| A la découverte de Frantisek Bilek Entretien avec Véronique Gautherin Dossier Tchèque Verso : Frantisek Bilek est inconnu en France. Quelle est la raison de cette exclusion ? Véronique Cautherin : Bilek est un artiste du tournant du siècle. A ce titre, il a été, comme beaucoup de ses contemporains n'appartenant pas aux avant-gardes, totalement laissé de côte par les historiens qui, pendant longtemps ont adopté un point de vue normatif dans la conduite de leurs études sur cette période. Dans le cas de Bilek, cette méconnaissance tenant de l'ignorance volontaire, s'explique sans doute aussi par l'étrangeté de son parcours et la dimension mystique de son travail qui ne sont pas sans dérouter et peuvent rebuter par l'esprit qui s'en dégage. Cette méconnaissance apparaît toutefois d'autant plus étonnante que, comme beaucoup de sculpteurs de sa génération, tel Maratka qui fréquenta l'atelier de Rodin dans les années 1900, Bilek fit un long séjour à Paris en 1891-1892 au cours duquel il fréquenta l'Académie Colarossi, rencontra des artistes comme Dalou, et se forma auprès d'lnjalbert. Un axe Paris-Prague Prague-Paris exista dans les années 1890, dont on a perdu le souvenir, mais dont l'importance historique fut décisive dans la constitution des échanges qui présidèrent à l'émergence de la modernité. Verso : Quels sont les points forts et originaux de sa recherche 7 V.G. : La dimension la plus intéressante du travail de Bilek est sans conteste, sa tendance à l'universalité. Comme beaucoup d'artistes de sa génération, il fut influencé par les principes du Gesamtkunstwerk. Il ne fut pas seulement sculpteur. Il se voulut aussi dessinateur, graveur, illustrateur, céramiste, architecte et s'intéressa aux arts décoratifs en créant de nombreux ensembles mobiliers. Sa démarche s'inscrit, de ce point de vue, dans la mouvance des réflexions de la Sécession viennoise dont les membres l'invitèrent d'ailleurs à participer dès 1898 à leur exposition. L'autre dimension tout à fait unique du travail de Bilek est son caractère hallucinatoire et les sources de son imagination mêlant mysticisme et stylisation symboliste. En tant que sculpteur, I'aspect le plus original des recherches de Bilek réside dans son travail du bois dont il fit son matériau de prédilection et dont il s'attacha dès les années 1895 à explorer le caractère habité, en exploitant à des fins symbolistes et dans un esprit proche du primitivisme de Gauguin, veines, nœuds et écorces. Verso : Comment avez-vous choisit de présenter cette recherche sculpturale si particulière à l'occasion de cette exposition au musée Bourdelle ? V.G.: C'est précisément sur le caractère universaliste et sur cette idée d'une Œuvre d'art totale que nous avons souhaité insister, avec Hana Larvova, co-commissaire de cette exposition, en proposant un parcours non pas historique, mais thématique, mettant en valeur les divers domaines abordés par Bilek et les liens profonds qui, au delà des distinctions techniques, unissent l'ensemble de ses créations. Le principe du leitmotiv est très présent son œuvre. Nous avons voulu le rendre tangible. Le thème du Christ qui occupe une place centrale dans ses réflexions et apparaît tant dans son travail de sculpteur que de dessinateur, sera ainsi l'occasion de faire dialoguer pièces de mobilier, œuvres graphiques et œuvres sculptées. Verso : Bilek a dessiné dans les moindres détails non seulement les plans de sa demeure, mais aussi tout le mobilier et le moindre détail de sa décoration. Pourriez-vous nous parler de cette villa hors du commun ? V.G. : La Villa Bilek, édifiée en I 911 sur les hauteurs de Prague à Hradcany, est la matérialisation même de cette idée d'œuvre d'art totale, dont nous parlions à I instant. Elle fut conçue par Bilek à la fois comme un lieu de vie et comme un lieu de travail, mais doit aussi être analysée sur un plan symbolique comme l'expression de sa spiritualité, Cette Villa de plan convexe, I'une des premières maisons de Prague à toit plat mêlant brique et béton, était dams son esprit un champ de blé, ses colonnes des épis. Cette maison ne pouvait être absente de l'exposition. Elle sera évoquée dans sa dernière section, Verso : Qu'est-ce qui vous attire le plus dans sa sculpture ? V.G. : La liberté prise avec les formes à l'époque ou, inspiré par le symbolisme, il se libère des contraintes du naturalisme, Le monument à Jan Hus dont le plâtre de 3,50 m sera exposé au musée à l'automne, en est exemple typique. Son étrangeté également. Les œuvres de Bilek des années 1890-1910, qui sont celles que nous avons retenues, sont un défi à notre goût. Elles ont la saveur de l'insolite, tout en présentant la particularité de s'inscrire avec une remarquable concordance des temps dans l'évolution générale de l'art à la fin du XlXe siècle. C'est ce qui en fait tant sur un plan intellectuel que sensible, toute la valeur. Verso : Son œuvre graphique est également importante. En quoi se caractérise-t-elle ? V.G. : Le production graphique de Bilek est considérable. De son vivant même a été souligné le caractère magistral de son travail de graveur et d'illustrateur, le caractère de ses dessins étant jugé plus inégal. Dès 1902, le critique S. K. Neumann souligna la qualité exceptionnelle de ses lithographies jouant sur des effets puissamment plastiques. Son style très " xylographique " jouant des effets de trames et de stries puissamment accentués a été repris par de nombreux artistes de la seconde génération symboliste tels Joseph Vachal. Cet aspect sera dûment représenté dans l'exposition. Bilek eut toute sa vie amour des livres s'inscrivant dans la longue tradition tchèque de l'imprimerie qu'il est important de restituer. Frantisek Bilek, musée Bourdelle, 6 novembre 2002 - 2 février 2003, dans le cadre de Bohemia Magica, ooprodite par Paris-Musées et la Galerie Municipale de Prague en collaboration avec 1'AFAA. Commissariat : Hana Larvova, conservateur à la Galerie Municipale de Prague & Véronique Gautherin, directeur du musée Bourdelle. Catalogue: Editions Paris Musées, 200 p. 80 ill.
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