Ce texte a été écrit à l'occasion de l'exposition de Michèle Waquant au Centre d'art Passerelle du 25 septembre au 27 décembre 2003.
41, rue Charles Berthelot 29200 Brest

L'installation L'observatoire sera visible également au Centre culturel canadien du 12 décembre au 7 février 2004.
5, rue de Constantine 75007 Paris
par Claire Nédellec



... il y avait de la sauvagerie dans cette danse, mais le sentiment qu’elle éveillait chez le spectateur n’en était pas moins une douce langueur. Personne ne songeait plus à lutter. Mais tous, ceux qui avaient des ailes et ceux qui n’en avaient pas, aspiraient à s’élever au-dessus des nuages, à chercher ce qu’il y avait derrière, à abandonner le corps pesant qui les entraînait vers la terre, à s’envoler vers le ciel.
Cette nostalgie de l’inaccessible, de ce qui est caché au-delà de la vie, les animaux ne la ressentent qu’une fois par an, et c’est en voyant la grande danse des grues... (1)


Les recherches de Michèle Waquant mettent souvent à nu et de manière " éclairée " la primauté des silences, des pertes et des abandons qui qualifient le monde dans lequel nous tentons de vivre. La plupart des oeuvres réalisées depuis une quinzaine d’années font appel à des dispositifs qui inscrivent l’état de l’exil, de l’oubli au moyen d’un dessaisissement de l’image, mais non de sa disparition.
Fréquemment dans cette démarche, qui ne saurait se satisfaire d’une représentation de l’absence, évanescente et un peu vaine, les utilisations de la photographie, de la vidéo, de l’écriture et du dessin servent la mise en présence de jeux précis et articulés d’images projetées, réfléchies, espaces de mémoire et de capture du réel et du temps.

Ce n’est pas la première fois que toutes ces pratiques, définies trop hâtivement, se trouvent confrontées à un espace d’exposition aussi singulier que celui du Centre d’art Passerelle à Brest. L’ancienne mûrisserie de fruits dont le bâtiment se déploie sur près de 3000 m_, au bout du bout de la terre armoricaine, exige des artistes qui y présentent leurs réalisations, de ne tomber ni dans une grandiloquence ni dans une modestie forcée.
Les qualités d’un lieu ou ses limites sont des pièges opérants : Michèle Waquant, dont le parcours a déjà égrené de multiples propositions, s’était auparavant confrontée à d’autres gigantismes architecturaux. (2)
Assez naturellement d’ailleurs, le départ du travail pour le Centre d’art de Brest renouait avec l’exposition de 1992 à Montréal : inscrire le travail dans le réel qui façonne ces territoires si proches de la mer. La débâcle, phénomène naturel au Québec qui voit son lot de glaces brisées dans un fracas assourdissant (très exotique pour un Français pour qui ce mot peut évoquer bien d’autres choses) ou la tempête, paradigme météorologique de la pointe Finistère.

Sauf que... débâcle ou tempête, il n’y eut.

A chacun des projets correspondait une attente : repérages, allers-retours, prises de vues, tournages faits de déconvenues et d’étonnements. Vulnérabilité d’une décision artistique éprouvée par ce qui devait arriver et n’apparaît jamais, puis d’un corps portant la caméra dont on croyait qu’il plierait sous les aléas du ciel. De la posture héroïque de l’artiste défiant vents et marées (de Bouguereau à Melvin Charney) dont se méfie Waquant, celle-ci - par la force vacillante des choses - préférant céder sans toutefois lâcher le(s) projet(s).
Il lui suffit de se rappeler, puis de désigner ceux qui, comme elle, circonscrivent les rivages : les oiseaux...
Ainsi l’ornithologie, mais aussi la philosophie se rejoignent aux croisées du parcours de l’artiste franco-québécoise qui attribue les mêmes qualités à un vol d’oies blanches, au repos d’un harfang des neiges qu’à la pensée thomiste. Ces disciplines induisent des usages et des objets dont aussi ne saurait se passer l’art, à savoir tous ces lieux d’observation, petits ou grands que génère le réel.


L’observatoire de Brest est objet et reflet. Edicule en bois - comme celui qui jalonne les réserves d’oiseaux au bord du Lac de Der - où le regardeur à l’intérieur, par une étroite fente, aperçoit, observe, perçoit, écoute ce qui lui est donné à voir et à entendre, c’est-à-dire une foultitude de choses...
Les oiseaux sont de petits sujets sur une image projetée ; en vol, ils fragmentent cette dernière jusqu’à la rendre, littéralement, volatile. L’image ne vibre encore que par cette fragmentation qui ne peut se satisfaire du cadrage ou de la netteté, qualités possibles d’un documentaire : elle n’aura donc ici, parfois, pas de bord parce que ronde...
Carré, cet observatoire nous fixe aux quatre points cardinaux et nous déplace à la fois, puisque "cerné" par quatre téléviseurs en hauteur, dont les oiseaux sont les principaux acteurs.

A l’extérieur, projetés sur la face avant de l’observatoire, d’autres objets volants, moins graciles mais tout aussi efficaces dans le dispositif, permettent à un réel plus urbain de "reprendre le dessus" : sacs poubelles soufflés par une brise non marine au sortir du marché aux puces de Montreuil mais aussi glaneurs en début de nuit qui semblent répondre aux avions de chasse en Camargue, ou aux autruches d’Ethiopie antérieurement observées...
Un continuum sonore accompagne le quatuor visuel à l’intérieur de l’observatoire : il est fabriqué de mots tendres, listés par assonances et susurrés... si nombreux qu’ils agissent comme une psalmodie intime faisant face aux bruissements d’ailes.
L’observateur devient alors presque un intrus, puisque isolé au milieu de ces cadrages et de l’espace sonore : la mise en cage poétique est en marche.

Une ou des images projetées... pas tout à fait "calées" parce qu’au moment même de l’écriture de ce texte, Michèle Waquant travaille encore à l’élaboration du projet. Prégnance du temps réel pour une anamorphose en devenir : ici, je questionne, la vidéo ; il s’agit de ses limites mais aussi du pouvoir beaucoup plus envoûtant qu’elle possède sans qu’on y prenne garde, le pouvoir de suggérer qu’il existe autre chose que ce que l’on voit… (3)
Parmi ces désignations du réel composées de temps d’attente, de prises de vues, de montage, de modifications, d’hésitations, tout ce que l’on pourrait résumer par "ce qui fait œuvre ", le dessin (disegno) trouve naturellement sa place.
L’imagerie faussement naïve de la petite fille embrassant un rocher et d’un enfant déguisé en chevalier, (référence au Saint-Georges terrassant le Dragon) entourés de monstres volants semblent nous entraîner aux antipodes de certaines certitudes de l’art dit contemporain... Des polyvalences, des analogies qui brouillent nos ordonnancements visuels pour une distance critique si souvent défendue par Michèle Waquant dans ses oeuvres précédentes.(4)
C’est au visiteur de réaliser son parcours afin de trouver une nouvelle manière de construire ses récits ; l’image et le son, ici mis en mouvement, ne le conditionnent plus.
La qualité du travail de Michèle Waquant fait de nous les producteurs de nouvelles représentations imaginaires, convoquant d’autres histoires, d’autres figures, souvenirs et réminiscences afin d’alimenter notre façon d’être au monde.

Avec ou sans ailes...

Claire Nédellec, août 2003

(1) Selma Lagerlöf in Merveilleux voyage de Nils Holgersson (1906)
(2) Impression Débâcle, Musée d’art contemporain de Montréal, environnement vidéo, 1992
(3) Michèle Waquant in Essai de détermination de la distance critique en souvenir de J.LNyst, le grand rêveur, 2003
(4) A quoi rêvent les vieux ours ? 1982 / Crucifer 1998, vidéos
© visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé -