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La vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, alias Jacques Monory
Dossier Jacques Monory : La vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, alias Jacques Monory par Pascale Le Thorel-Daviot
par Pascale Le Thorel-Daviot
Roomy Juscaeq : Beaucoup de commentaires ont été faits sur ta peinture. En es-tu content?

Jacques Monory : Très content !

R.J. : Pourquoi ?

J.M. : Dès que l'on parle de moi, j'adore. C'est le plaisir des artistes.
A la limite, un peintre idéal pourrait être célèbre et satisfait sans rien faire, grâce aux commentaires. Certains ont essayé.
Et puis, que d'autres systèmes nerveux se connectent un instant avec le mien, par images et textes interposés, ça distrait.

Les Commentateurs, interview de Jacques Monory par Roomy Juscaeq, Libération, 28 juillet 1988.

Cultivant une allure d’étrange étranger, Jacques Monory sort toujours coiffé d’un chapeau qui pourrait être celui des gangsters des films noirs américains qu’il affectionne, celui de ThomasDossier Jacques Monory : La vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, alias Jacques Monory par Pascale Le Thorel-Daviot Jérôme Newton, l’Homme qui venait d’ailleurs, interprété par David Bowie en 1976, ou encore celui des Tontons flingueurs.
Comme Beuys, Charlie Chaplin ou François Mitterrand, ce chapeau rend sa silhouette inoubliable et singulière au point d’identité.
Il a également pour insignes lunettes, foulards et chaussures particuliers, sans oublier son chien qui l’accompagne le plus souvent, tous éléments que l’on retrouve de manière récurrente dans ses peintures.

Depuis 1963/1964, il s’attache à créer une fiction, où les autoportraits et la vie imaginaire dans la peinture croisent l’autobiographique. La fiction est déjà dans la vie puisque les biographies officielles, qui font naître Jacques Monory à Paris en 1934, participent elles aussi d’un double jeu ; une datation historienne nous ramènerait un tout petit peu en arrière.
Comme le dit Jean-Christophe Bailly : " Ce dont il faudrait parler d’abord, c’est de cette oscillation entre l’autobiographique et le fictionnel ". Mais c’est de l’autobiographique dont Monory ne veut parler, ajoutant par ailleurs à la difficulté en déclarant que sa peinture est " aussi difficile à analyser qu’un carré noir sur fond noir ".

De la série des Meurtres, à celle des Premiers numéros du catalogue mondial des images incurables, aux Opéras glacés ou aux Catastrophes, des Métacrimes, aux Documents, aux présents Baisers, Nuit ou à la série de La vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, auxquelles nous allons nous intéresser de plus près, il ne cesse de mettre en place les scènes de brèves histoires qu’il appelle des scénarios thrillerés.

Dans ces dernières séries comme pour les précédentes, il use de la photographie comme documentation première ; mais aux classiques illustrations des magazines, des journaux, ou aux clichés qu’il prend lui même, il ajoute des photos d’images d’écrans de télévision ou de cinéma, des arrêts sur image, qui sont sa marque particulière, son apport formel.
Ces matériaux juxtaposés sont montés comme des séquences de films, " sur les principes des collages surréalistes ". En effet, bien que rattaché au mouvement de la Figuration narrative, Monory ne veut pas donner de fil narratif, linéaire, pour la lecture de ses tableaux, mais recherche " le climat, l’impression, la sensation, le fait divers symbolique ".

Si le jaune et le rose font quelques apparitions, les derniers tableaux baignent pour la plupart dans ce bleu Monory, ce glacis de protection, ce processus de distanciation qui est devenu, autant que l’IKB, l’International Klein Blue d’Yves Klein, une signature. Mais chez Monory,le monochrome est transpercé par l’image.

Les 40 tableaux de la série des Baisers (2000-…)et ceux de La Nuit(2000-2002), sont des peintures d’atmosphère où l’on retrouve, comme toujours, le climat des films noirs et des films de série B américains des années 40 qu’il affectionne. On y voit des couples, des étreintes, des femmes endormies, des voitures, des cercueils, des séquences d’enquêtes policières, de films de Buster Keaton, ou Burt Lancaster dans Tant qu’il y aura des hommes, la route-la nuit, des revolvers, des chapeaux… Y sont collés des objets de la mythologie Monory : douilles, cordes, seringues…

Bleus " du rêve et de la nuit ", des éléments de ces peintures sont parfois repris dans la dernière suite de grands formats, , nom qui est un anagramme, toDossier Jacques Monory : La vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, alias Jacques Monory par Pascale Le Thorel-Daviotut comme Roomy Juscaeq, de celui de Jacques Monory.
Dans cette série, l’utilisation du bleu, témoigne également, comme le notait Jean-François Lyotard, de " cette profonde érosion des rapports chromatiques (…), elle est la pulsion de mort agissant dans le champ des couleurs. Elle atteste l’énorme teneur en charge mortifère de la tension libidinale chez Monory ". Le peintre le reconnaît d’ailleurs régulièrement : " du plus loin ; je me souviens, la mort a été mon effroi. Tout ce que j’ai fait n’a été que combat contre elle " ou encore : " cet insupportable avènement de la mort, j’essaie de l’agrémenter du faste de la tragédie, le colorer de la froideur du roman noir, du thriller bleuté, du délire glacé d'un romantisme dérisoire. Pourtant, je voudrais seulement le placer dans sa nécessité animale ".

Cette vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym en 17 tableaux, dont l’ordre est pratiquement interchangeable, à l’exception du tableau final, est construite comme une tragi-comédie très tragique.
Jonq’Erouas Cym, auteur de vols, de meurtres et de crimes divers, est recherché par la CIA (cela nous vaut un étrange double autoportait de Cym, avec et sans lunettes, sous forme d’une affiche " Wanted by the CIA/Captured).
Il fuit, résiste et danse tel Fred Astaire dans le métro, il joue avec les symboles, le temps, les mots, les lettres.
Mais bien qu’affirmant sa présence dans la foule en la transperçant
de son électrocardiogramme, il semble inévitablement condamné à disparaître.
Tout doit disparaître/ Tout doit apparaître, sont inscrits en lettres de néon dans l’une des séquences, dans cette même peinture où l’on peut lire la fin d’un poème de Jean-Christophe Bailly, Conseils valables en toutes saisons : " …Dossier Jacques Monory : La vie imaginaire de Jonq’Erouas Cym, alias Jacques Monory par Pascale Le Thorel-DaviotLe mieux est de s’étendre sur un coin d’herbe un jour de pluie et de rester ainsi étendu pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que tu sois bien trempé, alors tu auras pris racine, et de douces limaces viendront lécher tes pieds. "
Mais alors que loin de cette jouissance vivide, le héros a été condamné à mort par injection (nous est donnée à voir une cellule vide, avec l’inscription Jonq’Erouas Cym was here), il ressuscite en dansant avec une femme, dans une apothéose presque éjaculatoire, dans une scène incroyable,(mais là on est hors de la vie du tableau), qui se déroule sur ce qui sera un champ de ruines, au pied des deux tours du World Trade Center.

Monory, qui s’intègre dans la farce comme " un gangster fou de catastrophes " et dont le cinéma est souvent reflet de la réalité, signe-t’il là, de ses rares tableaux réellement politiques, une oeuvre TNT ? Il semble que Paule, sa femme dans la vie, et aussi le modèle féminin de cette scène, lui ait téléphoné, le 11 septembre, pour l’informer que son " sujet " passait aux actualités ; il n’en a pas moins maintenu ce qu’il dit être la version première.
Rejoint-il les propos qu’il tenait en 1982, lorsqu’il disait : " On a envoyé promener l’art politique, critique, engagé ; c’est parfait si l’on vise l’indicible de l’art, mais assez inutile si c’est pour faire l’artiste intelligent, décoratif et au fond médaillé par cette société douteuse… " ?


Il semble que Jonq’Erouas Cym ait réussi à dire une fois de plus l’indicible et qu’il soit bien celui que le philosophe Jean-François Lyotard, rappelant Beaudelaire, avait nommé en 1973 le " peintre de la vie moderne ".

Les citations non référencées sont extraites de Jacques Monory, Eldorado, Christian Bourgois, Paris, 1991
Pascale Le Thorel-Daviot
mis en ligne le 15/10/2002
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