Dossier Anne Gorouben

Autoportrait gueule de bois
parAnne Gorouben

« Je fais des portraits…»
Rembrandt, peintre

« Alors, par exemple, j’ai votre ekta sous les yeux. Expliquezmoi donc en quoi un autoportrait c’est de l’art contemporain…» Une « commissaire d’exposition », vers 1990

« Ma petite fille chérie, j’adore ta peinture, mais c’est tellement sombre tu comprends, on voit mal. Tu ne peux pas faire plus clair ? »
Mes grand-mères

« Votre peinture, il y a actuellement trois personnes à Paris qui peuvent la voir…»
Fabrice H., conservateur à Beaubourg, 1992

« Tes personnages, là, sombres, des ombres, là t’es géniale. Mais les chiens, tes chiens je les déteste, je ne comprends pas, ils m’angoissent complètement…»
Un ami psychanalyste, 2005

« En fait, tu es un parasite…»
Mon oncle, 1986

« Moi j’comprends pas pourquoi tu me dessines moi avec la tête que j’ai. Parce que tu sais, t’as du talent, je t’assure, t’irais place du Tertre tu gagnerais drôlement bien ta vie, là-bas tu te ferais des sous, alors qu’ici…»
Jean-Claude, Foyer d’hébergement de nuit Emmaüs de Ste Anne, 2000

« Je ne comprends pas pourquoi tu peins des choses si tristes : quand tu étais petite, tous tes dessins étaient si vivants, si colorés, si joyeux… »
Ma mère

« Votre peinture, elle est sombre, triste, parce que votre vie doit être triste. Quand vous serez heureuse, vous verrez votre Art sera plus gai…»
L’ancienne directrice du Musée d’Art d’Odessa, bon membre du Parti, 1998

« Et bien tu vois, dans cette série, c’est « les solitudes » que je préfère. C’est le plus sombre, le plus triste, mais c’est celui qui me touche le plus… »
Ma mère, 2004

« Alors, ça donne la pêche ? » (de dessiner au samusocial)…
Mon voisin Frédéric Roux, artiste et écrivain, 2005

« La peinture c’est fini, alors la figuration ! Enfin tu fais comme tu veux…»
Ma voisine Marina F., peintre, 1993

« C’est avec des gens comme vous que je veux travailler : les étudiants arrivent, ils ne savent pas dessiner…»
Richard Peduzzi, directeur de l’ENSAD, 1992

« Vos carnets sont magnifiques, les dessins, comme ça il faut les publier. Mais je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin de faire ces grands fusains, là, c’est très lourd…»
Philippe D., historien et critique d’art, 1993

« Anne Gorouben, ah mais votre oeuvre n’est pas assez visible…»
Jean Clair, historien de l’art, écrivain, 2006

« Vraiment tu devrais faire de l’illustration, je te l’ai toujours dit, et tu gagnerais ta vie…»
Ma mère

« En fait vous vous constituez une autobiographie parallèle en peinture…»
Pierre Cabanne, 1986

« Dans vos cafés, il n’y a pas d’objet, ni tasse, ni verre. En fait chez vous on ne consomme pas…»
Philippe D., historien de l’art, écrivain

« Vos tableaux, c’est très crépusculaire, ou, oui très crépusculaire…»
Olivier K., Délégué aux Arts Plastiques, 1995

« Ah vous êtes peintre, mais vous savez, moi aussi je peins il faut que je vous montre, revenez me voir…»
Une documentaliste, Consistoire de Marseille, 1999

« Je connais votre travail, c’est un peu du Degas ! »
Enfin, depuis Degas, il y a eu Proust
« Je ne vois pas le rapport, c’est de la littérature »
Mais, et la position du sujet ?
Dialogue avec Gwenolée Z., galeriste, 1993

« Ce qu’elle faisait avant, c’était mieux…»
Un ami historien d’art à ma galeriste, 2001

« Arrête avec Odessa ! Tu te fais mal ! Tu nous fais du mal ! »
Ma mère, mon père, 1999

«Ça alors, c’est vous Anne Gorouben… Avec votre histoire d’Odessa, je vous prenais pour une vieille femme ! Mais vous êtes une punkette…»
Yves Michaud, philosophe, 1999

« J’ai un problème avec toi, tu parles trop…
plus tard
C’est idiot, j’ai oublié mon magnétophone, il aurait fallu que je t’enregistre…»
Françoise M., une amie critique d’art, 1996

« Tu comprends, moi je vois le tableau, ce que tu me racontes, ça ne me regarde pas. Cette histoire, que le paysage c’est son rêve d’avenir. Moi je vois que tu es hors sujet, le sujet, c’est la rue…»
Mon ami Itzhak G., historien et critique d’art, 2007-06-01

« Mais dites-moi excusez moi mais, vous arrivez à en vivre? »
Des gens

« Dites, je voulais vous demander, vous avez une cote, quoi, une cote d’artiste; vous êtes cotée? »
Mon marchand de journaux

« Vous vivez difficilement de votre peinture, pensez positivement, enfin ! Prenez un travail à mi-temps, caissière à Monoprix par exemple et vous aurez l’esprit tranquille pour peindre ; et arrêtez de vous plaindre…»
Docteur N., dermatologue, Institut Pasteur, 2003

« Alors ton exposition, comment ça va, tu travailles?…»
Mes grand-mères, ma grand-tante, mes cousines

« Il est en réunion, impossible de vous le passer, rappelez dans dix minutes. »
plus tard
« Il est en ligne, mais dans cinq minutes…»
Secrétariat d’Art Press, 2005

Dans le courrier que je lui avais envoyé il y a deux mois j’avais mis une enveloppe timbrée pour le retour.
« Rappelez donc Richard L., pour l’instant il est en réunion, mais dans dix minutes…»
Secrétariat d’Art Press, 2005

« D’accord, on t’a fait du tort, ET ALORS…»
Isabelle d. M., Comité d’organisation de la Biennale d’Issy, 1999

« Mais puisque je vous dis que votre dossier, je l’ai cherché, qu’il est nulle part ici je vous l’ai déjà dit. Euh, attendez, c’est peut-être CE CHOSE LA, sur mon bureau…»
La responsable des relations culturelles avec l’Ukraine à l’AFAA, 1998

« Je suis désolée que votre oeuvre ait été volée ; mais vous savez, celle qu’on vole c’est toujours celle qui plaît…»
Simone B., Directrice de la Cité des Arts, 1989

« Vos monotypes avec vos personnages, vous pourriez trouver un autre thème : des joueurs de rugby par exemple…»
Philippe D., historien et critique d’art, 1994

« Mon talent vaut bien le vôtre ! »
Rebecca M., psychanalyste lacanienne (sur la question de ses honoraires), 2000

« Tu travailles au pastel sec ? C’est très séducteur comme technique…»
Ma voisine Marina F., peintre, 1992

« Mais tu fais complètement fausse route, tu te plantes avec le pastel !… »
Mon amie Edith D., peintre, 1987

« On ne devient pas Marilyn, on l’est !…»
Lucien Durand, galeriste, 1987

« Après la chute du Mur, vous construisez un mur de chutes…»
Marie-José M., philosophe et historienne de l’art, 1996

« Mais qu’est-ce qu’elle fait avec les S D F ? faut qu’elle aille à Disneyland !…»
Un étudiant de l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes, 2007-06-01

« Elle fait des photos, elle fait des photos !…»
Une vieille musulmane se cachant le visage à mon arrivée au café, 1983

« Tu es une drôle d’artiste, tu es comme vieux chinois qui dessine toujours mêmes poissons dans même aquarium…»
Géorgui Pinkhassov, photographe, 1988

« Vous comprenez, chère Anne, vous êtes une artiste inclassable, avec vos références littéraires, on ne peut pas vous caser, vous embêtez les critiques…»
Gérard-Georges Lemaire, historien d’art et écrivain

« Et bien tu sais, Anne, quand je suis arrivé le Permanent m’a dit qu’il y avait quelqu’un qui faisait des portraits, mais moi, ça m’intéressait pas alors je suis allé manger. Quand je suis passé dans le salon, j’ai vu que tout le monde était dans le jardin et toi t’était là complètement déprimée toute seule, j’me suis dit que je pouvais pas te laisser comme ça et j’ai posé. Et bien tu vois, d’abord la conversation c’était drôlement sympa, mais quand tu m’as montré le dessin, je me suis rendu compte que ça faisait bien longtemps que je m’étais pas regardé. Et pour ça, Anne, je te remercie…»
Josian, Foyer d’hébergement Emmaüs, Sainte Anne, 2000

« Vos dessins sont magnifiques, c’est remarquable. Moi ces gens je ne les vois jamais comme ça, apaisés, je les vois dans l’urgence ; vous leur rendez toute leur dignité. Venez faire un carnet de route au samusocial, son histoire en dessin, vous avez toute votre place ici !…»
Xavier Emmanuelli, 2004

« Vraiment je ne comprends pas : qu’est-ce que tu attendais de lui ? Tu ne sais pas qu’il n’y a rien à attendre ? Qu’il t’a demandé de venir, oui d’accord, qu’il ne soit jamais monté voir à l’étage ce qui se passait en trois mois, c’est comme ça pour eux. Les pauvres c’est quand il y a des journalistes…»
Une amie travaillant dans le social dans le 94, 2007

« D’accord, c’est sûr, tu comprends ; mais quand t’as fini tes dessins, toi, tu rentres chez toi…»
Claude, foyer d’hébergement Emmaüs, Sainte Anne, 2000

« Vous ne pensez pas qu’on peut vous reprocher de faire de l’argent sur le dos des pauvres?…»
Une jeune journaliste stagiaire sous influence à Libération, 2006

« Pourquoi tu t’attaques à des sujets si durs, on dirait que tu les cherches et tu persistes et tu ne vends rien parce que qui va t’acheter un portrait, en plus de S D F… »
Anne Gorouben, peintre, 2007-06-01

« Vous n’êtes pas une artiste inconnue, vous êtes une artiste méconnue : il faut faire un livre. Trouvez un mécène, avec trois cent mille francs, on fait un livre…»
J.L.C., critique d’art, 2003

« Vous dessinez des gens qui attendent ; en fait, vous êtes perdue…»
Jean-Pierre Ostende, écrivain, 1999

« Votre mot m’a profondément touché, sachez-le. Il s’agit là de ces signes dont on a un tel besoin… »
Courrier de Jacques Derrida, 1990

« C’est formidable, lorsque je me mets à repenser à toutes ces paroles que l’on m’a dites pour m’aider dans la vie, je me rends compte que je n’oublie pas beaucoup, et cela forme un étrange mélange, cela dessine joliment ce qu’a si bien nommé mon amie Nancy* : un autoportrait à la gueule de bois…»

Anne Gorouben, peintre, 2007

* Nancy Sulmont, artiste-lithographe (le petit jaunais)
© visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé -