Les artistes et les expos

Artiste en expédition
PIERRE HUYGHE, MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
Par Marine Émilie Gauthier


À quelle fête nous convie donc le Celebration Park de Pierre Huyghe? Celles qu’il nous propose dans One Year Celebration ont été imaginées par des artistes qu’il a invités. Des commémorations pour des dates qui en sont encore vierges, et pourquoi pas le 6 août pour Andy Warhol ou bien le 28 juillet pour l’obsolescence? On pense aussi à la vidéo présentée à la galerie Marian Goodman en 2003, Streamside Day, où les personnages célébraient leur ville nouvelle, imaginaire elle aussi.

Est–ce dans ce sens festif que l’artiste utilise le mot de celebration? Ou dans celui de quelque chose que l’on donne à voir ? Le principe d’exposition répond à la même définition et c’est d’ailleurs le but avoué de Pierre Huyghe, se jouer de ses codes, du moins s’interroger sur ceux-ci, et sur la forme particulière qu’est la commande.
Une exposition, est-ce plusieurs éléments qui cohabitent ? Ne peut-on pas considérer chacun d’entre eux comme une exposition à part entière, où ici l’acception est encore différente ?

Dans A journey that wasn’t, le film est à la fois l’expédition en Antarctique et le spectacle produit à New York à la suite du voyage. Pierre Huyghe considère que le début de son travail coïncide avec le départ du bateau, l’exposition est déjà prise dans les filets de l’expédition. C’est ce que ramène Huyghe de son voyage. Quel est l’espace des possibles susceptibles d’être exposition ? La vidéo ellemême ? Quant à This is not a time for dreaming, plusieurs plans montrent la salle des spectateurs au moment de la projection. Ce que nous aussi nous regardons. Une prise de recul pour repousser des limites ? Le ballet des deux grandes portes blanches répond par l’affirmative. En se déplaçant, elles relativisent l’espace et donc la notion de frontières qu’elles sont censées créer. Le spectateur immobile se retrouvera aussi bien devant, qu’à côté, que derrière.

Toujours dans This is not a time for dreaming, l’artiste se met en scène sous forme de marionnette. Là où une œuvre nous montre le résultat de la réflexion préparatoire, lui nous propose de sonder ce moment du processus de création, du travail en cours. Pour cela il fait appel à la figure de Le Corbusier, en évoquant la commande que lui a faite l’université d’Harvard. Pourquoi un architecte ? Parce que penser et montrer son travail relève de la construction, aussi bien mentale que matérielle. Huyghe et Le Corbusier se passent le relais pour aborder toutes les étapes, du moment de l’appropriation à la réalisation…
Jusqu’au moment où l’œuvre n’appartient plus à l’artiste, symbolisé avec poésie par un oiseau qui laisse tomber une graine. L’œuvre entame ainsi une vie qui lui est propre, un peu comme l’enfant qui vient de naître.

Mais qu’en est-il de la filiation artistique? L’évocation de Le Corbusier, mais surtout les néons monumentaux qui nous accomarts pagnent tout au long du parcours apportent une réponse. Ils témoignent de la possession de référence culturelle ( Fictions ne m’appartient pas, ou encore I do not own 4’33») non dans le sens d’un savoir acquis, mais de ce qui le constitue en tant qu’artiste. Et ici, de ce qui ne le constitue pas, puisque la série s’intitule Disclaimers, refus de sa part de les reconnaître, à la manière de prétérition. Plus largement, I do not own modern timeset Je ne possède pas le musée d’art moderne demandent ce qu’il en est de l’artiste dans le lieu d’exposition, de l’artiste dans son temps.

Si l’on cherche à suivre Pierre Huyghe, on découvre que tous les chemins qu’il parcourt mènent à un postulat contre l’enfermement, et de l’artiste, et de l’exposition dans des rôles précis. Il s’autorise tous les médiums, de la vidéo au néon, en passant par le livre, plus discret, que l’on doit venir ouvrir. Les rapports du spectateur à l’œuvre sont multiples également. Effectivement, on ne peut se défaire de l’exposition, qui est là. Mais c’est une manière de dire que l’artiste peut aller aussi loin qu’il le veut. Diderot, dans le Supplément au voyage de Bougainville, pensait aussi grande la capacité d’évasion du philosophe qui «fait le tour du monde sur son parquet» que celle de l’explorateur. Huyghe pousse l’artiste à prendre la liberté d’aller où il veut. L’espace que l’on occupe c’est celui que l’on décide d’aller explorer…
Ou exposer.

Marine Émilie Gauthier
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