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Dossier Michel Tyszblat
Pourquoi nous avons besoin de Tyszblat
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Michel Tyszblat, La ronde, 2004. Huile sur toile.Premièrement, « chaque artiste, comme créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne. » Tyszblat laisse transparaître sa personnalité complexe, partagée entre des aspirations concurrentes, mais aussi non dénuée d’humour.
Deuxièmement, « chaque artiste, comme enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à cette époque. » Tyszblat est de ceux qui ont fait passer, à la suite de Fernand Léger, de simples objets du monde de la cité moderne dans l’univers de l’art. Troisièmement, « chaque artiste, comme serviteur de l’Art, doit exprimer ce qui, en général, est propre à l’art. » Tyszblat sait que l’artiste peut utiliser n’importe quelle forme pour travailler, et il use largement de cette liberté, mais en aucun cas il ne se rapproche de l’anti-art, une des formules les plus répandues aujourd’hui pour faciliter la réussite dans le « monde de l’art ». Il sait tout aussi bien qu’il n’est pas nécessaire, pour exprimer ce qui est « propre à l’art » d’avoir défini préalablement ce que c’est que l’art, même si c’est possible en relativement peu de mots (« les lois éternelles de l’architecture, de la sculpture et de la peinture pourraient tenir en une ridicule petite plaquette » écrivait André Lhote). Ce qui fait qu’il y a de l’art (ou non) s’éprouve, et ne se prouve pas.

Michel Tyszblat, La surprise, 2004. Huile sur toile.Michel Tyszblat ne souhaite rien nous prouver, mais il nous appartient d’éprouver, devant ses tableaux, la présence de l’art et le plaisir qu’il procure. L’expérience est devenue plutôt rare de nos jours, dans un monde qui se moque de l’art. Il est frappant de constater que là-dessus, Kandinsky avait vu l’essentiel dès 1912 : « Il n’existe pas d’art qui soit considéré plus à la légère que l’art plastique…» On est tenté d’ajouter aujourd’hui : « y compris par ceux qui se disent plasticiens ». Avec discrétion (mais aussi avec humour), avec détachement (mais en même temps avec obstination), Tyszblat nous donne des raisons de prendre l’art au sérieux. C’est pourquoi notre temps privé de repères a besoin d’artistes comme lui.
Aux moments les plus cruciaux de l’histoire, arrivent des peintres qui rendent confiance à leurs contemporains désorientés. N’est-ce pas ce que fit Paul Klee, au lendemain de la Grande Guerre et après le déferlement des avant-gardes dites historiques d’avant 1914 ? La dernière série de Michel Tyszblat, qu’il n’avait pas encore baptisée en novembre 2004, ne me semble pas rappeler par hasard la problématique du Klee des années 20. Premier détail troublant : Klee s’était mis en tête de faire avancer l’art de peindre qu’il jugeait en retard par rapport à l’art musical. Rappelons à nouveau que Tyszblat est musicien, et qu’il ne peut pas ne pas l’être aussi quand il peint.

La solution de Klee devait se trouver dans la conciliation entre l’ « enracinement terrestre » et l’ « intimité avec le cosmos » : elle passait par le symbole, ce qui faisait que les objets plastiques de Klee n’étaient jamais totalement abstraits. Dans des tableaux récents comme La Poursuite ou Le Départ, jamais Tyszblat n’a poussé aussi loin sa manière très personnelle d’associer des éléments figuratifs et abstraits, mais ce n’est pas encore l’essentiel.

Michel Tyszblat, La partance, 2004. Huile sur toile.La volonté de lier totalement le subjectif (le moi) et l’objectif (le monde) aboutissait chez Klee à des figures qui se situaient dans un entre-deux s’éloignant optiquement de l’objet sans cependant le contredire définitivement. Dans Les Vases d’Aphrodite de 1921 par exemple, la superposition de plans de tons différents de bruns et de beiges suggérait les formes de deux vases de part et d’autre de la tête d’Aphrodite. La figure féminine, qui semblait danser, émergeait du processus même de construction de la surface. Regardons maintenant les tableaux de 2004 de Tyszblat qui paraissent avoir des fonds noirs. Sommes-nous si certains que ce sont des fonds ? En fait, le peintre a opéré des trouées dans ces peintures, qui engendrent des espaces nouveaux. Non pas : des objets figuratifs et non-figuratifs sur fond noir, mais bien : des formes ambiguës dont certaines apparaissent comme transparentes. A travers elles, le regard va au-delà du « fond » qui, de ce fait, n’est plus un fond mais plutôt un agent de liaison entre les formes. Aussi lucidement qu’un Braque, Tyszblat ne peint pas seulement des formes mais « ce qu’il y a entre les formes » en même temps que, comme Klee mais de manière différente, il réussit à superposer les plans et à modifier notre perception de l’espace.

Nous voici vraiment devant l’ accomplissement d’une odyssée picturale. On veut bien croire Tyszblat quand il dit que l’espace pictural est important pour lui. N’est-il pas vrai que chaque peintre de quelque envergure a été en mesure, par le passé, d’inventer un espace qui lui soit spécifique ? Michel Tyszblat vient d’y parvenir pour son compte avec beaucoup de naturel, comme suite logique de ses recherches conduites depuis plusieurs décennies. « Déjà avec les écrous, j’avais travaillé cette notion d’objet posé sur un fond qu’il fallait contredire.

Michel Tyszblat, Jézabelle, 2003. Huile sur toile.Aujourd’hui, j’essaie d’aller plus loin ». Essai réussi, et « transformé » comme disent les joueurs de rugby, puisque les découvertes de Tyszblat aboutissent à toute une série. Ainsi, deux sortes de « trouées » viennent maintenant percer ses tableaux : les trouées de sens nées des rencontres improbables entre objets figuratifs et formes indiscernables, et les trouées spatiales qui confèrent les unes et les autres une subtile qualité d’instabilité aux oeuvres.
J’observe avec intérêt qu’une aquarelle de Klee, en 1922, était intitulée Équilibre instable. Il me semble en effet que Tyszblat est parvenu lui-même, par des moyens qui lui sont propres, et à travers la sorte de jubilation un peu folle caractérisant son travail actuel, à l’équilibre instable qui signale les meilleures réussites de l’art pictural.


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Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 10/05/2005
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