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Les artistes et les expos
SPADA Nice : il était temps, ils étaient tant
DVD par Guillaume Boisdehoux
par Sophie Braganti

Le site des anciens entrepôts de travaux publics SPADA, à moins de dix minutes du centre ville, proche des quartiers chauds, se fait une nouvelle jeunesse pour accueillir, dans un espace de 1160 m2, 26 ateliers proposés à 29 plasticiens. La ville de Nice qui en a l’entière initiative a réalisé des réaménagements pour faire de cette halle sombre, une friche fraîche et bien vivante, dont elle a la gestion et le contrôle. Coût des opérations : plusieurs zéros derrière un 5. Mais avec ce que coûte le chantier pour le tramway, on n’est pas à un zéro près. C’est vrai qu’il n’y avait rien de ce genre à Nice, que la plus proche se trouve à Marseille et que la demande poussait les murs. Vrai aussi que les casernes des Diables bleus (nom donné jadis aux chasseurs alpins) qui abritaient de façon précaire, artistes et associations, sont en cours de démolition pour laisser champ libre à la nouvelle Université, et que ça donnait mauvaise conscience. On ne peut que saluer cette inauguration d’ateliers aux prix les plus accessibles qui soient, à quoi s’ajoutent encore 1083 m2 abritant trois associations de spectacle vivant, fédérées par l’Entre-Pont.
Les espaces ont été attribués sur dossier par un comité de sélection composé d’individus venant du privé et du public : la galerie Alain Couturier de Nice, Hélène Jourdan-Gassin (Galerie Lola Gassin et Art-Jonction Le Journal), le directeur de la villa Arson, le directeur du Mamac, un collectionneur (le dossier de presse nous dit "grand collectionneur européen"), la directrice des galeries municipales, la directrice de la culture du CG des AM et le directeur des affaires culturelles.
Dans ce nouveau vivier, cohabitent des artistes plus ou moins confirmés de générations et d’origines différentes (ce ne sont pas des ateliers logements, les horaires sont très stricts : de 7 à 22 heures). Seulement quatre ateliers clos ont été remarqués lors de la journée inaugurale "portes ouvertes". Quelques rares échappent à la règle qui impose que l’artiste doive habiter à Nice.
Parmi cette fourmilière ("Ruche" ayant déjà été attribué), citons Martin Caminiti, nouveau directeur de la Villa Thiole (École Municipale d’Arts Plastiques) qui a retenu l’intérêt des galeries dans les années 80-90 avec ses sculptures dans l’espace, dont la base était des vélos et des cannes à pêche. Ses dernières pièces prometteuses, montrées au CAC de Carros, qu’on aimerait voir se développer, intègrent de nouveaux éléments capturés dans la fragilité du plâtre. Objets familiers dont on perd le sens et l’usage au profit d’une nouvelle interprétation de l’espace et des signes. Le fil de pêche c’est le trait du crayon sous haute tension.
Martin Miguel a présenté de nouvelles pièces étonnantes, plus sobres. Issu du Groupe 70 et des diktats anti-peinture, son remarquable travail du béton accroche comme un tableau (il suinte : le gras vient de l’huile de lin qui permet le mélange suie/copeaux de bois/oxyde de noir) Il est plus proche d’une expérience d’alchimiste que de maçon. Les pièces qui font oublier leur poids, ni peinture ni sculpture, de béton rongé, attaqué, réinventé, des stèles aux arêtes carbonisées, semblent les restes d’un effondrement qui tiennent debout par forces. Absence hasardeuse mais circonscrite de la matière fragmentée liquide puis solide. Le gris et le noir font un étrange voisinage qui nous apprivoise. Aimer le béton comme la toile. Détournement. Dans un coin de l’atelier lui fait écho une guêpe maçonne dans son nid.
Frédérique Nalbandian, on dirait qu’elle a toujours travaillé dans cet atelier. Cire, savon, plâtre constituent les ferments de ses sculptures, de ses dessins et de ses installations. On entre en poésie là où le corps mis à mal est sublime et sublimé. Des prothèses réinventées, des roses saisies dans le blanc, des moulures et des collages ne parlent pas du corps, mais le réparent et le soutiennent, le temps se chargeant d’achever l’œuvre. Tout ici nous touche par effacement et rémanence. La couleur rosée, particulière, renvoie bien à la peau, mais rien de ses œuvres n’est épidermique.
Le savon bien présent dans la galerie Soardi ne trahissait pourtant pas Ponge : "le savon a beaucoup à dire. Qu’il le dise avec volubilité, enthousiasme. Quand il a fini de le dire, il n’existe plus." Son intervention dans le cadre des manifestations autour du Mamac "Murs, un autre regard", au cœur des arches de l’abominable Voie Rapide (Mathis, c’est son nom !) que le monde entier nous envie, (la voir dans l’extraordinaire document de Claire Simon "Mimi Chiola») avait extrait fugacement notre regard de la voiture. Lavées, redessinées par leurs joints, les pierres se remettaient à vibrer dans un cercle comme une cible.

Gregory Forstner (voir Verso octobre) est peintre. Son implication acharnée dans l’atelier fait de ce très jeune artiste une figure forte de SPADA. Ses personnages fantastiques aux proportions puissantes empruntent aux grands maîtres et à la tradition des contes, une étrangeté qui joue du décalage entre fiction et réalité. Petits et grands formats rendent à ses portraits une présence matérielle qui glisse de l’onirisme à l’historique. Non dénués d’humour. Ajoutons Frédéric Pohl (du groupe BP), président de l’association des artistes de Spada "Le Labo", Olivier Roche, pour ses photographies et ses installations (l’une d’entre elles, immense, les palmiers et leur ombre inversée, accueillait les premiers visiteurs comme à Calern avec In Situ), Anne Gérard, plasticienne et illustratrice, Bruno Mendonça et ses bibliothèques fantastiques à côté de ses performances Fluxus. Les photographes urbains Anne Favret et Patrick Manez puis Hubert Weibel et ses collages, Sandra Lecoq, Aïcha Hamu, Florence Olbrecht et Axel Pahlavi…
On ne sait pas encore exactement côté mairie, ce qui est prévu dans et autour de ces ateliers. Le Labo prévoit déjà de proposer des expositions, des résidences, des projets d’artistes, un site et des dossiers. Ce qu’il faudrait, c’est que ce lieu s’ouvre parfois au public (cela ne doit pas être une vitrine comme une rue piétonne), mais aussi à des regards et des soutiens professionnels nationaux et internationaux qui rendraient compte de l’activité du sud-est de la France, comme certains critiques d’art qui venaient du temps de l’Atelier et de Peinture Fraîche dans les années 80. Il ne suffirait pas que ce lieu soit ouvert, mais que les acteurs responsables du milieu de l’art reprennent le chemin des ateliers azuréens, en se partageant momentanément avec Paris, et en s’arrachant de l’univers limité des dossiers de presse ou d’Internet ou encore, de l’avis de quelques galeristes, institutions et collectionneurs omniprésents et du pouvoir terroriste mercantile du moment.

Ex-entrepôts SPADA : 22, bis avenue Denis Séméria. Contact et infos sur le site de l’association le Labo : espas.free.fr
Sophie Braganti
mis en ligne le 03/01/2005
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