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[verso-hebdo]
20-09-2018
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

La Vie et la mort à travers l'art du XVe siècle, Alberto Tenenti, Allia, 160 p., 13 euros

Les éditions Allia nous propose un ouvrage tout à fait remarquable. Deux mots sur son auteur, car j'ignorais tout de ses travaux. Né en 1925 à Viareggio, il décède à Paris en 2002. C'est au cours des années 1950, qui vient s'installer à Paris, à la requête de Fernand Braudel. Il oeuvre pendant trente-cinq ans à l'EPHE. S'il a écrit sur différents sujets concernant surtout la Renaissance italienne, il s'est beaucoup intéressé à la vie sociale entre le Moyen Age et la période successive et aussi à la vie maritime, publiant par exemple Naufrages, corsaires et assurances maritimes à Venise (1592-1609) en 1961. En consultant sa biographie, je me suis souvenu tout d'un coup que j'avais lu autrefois sa Florence à l'époque des Médicis (Flammarion, 1968). Voilà donc un historien de premier plan que nous avons un peu oublié. Il faut savoir qu'il s'est intéressé à la question de la mort dès ses débuts : en 1951, il a publié un article sur l'Ars moriendi et le présent ouvrage a paru en 1952. C'est une recherche d'un intérêt fondamental (à cette époque, on n'avait pas encore écrit des études sociologiques et historiques sur la mort, comme, par exemple, L'Histoire de la mort de Philippe Ariès). Ce qui est fondamental dans ce livre, c'est qu'il fait la différence entre ce qui appartient au Moyen Age et à la Renaissance (ce n'est pas un hasard si les nouveautés qu'il détaille sont apparues en Italie) : le problème est que la frontière entre les deux périodes n'est pas la même selon les régions de l'Europe. En France, il faut attendre François Ier pour que la Renaissance s'impose vraiment. Elle est plus précoce dans les Provinces-Unies et même dans certains Etats allemands. Il souligne que deux thèmes sans précédents font leur apparition : les Trois vifs et les trois Morts et le Triomphe de la Mort. Il fait surtout référence aux fresque du Campo Santo de Pise. Il fait aussi état d'une autre forme de représentation, celle de la Mort à cheval, issue du quatrième cavalier de l'Apocalypse. Il choisit pour modèle la fresque du monastère Sacro Speco de Subiaco (seconde moitié du XIVe siècle). On retrouve d'ailleurs ce thème dans le Decamerone de Boccace. Et il est aussi magnifié dans Le Triomphe de la Mort de Palerme, qu'il date de 1446. D'auteur inconnu (certainement pas sicilien), cette fresque Les nombreux triomphes de la mort qui suivent ont pour caractéristique de représenter celle-ci sous la forme d'un squelette et non d'une allégorie pure. Il souligne aussi que cette figuration apparaît dans les objets de la vie quotidienne autant que dans la peinture religieuse. Elle illustre le livre de Savonarole, La predica di bene morire (1497). Une édition de 1499 des Triomphes de Pétrarque de cette époque reprend la même sujet : la mort fauchant les vivants. Un autre sujet est également privilégié et qu'on croyait médiéval : la danse macabre, qui puise néanmoins ses racines dans le XIIIe siècle. Ensuite, il étudie les livres d'heures français et montre que l'image de la mort change : le cadavre est attaqué par la mort et se révèle assez proche de sa réalité ; parfois la mort est dessinée comme le corps du mort. Dans la seconde partie, Alberto Tenenti s'attache à mettre en valeur les métamorphoses de l'image de l'Enfer. Il montre l'influence considérable de la Commedia de Dante et le fait qu'on ne représente plus une saute de royaume d'Hadès christianisé, mais les châtiments distribués aux défunts sellons leurs péchés ; Il montre aussi que l'Ars moriendis, à la fin du XVe siècle, évacue la figure de la mort pour montrer le mourant tiraillé entre les forces célestes et les forces infernales incarnées par des démons hideux ou grotesques. La littérature sur la mort ne cesse de se diversifier et comprends désormais les regrets de l'âme pécheresse, comme dans La Complainte de l'âme damnée (circa 1486). Beaucoup de traités s'intitulent dès lors L'Art de bien vivre et de bien mourir. Les Ars morientis ne disparaissent pas, mais évoluent : il s'agit désormais de méthodes pour affronter l'existence et sa fin inéluctable. L'esprit de l'humanisme ne fut introduit qu'au début du XVIe siècle, avec des références aux auteurs latins. Désormais l'aspect physique et l'aspect spirituel sont placés sur le même plan. Erasme, en 1499, avance une conception spirituelle de la communion continuelle avec Dieu. Cela change la donne du tout au tout : la mort n'est plus le moment clef qu'il faut appréhender avec crainte. L'image du Paradis change aussi et reprend l'héritage païen. La réputation terrestre a presque autant de valeur que les vertus spirituelles. Là se propose un tournant délicat dans la pensée chrétienne. La renommée semble se substituer à la béatitude. Pour Léonard de Vinci, la mort est un retour aux origines et non plus un dilemme entre l'empyrée et les tréfonds de la terre. De nouveaux enjeux se font jour. C'est véritablement un livre d'une grande valeur, très érudit et en même temps parfaitement lisible, qui donne quelques indices pour comprendre de quelle façon l'idée de la mort pendant la période traitée, ne marque pas la fin d'une emprise théologique de l'Eglise, mais déjà la nécessité de sa réforme.




Claude Debussy, Philippe Cassard, Actes Sud, 160 p., 16, 50 euros

Pas question ici d'une biographie en coupe réglée. Ni même d'un traité de musicologie. L'auteur a choisi de nous parler exclusivement des moments forts de la création musicale de Claude Debussy. En somme, c'est une manière d'introduire à l'évolution de la pensée musicale de ce grand compositeur qui a révolutionné cet art au tout début du siècle dernier. Prenons par exemple les chapitres qui concernent l'écriture et la représentation de Pelléas et Mélisandre. Philippe Cassard nous explique de manière concise mais très précise dans quelles conditions il a élaboré cette oeuvre novatrice qui a fait sa gloire, de quelle façon il l'a développée. Puis, il explique comment et elle a été reçue par ses contemporains. Tout cela tient dans une dizaine de pages ! Mais l'essentiel est dit ! Et sa façon de présenter la question est claire pour un profane et certainement enrichissante pour un mélomane averti. Il expose aussi de façon très habile ses grands modèles, comme celui de Liszt, qu'il a eu la possibilité de voir jouer. Il montre aussi les composteurs auxquels ils 'est opposé, comme Vincent d'Indy, pour ne citer que lui. Ses relations avec la littérature, sont très importantes, à commencer celle avec l'oeuvre de Stéphane Mallarmé est aussi documentée. En somme, il a construit avec habilité un faisceau de liens culturels qui nous permettent de comprendre comment s'est construite la culture et la sensibilité de Debussy, en faisant de lui un homme très singulier, mais aussi un musicien qui va participer à engendrer la sensibilité de son temps. Ce petit livre, en nous épargnant ce qu'on peut trouver dans d'autres ouvrages consacrés à Debussy, nous permet de saisir ce qui constitue l'essence si particulière de son art et de découvrir les clefs ouvrant les grandes portes de son cheminement esthétique, qui nous touche encore de nos jours, comme si le temps n'était pas passé.




Compter sur soi, Ralph Waldo Emerson, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Stéphane Thomas, Allia, 144 p., 7,5o euros

Bien que ce livre soit paru en 1841, il demeure parmi les lectures des Américains d'aujourd'hui. Mais avant de parler de cet essai, rappelons qui a été Ralph Waldo Emerson (né en 18o3 à Boston, mort à Concord en 1882) est le fils d'un pasteur unitarien. IL faut rappeler que les unitaristes ont formé une secte chrétienne, proche de l'arianisme condamné définitivement par le concile de Nicée, car il réfutait la Sainte Trinité. Après de brillantes études à Harvard, il a travaillé dans l'école créée par son frère. Il a alors étudié la théologie et est devenu son tour pasteur unitarien. Mais il a ensuite rompu avec ce courant. Après la mort de son épouse, il a entrepris un grand voyage en Europe entre 1832 et 1833. Il a rencontré Wordsworth et Coleridge, John Stuart Mill et Thomas Carlyle. De retour aux Etats-Unis, il s'est installé Concord. Il s'est alors lié avec Thoreau. Il a écrit son premier essai, Nature, en 1836 et l'a publié anonymement. C'est alors qu'il a forgé sa conception du transcendantalisme (ce mouvement intellectuel venait de naître à Cambridge, dans le Massachussetts, et dont il en a été l'un des principaux instigateurs. Ses partisans étaient convaincus que les institutions et la société corrompaient l'homme et sa bonté inhérente. Ces idées s'inspiraient de celles de Kant (idéalisme), et valorisaient l'essence spirituelle de l'être. Ils étaient du même coup, assez proches des romantiques anglais et de la pensée de Swedenborg. Dans ce petit traité, qui dérive des traités de morale grecs, Emerson affirme l'absolu souveraineté de l'être. Il y a chez lui une influence manifeste de Leibniz et de sa monadologie puisqu'il y considère que chaque individu est une partie du tout de l'univers. Cet individualisme farouche répond d'ailleurs bien à l'esprit des premiers Américains. Ce petit volume est, à sa manière, une sorte de guide pour bien mener son existence sans être influencé par l'éthique de la Nation, sa religion ou ses conceptions philosophique et politiques du monde. En somme c'est un vadémécum pour exister en toute indépendance, en s'efforçant de sonder en soi-même les ressources d'une conduite juste, libre et personnelle.




Le Louvre, « le guide 1 h 30 chrono de la visite », Hazan/ Louvre éditions, 9, 50 euros

Je ne suis pas certain que les transformations profondes du musée du Louvre aient contribué à mieux faciliter sa visite ? Et puis j'aimais ce côté désuet et « poussiéreux » de ce vieux palais royal transformé en l'un des plus riches musées du monde. Aujourd'hui le visiter est une gageure. D'abord à cause du nombre étouffant et vertigineux (au sens propre) de touristes (certains se limitent aller seulement voir La Joconde !), et puis cause de ces escaliers innombrables et corridors qui vont dans toutes les directions (on s'y perd très vite). Bref, arriver là où on le souhaite est une aventure pas toujours très agréable. D'où l'utilité de ce guide, qui n'invite pas à faire une visite éclair, mais une visite permettant de contempler de l'Egypte ancienne à Antoine Watteau, en passant par les antiquités orientales, les salles d'apparat de Louis XIV et les cours Marly et Puget. Il va de soi qu'on peut discuter le choix des oeuvres dans ce volume (Van Eyck, Rubens, Le Brun, Georges de La Tour, Chardin pour l'essentiel, et curieusement, au milieu de toutes ces gloires, le très académique Paul Delaroche, avec Le Martyre d'une jeune chrétienne !) -, en somme un parcours par étapes inattendues. Mais, au fond, il permet au visiteur qui découvre le musée pour la première fois de se faire une idée satisfaisante de ses richesses en ayant aussi les indications indispensables pour les voir sans courir en tous sens. Nous sommes désormais dans un monde qui ressemble beaucoup aux premières croisières de plaisance américains telles que les a décrites Mark Twain. Alors, vaille que vaille, ce petit guide avec de bonnes reproductions constitue un moyen de connaître un petit fragment du Louvre, certes pas comme a pu le décrire Théophile Gautier ou Léon-Paul Fargue. Mais ce peut être une bonne initiation.




Le Chemin de février, Anna Seghers, traduit de l'allemand par Jeanne Stern, préface de Lionel Richard, Editions Aden, 416 p., 23 euros

Ce roman d'Anna Seghers (1900-1983, née Reiling, elle a choisi ce pseudonyme, en pensant au grand graveur néerlandais Hercule Seghers). Née à Mayence, elle a grandi dans une famille juive orthodoxe. Elle a fait sa thèse en 1924 Heidelberg sur Juifs et judéité dans l'oeuvre de Rembrandt. Membre du KPD (parti communiste allemand) depuis 1928 et rédactrice du Neuen Deutschen Blätter, elle doit quitter l'Allemagne où ses livres sont interdits, se réfugiant d'abord en Suisse pour ensuite s'installer à Paris. Ce livre, a été achevé en 1935 et son titre original était Der Weg durch den Februar. Traduit en français, il a été pilonné en 1939 sous le gouvernement d'Edouard Daladier à cause du pacte germano-soviétique. Dans ce roman foisonnant et touffu, elle fait s'entrecroiser le destin de nombreux personnages évoluant dans les milieux de gauche, des personnes simples et pauvres qui recherchent un meilleur sort. Elle ne les transfigure pas en héros, mais en des êtres en quête de liberté et d'une condition meilleure. Elle ne décrit pas non plus les victimes du gouvernement autoritaire qui était au pouvoir en Autriche à cette époque. Non, elle préfère les montrer dans leur vérité et avec leurs caractères pas toujours agréable, leurs travers et leurs erreurs. Un tel roman s'écarte complètement de la littérature engagée de l'époque. Son but est de comprendre ce qui était en jeu dans ces courants de gauche après le terrible épisode delà guerre civile de février 1934, quand le chancelier Engelber Dollfuss fait tirer au canon sur le quartier ouvrier de Karl Marx Hof. Dans ces pages s'affrontent les différents courant socialistes, mettant en évidence leurs contradictions et la consistance idéologique du parti communiste (un de ses personnages va à Moscou pour entrer à l'école Lénine). Le mouvement ouvrier a été écrasé, le retour de la monarchie rendu impossible et la première République a connu sa fin. D'une certaine façon, sans se référer aux événements de manière directe, Anna Seghers, faisant pérégriner ses personnages de la capitale à Linz ou à Graz, où des affrontements graves ont aussi lieu. Sans doute est-ce là une prémonition du destin de ce petit qui voulait déjà se rattacher à l'Allemagne après le départ en exil de l'empereur Charles Ier. Ce rattachement n'a pas eu lieu avec l'Autriche allemande comme elle devait s'appeler : les Alliés ont refusé cette fusion. Mais les efforts de cette Première République n'ont pas été couronnés de succès. Il y a chez cet écrivain une sorte prémonition d'un peu commune préscience. C'est un livre qui a une incontestable dimension historique.




Poème à l'impossible, Philippe Lekeuche, peintures de Jean Dalemans, Le Taillis Pré, 74 p., 10 euros

J'ai connu à Montpellier Philippe Lekeuche pour ses connaissances érudites sur la vie et l'oeuvre de Giacomo Casanova. Aujourd'hui, je le découvre comme poète. J'ai été surpris de l'entendre saluer dans ces pages Allen Ginsberg avec un grand élan et j'ai aussi été surpris de le voir citer Oscar Wilde. Il y a chez lui une multitude d'influences, mais aussi une forte cohérence dans l'écriture au-delà de tous ces apports qui nourrissent nécessairement tout écrivain. C'est d'ailleurs curieux de remarquer qu'il a adopté une posture contradictoire : une jubilation contagieuse et un désespoir qui lui semble l'autre face de cette même pièce. Il n'en reste pas moins que ces vers veulent être un hymne à la joie, sans jamais omettre la vérité de l'existence, comme, par exemple, le passage ravageur du temps. « Moon dieu fais que la poésie revienne ! » s'exclame l'auteur : il n'ignore pas que le bonheur que d'abord une conquête, un élan de la volonté. Il nous fait la confidence de ses atermoiements et de ses luttes intérieures. Il considère la vie comme une erreur de la Nature, sa folie. Il sait aussi qu'elle nous entraine vers l'inéluctable. Ainsi nous fait-il partager ce qui n'est pas seulement un destin individuel, mais aussi un sort universel. Il pense ce monde et cet être dans le monde, qui est prisonnier de ce paradoxe qui veut que cette joie exaltée n'est que le fruit de la préscience de la fin. C'est un livre qui est une sorte de danse sur le volcan, un équilibrisme osé, insensé, vibrant de ce qui demande au poète de savoir dépasser toutes les apories qui sont autant d'écueils dangereux pour atteindre la jouissance, qui est, contre tout vent et toute marée, son authentique raison d'être.




Figures stylées, Mathilde Lévesque, « le goût des mots », Points, 208 pages, 6,90 euros

L'idée est a priori bonne : monter dans des termes contemporains comment fonctionne les figures de rhétorique. Mais l'auteur a poussé les choses un peu trop loin. En effet, les exemples qu'elle donne pour expliquer une apocope ou une parataxe sont d'un niveau assez affligeant. Elle veut faire de la grammaire pour des élèves de sixième de la grande banlieue. Elle fait partie de ces professeurs qui veulent éliminer le latin non seulement de l'enseignement, mais aussi comme référence. Or le latin fait partie de notre histoire, car nous ne descendons pas des Gaulois, comme on le raconte dans des bandes dessinées, mais des Gallo-romains. L'Eglise a utilisé le latin jusqu'à une date récente. En somme, ce qu'elle qualifie de langue morte, a été bien vivante dans notre culture. Nous avons ce lien direct qui ne subsiste plus que par des expressions qu'elle veut éliminer. Que penser de ces enseignants qui s'acharnent à détruire notre passé ? N'a-t-on pas éliminé l'histoire aussi de notre enseignement ? Cela a déjà des conséquences tragiques et il n'y a plus qu'une élite qui peut avoir une relation profonde avec la littérature, la théologie et même l'histoire de France. Tous ces mauvais maîtres nous ont mis sur la pente dangereuse de l'ignorance au nom d'une modernité problématique. L'informatique d'ailleurs, qui est l'expression la plus radicale de cette modernité, a exhumé la lettre arobase pour le courrier électronique -, une lettre issue du bas latin et ensuite abandonné au XVIIIe siècle. C'est regrettable et aussi dommage pour une collection qui examine à la loupe notre longue et son fonctionnement qui est vraiment intéressante.




Sauver les phénomènes, Herman Van Brenda, Allia, 96 p., 6, 50 euros

Ce petit livre est en fait une page inconnue de la philosophie du siècle dernier. C'est celui-là même qui a sauvé les manuscrits d'Husserl qui y relate l'histoire un peu rocambolesque des archives du grand penseur allemand, professeur estimé de l'université de Fribourg, qui s'est vu retirer sa chaire dès 1933 pour être juif. Ce tout jeune homme, Herman Van Brenda, alors à peine licencié de philosophie et qui se destinait à entrer dans les ordres (il est devenu franciscain) s'est inquiété de la situation de la postérité d'un homme qui avait révolutionné la pensée moderne. Postérité mise en péril car il était Juif. Après la terrible Nuit de cristal, le vieux Husserl étant l'agonie, il s'est inquiété du sort des écrits du grand homme ; aidé par une religieuse, il obtient de la veuve de l'auteur des Recherches logiques la permission d'emporter tous ces précieux documents inédits à l'université de Louvain dans le but de créer un centre consacrée à son oeuvre. Après bien des péripéties, il parvient à ses fins et crée en Belgique les archives Husserl avec un groupe de spécialistes, rejoint par les disciples du maître, Eugene Fink et Langrebe. Il ne s'est seulement tenter de sauver les papiers du philosophe, mais il s'est aussi occupé de sauver sa femme âgée. La guerre allait ajouter son lot de problèmes tragiques et la correspondance est en grande partie perdue. Et il fallait aussi préserver tout le reste dans des circonstances dramatique ; cet homme passionné et courageux a aussi sauvé l'oeuvre d'Edith Stein, tuée dans un camp de la mort, depuis lors canonisée. C'est un véritable roman d'aventure, narré avec beaucoup d'humilité, mais aussi avec la conviction qu'un homme devait tout faire pour sauver les fruits de la connaissance et de la réflexion. Même au péril de sa vie.




L'Egal des dieux, cent et une versions d'un poème de Sappho, recueil de Philippe Brunet, préface de Karen Haddad, Allia, 160 p., 7 euros

Ce recueil qui part d'une ode de Sappho, considérée par les Anciens comme la dixième muse, qui a vécu (croit-on) au VIIe siècle avant notre ère et dont on ne connaît au fond que deux poèmes et rien de concret sur sa vie, est un pur joyau. En effet, Philippe Brunet a eu l'idée d'aller rechercher toutes les traductions qui ont été faites de ce texte, des Latins, et surtout avec la version de Catulle, jusqu'aux dernières décennies. Il y a là des traductions plus ou moins précises, des adaptations, des extrapolations et même des larcins. De Louise Labé, qui a été peut-être la première des modernes à l'avoir connu à Ronsard et à Jacques Delille (le traducteur de Milton), jusqu'à Lamartine et Jean Richepin, en passant par pas mal d'autres auteurs, jusqu'aux hellénistes modernes, nous prenons connaissance de toutes ces façons de lire et de traduire ce poème quelque peu fantomatique. C'est un voyage extraordinaire dans la transmission d'un savoir et aussi d'un art d'écrire. Chaque poète l'a alors adapté à sa manière particulière et l'a même radicalement transformé. C'est un travail inestimable, mais aussi d'une invraisemblable drôlerie, mais les mots et le sens ne cessent d'évoluer et de se métamorphoser. Logique, oui, normal également, mais tout de même fascinant. Je savais que Sappho avait joué un rôle dans l'histoire poétique de la culture occidentale, mais je ne pensais pas à ce point. Philippe Brunet a fait oeuvre d'une grande érudition, mais aussi a composé un recueil de caractère borgésien. Il doit en être remercié et nul amant de la chose littéraire ne peut rater ce petit livre si riche et si intense.




Corps désirable, Hubert Haddad, Folio, 176 p., 6,90 euros

Je poursuis, avec une sorte d'obstination absurde, l'exploration de ce que j'ignore de la littérature française actuelle, et surtout de ces auteurs dont on parle plutôt en bien ; c'est le vas d'Hubert Haddad, qui a reçu le prix de la SGDL pour l'ensemble de son oeuvre. J'ai donc lu Corps désirable. Ce n'est pas vraiment un roman, mais une sorte de récit gonflé d'un homme qui s'appelle Cédric Allyn-Weberson, le fils d'un riche industriel. Il se fait appeler Erg. L'auteur le présente comme étant presque pauvre, alors qu'il habite un logement de cent mètres carrés rue du Regard à Paris, ce qui est absurde. Il vit avec une jeune femme, Lorna, qui est journaliste. Leur relation est en péril. Au cours d'un voyage en mer, une partie du mât de misaine tombe et le transperce. On le transporte dans le coma dans un hôpital de Sicile, où on ne croit pas à sa guérison. Il est néanmoins sauvé. Il est envoyé ensuite dans une clinique à Turin et il est miraculeusement remis sur pied. Mais, très affecté mentalement, il doit se rendre dans un institut neurologique à Trieste. Tout cela est raconté dans le menu détail, mais ne présente pas un intérêt profond. Un homme, Swen Geisler, a percé le secret de son identité et part à sa recherche et finit par le retrouver. Tout cela n'est pas passionnant et n'est qu'une mince intrigue gonflée. En fait, ce n'est rien. Bien entendu, ce n'est pas mal écrit, raconté de manière passable. Mais si on avait un jugement scolaire à porter, on pourrait dire : peut vraiment mieux faire.




La Première phrase, Elsa Delachair, « le goût des mots », Points, 272 p., 6, 90 euros

C'est un ouvrage passionnant. On y découvre une copieuse anthologie des incipit, qui est l'art de commencer un roman ou un poème (ou même d'ailleurs un essai). Il s'agit d'un art qui révèle la science d'un écrivain -, une science qui est faite d'intuition et de finesse, plus que de connaissances. Certains incipit sont d'ailleurs souvent cités comme des pièces de musée, comme le début d'A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Souvent cette première phrase est fondamentale car elle peut rendre curieux de ce qu'elle annonce ou, au contraire, se révéler un frein à la lecture. Ce vaste choix montre l'habilité de grands auteurs ou, au contraire, une difficulté à trouver une bonne entrée en matière. Ce recueil est une source de découvertes des différentes attitudes des uns et des autres, mais aussi un trésor d'enseignement pour ceux qui veulent tenter leur chance dans l'exercice de la littérature. L'immense diversité des choix faits par des écrivains illustres est une vraie mine ! C'est un plaisir infini de se plonger dans ces pages qui révèlent toutes sortes de façon de faire débuter une histoire et de la rendre attrayante ou singulière. De plus, il n'y a pas que de grands classiques, mais aussi des auteurs modernes ou d'ouvrages d'aventures ou même des romans policiers. De Montaigne à Céline, d'Arthur Conan Doyle à Hanna Arendt, en passant par Guillaume Apollinaire, on ne cesse jamais de s'émerveiller et ou même de se divertir. Je recommande ce livre à tous les amoureux de la chose littéraire, mais aussi aux plus jeunes, qui pourront comprendre que les textes romanesques ou poétiques peuvent réserver des surprises et des étonnements fructueux.




Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin, Folio, 156 p., 6, 60 euros

C'est une petite histoire. Celle d'une jeune femme qui travaille dans une modeste pension dans un petit port perdu de la Corée du Sud. Il n'y a pas grand monde dans cet endroit et la ville n'a pas vraiment de charme. Un beau jour, un jeune Français arrive. Il est auteur de bandes dessinées. La jeune femme est peu à peu attirée, sans rien dévoiler, par cet étranger et elle fini par se séparer de son amant. Le reste du temps, nous passons dans la cuisine on l'on prépare poissons et coquillages. Un beau jour, il repart et il lui laisse en souvenir un dessin. Voilà tout. Cela aurait pu donner une petite nouvelle charmante. Là, cette petite fiction ne nous offre rien qui puisse nous émerveiller. Ce n'est pas mal construit, c'est moyennement bien écrit. D'où vient le relatif secret de ce petit succès ? Mystère.
Gérard-Georges Lemaire
20-09-2018
 
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Verso n°136

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