à toutes les autres grandes villes du monde. Les indomptables britanniques ressemblent à tout le monde, c’est dommage. Heureusement, les italiens me paraissent plus solides dans la défense de leur identité.

J.-L. C. : Tes boîtes multiplient les références à des pays proches ou lointains : es-tu un grand voyageur ?

G. G. : Pas du tout. J’ai peu voyagé, sinon à la manière de Raymond Roussel, enfermé dans son cabinet de travail. Je suis certes allé en Inde, mais j’avais commencé à faire des boîtes sur l’Inde bien avant de voir le pays, de même pour Hong-Kong.

J.-L. C. : De toute façon, ce n’est pas le monde d’aujourd’hui que tu décris, c’est plutôt celui de l’âge colonial.

G. G. : Il s’agit en effet du début du XXe siècle. Je ne vais pas plus loin que les premières années 50. Par exemple, les hommes portent des chapeaux : ça marque bien l’époque. Mais je me sens tout aussi bien capable de parler de l’avenir et de passer à la science fiction.

J.-L. C. : Tes boîtes contiennent souvent des notations érotiques.

G. G. : Pas toutes, mais je ne conçois pas d’exposition sans que plusieurs boîtes aient un contenu érotique. Il y a beaucoup de couples dans mes oeuvres, et j’aime évoquer les rapports qui peuvent se nouer entre les dames et les messieurs. Mes couples sont en voyage, et donc souvent confrontés à des éléments déstabilisants.

J.-L. C. : Et enfin je note une constante importante dans ton oeuvre : le compartimentage en séquences.

G. G. : Les paquebots, par exemple, qui sont de véritables villes avec des classes sociales séparées, me permettent de parler d’histoires et de milieux différents en montrant plusieurs scènes simultanément. Il y a lutte de classes, conflits raciaux…
On croit parfois que j’ai la nostalgie de l’époque coloniale parce que c’est un univers que j’ai beaucoup montré. C’est une grosse erreur! J’ai toujours pratiqué une critique sans concession de l’esprit colonial et de ses conséquences. Je crois que cette critique est toujours nécessaire, même si les formes de l’oppression des hommes par d’autres hommes évoluent. Il y a bien un discours que l’on peut qualifier de politique derrière les petites histoires que je raconte d’une séquence à l’autre.

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Jean-luc Chalumeau
mis en ligne le 05/01/2006
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