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[verso-hebdo]
24-01-2019
La chronique
de Pierre Corcos
La Fête, jadis...
C'est un genre d'expositions qui, avec très peu de moyens (des panneaux et quelques costumes) vous instruit, amuse, fait voyager dans le temps, et bouge quelques représentations figées... L'anthropologue, l'historien, l'esthète se réjouiront également de La Fête au Moyen Âge (jusqu'au 5 mai à la Tour Jean-Sans-Peur, dans le deuxième arrondissement de Paris), mais ceux qui sont venus là par simple curiosité s'apercevront qu'il y ont passé plus de temps qu'ils l'auraient imaginé, tant les savoureuses anecdotes, l'imagerie truculente, et sans doute l'inavouable nostalgie à propos d'une époque où l'on comptait plus de cent jours chômés ( !) par an peuvent enchanter ceux que notre civilisation industrieuse ennuie, stresse ou épuise.

Si ce type complexe de cérémonie que représente la fête passionne l'anthropologue, c'est qu'outre des éléments religieux vivifiés, une suspension du temps profane et des règles habituelles, une transgression relative des tabous et interdits, la sorte de mise entre parenthèses de la « vie normale » qu'elle signifie éclaire indirectement cette dernière, dans sa mythologie, ses croyances, ses moeurs. La fête reste ambivalente, et Freud a raison, pour la définir, d'aligner les oxymores suivants : « un excès permis, voire ordonné, une violation solennelle d'une prohibition ». Si la fête, comme dit Levi-Strauss, est un « désir de désordre, ou plutôt de contre-ordre », au final elle renforce la tradition, la socialisation, l'appartenance étroite au groupe ; et les débordements accidentels, toujours possibles, restent sous contrôle... Si bien que le visiteur peut trouver la fête trop communautaire et accaparante, certes, autant qu'il peut regretter ce temps béni des sociétés traditionnelles, où l'ascétisme n'avait pas commencé à dominer la moralité séculière (« Le puritain voulait être un homme besogneux et nous sommes forcés de l'être »), et à édifier l'ordre économique moderne, comme l'écrivait Max Weber dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme.
Car au Moyen Âge, en dépit de la pauvreté, des famines, des guerres, des épidémies, toutes les occasions semblent bonnes pour faire la fête, comme le montre à loisir cette exposition : Noël bien sûr, mais aussi cette « farandole de saints » (sic) comme la Saint-Jean, la Saint-Nicolas ou la Toussaint, et puis Pâques, la Chandeleur, Pentecôte, la Fête-Dieu : un calendrier surchargé ! Et les réjouissances familiales telles que le baptême, la confirmation, etc., les festivités agraires, le mariage, les fêtes des confréries, les fêtes urbaines, les entrées royales... On en perd la tête ! Les Jeunes aussi ont leurs fêtes, qui se confondent avec des jeux : le roi des coqs, le cheval-jupon, le tir au pigeon. Le théâtre reste bien sûr associé à un moment de fête (c'est d'ailleurs son origine lointaine). Il y a bien sûr Carnaval, Carême, le défilé des chars, la danse, les cadeaux, les mascarades, les joutes... Autant de prétextes à festins et ripailles, pour oublier l'ordinaire de la disette, de la pénurie ! On trouve même une sorte de festival de bêtises : lointain ancêtre de notre actuel « bêtisier », qui tombe comme par hasard pendant les fêtes de fin d'année. Enfin la mort est également l'occasion d'une fête... De fête en fête (une tous les quatre jours en moyenne), le groupe restait soudé, l'individu intégré, tandis qu'une certaine redistribution économique (des riches nobles à l'église, et de l'église aux pauvres) s'effectuait. Alors nos fêtes contemporaines, souvent touristiques et/ou commerciales, ne donnent évidemment qu'une pauvre idée de la liesse, de la ferveur, de la bouffonnerie, de ce mixte détonant de profane et sacré qui, à voir les images et à lire les textes de l'exposition, libéraient les rires, déliaient les corps et les esprits.

Imaginons un peu la Fête de l'Âne telle que les écrits en témoignent : les 26 et 27 décembre (jour de saint-Étienne et saint-Jean l'Évangéliste), un... évêque des Fous était élu dans les églises, et d'énormes bouffonneries confirmaient son sacre. Un âne recouvert d'une chasuble portait ce drôle d'évêque jusqu'au coeur de l'église. Le visage barbouillé, en habits de mascarade, des clercs parodiaient le service divin, tandis qu'au cours de l'office, les textes des chantres, louangeant le baudet de façon comique, étaient ponctués par les braiments de l'assistance. Ensuite, toute excitée, la foule se répandait dans les rues et ruelles, s'enivrant à gogo, puis revenait sur le parvis braire et danser autour de l'animal, en compagnie du clergé ! Bien entendu, libations et agapes se prolongeaient tard dans la nuit... Quant au Charivari, fête très spéciale attestée dès le XIVe siècle, cortège tapageur produisant une « contre-musique » qui transgressait les harmonies religieuses, son but était de moquer les mariages jugés mal assortis (un homme âgé avec une jeune femme, par exemple) ou les remariages venant trop vite après le décès du premier conjoint : la rançon des personnes incriminées consistait à offrir à boire aux participants, à « courir l'âne » de façon grotesque.

Comme sur maints panneaux de cette réjouissante exposition, l'ambivalence de la fête transparaît dans les deux exemples précités : explosion transgressive et bouffonne dans le premier cas, contrôle social indirect dans le second. Mais, qu'à l'une ou l'autre face des fêtes médiévales le visiteur reste fixé, il n'en ressentira pas moins cette profonde rupture que la société moderne, autoproductrice, a marquée avec le monde traditionnel, jusqu'à nous le faire percevoir comme une civilisation engloutie.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
24-01-2019
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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