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Monographies
Véronique Sablery, tentation du visible
par Jean-Luc Chalumeau

Les lecteurs de Verso connaissent l’oeuvre de Véronique Sablery (n° 32), cette artiste qui se définit comme peintre alors qu’elle s’exprime techniquement par le moyen de la photographie sur verre ou sur métal. Son travail de haute exigence, toujours proche de l’art sacré, a retrouvé (après une première intervention il y a vingt ans) l’espace magnifique du cloître de l’abbaye Saint- Martin de Mondaye à Juaye-Mondaye (Calvados) du 7 juin au 15 juillet. Nous publions le texte que l’artiste a rédigé elle-même pour présenter son exposition.

C’est à partir du tableau le Voile de Véronique, attribué à Jean-Baptiste de Champaigne, oeuvre de la collection du musée des beaux arts de Caen, que s’élabore l’ensemble des travaux que je présente en ces lieux. TENTATION DU VISIBLE est une invitation à réfléchir sur la question de l’image, et en particulier sur l’image primordiale : la Véronique ou Véra Icona (vraie image). C’est pendant la Passion du Christ, au moment de sa montée au calvaire, qu’une sainte femme appelée Véronique propose son voile au Seigneur pour qu’il essuie son visage couvert de sueur et de sang. Lorsque Jésus redonne le voile à Véronique, sa sainte Face y est révélée, impression exacte de son visage maculé de sang et de larmes. On nommera désormais véronique l’empreinte du visage du Fils de Dieu laissé sur le voile de la sainte du même nom. Il existe une autre sainte image, appelée icône d’Edesse ; l’histoire raconte que le roi d’Edesse, atteint d’une maladie incurable, envoie un peintre à Jésus pour qu’il revienne avec un portrait du Christ dont la vision soulagerait ses douleurs. Le peintre ne put exécuter sa peinture car le face-à-face avec Jésus-Christ était d’une luminosité si intense que le peintre en fut aveuglé. Jésus prit luimême la toile des mains du peintre et l’appliqua sur son propre visage qui s’imprima miraculeusement sur le tissu. Dans ces deux récits, la Véronique et l’icône d’Edesse, il est question de la révélation de la présence de Dieu par impression miraculeuse du visage du Christ sur un linge. Dans la tradition populaire, sainte Véronique est la patronne des lingères et des photographes. Tous les ingrédients de la photographie sont en effet ici réunis : lumière, révélation, impression.

TENTATION DU VISIBLE est une réflexion sur l’excès de visibilité, et donc sur l’éblouissement qui en résulte, pouvant aveugler, mais aussi révéler. Dans le cas de la photographie, n’appelle-t-on pas révélateur le liquide qui agit dans l’obscurité du laboratoire pour révéler l’image photographiée, qui sera ensuite, par l’effet de la lumière, impressionnée sur la surface émulsionnée du papier ? Les techniques et matériaux que j’utilise pour réaliser les travaux présentés sont essentiellement la photographie et le verre. La photographie, lumière saisie par la caméra obscura, et le verre réfléchissant la lumière, possèdent l’un et l’autre toutes les qualités pour exacerber le visible. Le verre est réceptacle de la photographie dans lequel elle est emprisonnée. La lumière ici n’est pas seulement un éclairage porté sur le sujet, c’est elle qui façonne le sujet, qui accroît sa visibilité par le pouvoir réfléchissant du verre. Ce sont en quelque sorte des radiographies de la Sainte Face que je souhaite réaliser, pour tenter d’en atteindre la Présence cachée, titre d’un ouvrage que Louis Marin a consacré à Philippe de Champaigne dans lequel il qualifie la Véronique de « double portrait de Jésus- Christ, celui d’épiphanie, éblouissant du Fils de Dieu et celui, pathétique et défiguré, du Fils de l’homme ». Je m’attacherai plus précisément dans ce portrait, au regard du Christ, regard qui nous implique et interroge notre propre existence, tel un miroir où s’annule toute visibilité au profit de la Présence.

Je citerais à nouveau Louis Marin : « Ainsi la Véronique nous renvoie- t-elle à notre vrai portrait, qui est invisible, gravé en nous par Dieu, de sa propre image ». La tentation du visible est le quotidien du peintre, son salut et parfois sa perte, c’est une question de mesure. Si la peinture n’apparaît pas matériellement dans mon travail, elle y est pourtant présente. C’est en effet à partir d’oeuvres d’artistes qui ont jalonné l’histoire de l’art que s’élaborent les pièces que je réalise. Une peinture que je scrute à la loupe (utilisation lors des prises de vue d’un objectif macroscopique qui permet des plans très rapprochés), une peinture disséquée, morcelée, redéployée, avec l’intention obstinée d’en extruder le mystère. Tentation du visible, tentative de donner à voir, de livrer son regard à celui de l’autre, d’échanger du visible pour côtoyer l’invisible. Que motive en effet notre tentation du visible si ce n’est le désir d’aller au-delà des apparences ? N’est-ce pas le rôle du peintre – car c’est ainsi que je me définis – que de céder à cette tentation pour osciller entre illusion et révélation ?
Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 06/09/2008
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