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Dossier Shanta Rao
Pourquoi Shanta Rao ?
Dossier Shanta Rao Pourquoi Shanta Rao ? par Jean-Luc Chalumeau
par Jean-Luc Chalumeau
Vers 1961, Eikoh Hosoe photographiait le corps de l’écrivain Mishima et en tirait un livre qu’il intitulait Ordalie par les roses. On sait que Hosoe cadrait le corps vivant – violent – de Mishima sur fond de tableaux de Botticelli et Giorgione, mélangeant un corps réel photographié et le corps fictionnel de la peinture de la Renaissance pour parvenir à un « fleuve de chair » (Mishima) participant d’une même érotique de la mort et de l’amour.
Shanta Rao, Terminaisons nerveuses, 19.11. 2003. 60 x 80 cm. Tirages numériques.

Il est frappant que Laurent Martin ait intitulé Ordalie son beau texte sur les photographies de Shanta Rao, même si ces dernières n’ont pas de rapport apparent avec celles de Hosoe et alors qu’il ne parlait que des séries des Pretenders, car les Terminaisons nerveuses étaient encore à venir lorsqu’il écrivait.

Ce que laissait pressentir ce mot étrange, ordalie (le « jugement de Dieu » au Moyen-Âge), c’est que le regard de Shanta Rao a l’exceptionnel pouvoir de choisir entre deux usages du fragment, de l’entre-images. Ce regard est celui des « rhétoriques cheminatoires » dont Christine Buci-Glucksmann fait remarquer qu’elles ont été précisément analysées par Michel de Certeau dans ses Arts de faire. Si la partie pour le tout (l’œil pour le corps) peut créer du plus, « densifier le détail en miniaturisant le tout » (de Certeau), elle peut également pratiquer un art du vide, un art de l’élision qui « coupe, défait la continuité, déréalise » (Mishima).

Shanta Rao, Sans titre, série The Pretenders 2. Images au centre, 2003.Ainsi, au baroque traditionnel, celui qui opère par excès et simulacre, répondrait depuis Hosoe un baroque par coupure et retrait, « où le vide et l’ombre font voir toutes les puissances métaphoriques de l’image », par exemple dans cette série des Terminaisons nerveuses où un corps réel photographié – le propre corps de Shanta Rao – est confronté à un corps fictionnel dont seul le contour a été tracé par elle sur un mur. Cette méditation bouleversante sur des corps liés dont l’un est cependant absent, cette histoire d’un corps, non pas « tué par les roses » mais torturé par son Autre disparu, n’a pas d’équivalent à ma connaissance dans l’art contemporain.

Pourquoi Shanta Rao ? Parce qu’il est urgent de révéler une artiste profondément originale encore très peu connue, une artiste capable de dompter sa douleur par l’unique moyen de la photographie. « Ce n’est pas par accident qu’un photographe devient photographe, a dit Dorothea Lange, pas plus que le dompteur ne devient dompteur par accident ».
Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 15/07/2004
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Ordalie