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[verso-hebdo]
25-10-2018
La chronique
de Pierre Corcos
Ratages réussis
Que serait un ratage réussi ? Un échec complet, total, « sans bavures » en quelque sorte... Oui mais un ratage approximatif, orné de quelques achèvements, même pas fichu d'être accompli, en somme un ratage raté, ne serait-il pas le vrai... ratage réussi ? Il semble que ce dernier type de fiasco foireux traduit en gags par le cinéma burlesque ou par un certain théâtre qui en tire savamment parti, réjouisse beaucoup. Soit qu'on y perçoive de l'existence sa métaphore concentrée, anxiogène sans doute, mais qui, distanciée par le spectacle, se transmue en comique ; soit qu'on se réjouisse d'entrer enfin dans la cuisine de la création, où les essais/erreurs, les reprises et retouches se multiplient en fait, ces mises en scène humoristiques de déboires peuvent donner lieu à des propositions rares, risquées, qui dérangent l'attente convenue de la « bonne forme » (Gestalt).
Deux spectacles récents nous en ont donné confirmation.

Au Théâtre de la Bastille jusqu'au 12 octobre, on a pu rire au spectacle Atelier réalisé par les collectifs flamands Tg Stan, de Koe et Maatschappiij Discordia. Les spectateurs sont assis sur deux rangées de gradins face-à-face et, au milieu, on découvre un empilement de caisses en plastique bleu, un bric-à-brac, un fourbi dont les éléments hétérogènes ne convergent en rien vers un usage précis. Habillés en noir (une touche de ressemblance avec Estragon, Vladimir, Pozzo d'En attendant Godot, tels qu'on les voit le plus souvent...), trois comédiens vont s'activer sans un mot - dans une concertation minimum et un enfilage de maladresses maximum - pour, sur les caisses bleues, monter des planches (il faut bien ça avant de monter sur les planches !), puis hisser des cintres (pour d'éventuels décors) en les faisant tenir avec des... cintres en métal, ensuite fabriquer une espèce de décor en plastique translucide, s'interrompre, se livrer à différents jeux dérisoires, et peu à peu transformer le scène en un capharnaüm invraisemblable. Ils ne cessent de se gêner mutuellement, se démènent avec conviction à l'évidence. Mais, avec le zéro absolu, leur efficacité n'arrête pas de flirter ! Ces Laurel et Hardy plus comparse ne cherchent pas à faire rire, mais de fait, dans leur profuse créativité gaffeuse, ils génèrent le comique. Car les trois comédiens flamands détraquent ce qu'ils montent, à moins qu'ils ne fabriquent avec précision un ratage tout à fait réussi... On retrouve quelques figures classiques du burlesque (par exemple, un long pinceau imbibé en travers de la bouche de l'un macule involontairement l'autre, quand la tête pivote), également des gags festifs propres à tout comique. Mais le spectateur aura vite tendance à interpréter l'ensemble de ces micro-scènes, c'est-à-dire à enclore ces inachèvements dans un questionnement abouti et qui fait sens à propos du théâtre, du Jeu, du statut du comédien, etc. Ce n'est peut-être pas l'attitude la mieux adaptée à cette « foirade ». Les artistes le disent eux-mêmes : « nous voulons montrer qu'il n'y a rien à voir/voilà tout ce que nous faisons/nous n'avons pas de pièce/(...)à la fin nous trinquons/ nous trinquons les uns aux autres/au spectacle qui n'existe pas ». Et les cadres, les châssis se déglinguent en radeau de fortune...

Dans une mise en scène et une co-écriture d'Olivier Lopez, à partir du texte et de l'interprétation en « one-man-show » de Fabrice Adde, le spectacle 14 juillet (au Théâtre du Rond-Point jusqu'au 4 novembre) illustre tout à fait, en révélant ses aspects paradoxaux, l'oxymore de « ratage réussi ». Mettant en échec les bases de la théâtralité, n'allant pas jusqu'au bout de ce qui pourrait être une performance, ne réussissant guère plus à donner la conférence prévue (sur les bonnes façons de prendre la parole en public...), se mêlant les pinceaux dans l'aveu furibond de son échec et l'exhibition d'une histoire personnelle, Fabrice Adde commence déjà son numéro, assez spécial, en sortant un billet de sa poche pour annoncer aux spectateurs que ce à quoi ils vont assister n'a pas grand chose à voir avec ce qui était prévu... Son accoutrement, sa dégaine, sa veste trop serrée, l'oubli de son texte de conférence, ses digressions foireuses aggravent son cas. Les spectateurs rient copieusement... Mais ce clown intellectuel veut malgré tout sauver sa prestation et tente, avec quelque réussite, deux ou trois déclamations : n'avait-t-on pas suggéré plus haut que le ratage réussi serait peut-être un ratage incomplet, et qu'un parfait échec ne serait pas drôle ? Fabrice Adde ne réussit point (volontairement bien entendu) à nous offrir un spectacle qui s'inscrit dans un genre précis mais, mine de rien, celui qui aspire à « démocratiser la pratique de l'acteur » (sic) parvient à nous dire maintes vérités, en général bien dissimulées, sur la façon dont on monte un projet, les concessions à faire aux uns et aux autres, le poids du metteur en scène, le pouvoir du directeur, et même du régisseur... Il parvient, sans pathos, à nous suggérer combien il est difficile, quand on est fils de cultivateurs normands comme lui, de percer dans un milieu qui n'est pas du tout le sien. Alors, de ses maladresses, de ses inadaptations, il fait un numéro atypique qui les exorcise. De cet embarras à se placer dans le monde, Fabrice Adde tire un spectacle insituable. Et il préfère à une réussite qui contraint un ratage libérateur. On le suit volontiers. Avec tout de même cette question : cette formule peut-elle se réitérer ?
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
25-10-2018
 
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Verso n°136

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