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[verso-hebdo]
12-11-2015
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Bosch, le Jardin des délices, Reindert L. Falenburg, Hazan, 280 p., 74 euro.

Avant de discuter la thèse défendue par l'auteur, il faut souligner que ce volume est une pure merveille. Nous connaissons tous les grands oeuvres de Bosch, et celle-ci en particulier. Mais les reproductions que nous y trouvons nous permettent de suivre le raisonnement suivi par l'historien de l'art Falenburg en examinant les détails dont il nous entretient. Ensuite, il faut reconnaître que c'est assez osé de proposer une nouvelle interprétation de la peinture de Bosch après toutes celles déjà avancées. Je dois dire qu'ayant lu les écrits de Wilhelm Fraenger (1890-1964), publiés dans son pays en 1947 et en France en 1966, j'avais été assez convaincu par ses théories, qui faisaient de Hieronymus Bosch un adepte d'une secte rebelle, les anabaptistes. Je n'étais pas le premier d'ailleurs, car Marguerite Yourcenar en avait été convaincue dans l'OEuvre au noir. Notre auteur ne cite pas Fraenger, mais seulement Gombrich, qui souhaitait étudier Bosch dans un contexte historique et culturel. Ce refus de prendre les éléments iconographiques et de les étudier en soir et pour soi, dans un pur registre théologique, devrait faire plaisir à ceux qui avaient reproché au savant allemand de s'être aventuré un peu trop sur les voies de l'hérésie. Retirer l'oeuvre de ce peintre dont la biographie demeure assez mystérieuse et partir du seul document d'époque rédigé en 1517 (un peu moins de vingt ans après son exécution) me paraît une démarche curieuse et qui aurait (à mes yeux) pour idée de ramener l'artiste à l'imagination enfiévrée dans le giron de l'orthodoxie. S'il y a un contexte, c'est exclusivement celui des Ecritures. Soit. Mais rien ne se crée dans le néant et il faudrait rappeler les magnifiques ouvrages de Jakob Burchardt sur la Renaissance, ou même ceux d'André Chastel à propos de la Florence de Laurent le Magnifique : un artiste est le fruit de son époque, même s'il adopte une posture singulière ou à contre-courant. La lecture qui nous est proposé ici n'est pas moins passionnante, malgré ces présupposés. Le Jardin des délices n'est pas une représentation fantastique du jardin d'Eden, mais un moyen de faire comprendre aux spectateurs qu'ils avaient perdu la relation intime et profonde avec ce qui a été la beauté absolue de la Création divine. C'est donc un problème d'eschatologie qui est posée par ce polyptique. Et je dois reconnaître que Falkenburg sait se montrer convaincant dans sa démonstration. Son érudition fait merveille et nous conduit à le suivre dans son interprétation. Je demeure sceptique à la fin de son discours, car il nous dépeint un monde contaminé inexorablement par le mal et que l'empreinte de cette perfection à la fois terrestre et mathématique (donc céleste) du commencement a une résonance morale qui n'est peut-être pas étrangère au propos de Bosch, mais trop bien pensante pour justifier cette débauche de scènes cocasses, obscènes ou fabuleuses... Quoi qu'il en dise, il est amené à replacer ce chef d'oeuvre dans un rapport contextuel avec ce moment de la Renaissance dans les Flandres et, de manière plus précise dans son cas, à la cour de Bourgogne, où la littérature et la philosophie ont fleuri alors. Quoi qu'il en soit, c'est un ouvrage riche d'enseignement qu'on accepte ou non les considérations de cet érudit.




Chagall et la musique, sous la direction d'Ambre Gauthier & Meret Meyer, Philarmonique de Paris/La Piscine de Roubaix/Gallimard, 360 p., 45 euro.
Chagall et la musique, Ambre Gauthier, « Hors série Découvertes », Gallimard, 48 p., 8,90 euro.
Chagall, de la palette au métier, sous la direction d'Olivier Le Bihan, MUba/Snoeck, 216 p., 28 euro.


Les « monstres sacrés » de l'art du XXe siècle posent un grand problème aux critiques e taux commentateurs : que peut-on encore dire de nouveau et d'original sur des créateurs connus de tous ? Chagall fait partie de ce nombre restreint de peintres dont on voit très régulièrement de grandes expositions. Cette fois-ci, le thème choisi à la Piscine de Roubaix - « Chagall et la musique » - et celui adopté par le MUba de Tourcoing - « de la palette au métier » - permet sans doute de voir les choses sous un éclairage légèrement différent. La musique est un sujet intéressant dans son cas, car elle est omniprésente dans ses oeuvres, de ses débuts à la fin. Ce n'est pas une problématique formelle, mais un élément du discours iconographique. Le petit monde juif qu'il a connu dans son enfance est marqué par le shofar de la synagogue et par le violon des musiciens des shtlek (le violoniste est une figure emblématique de la littérature juive, mi religieuse, mi folklorique). Dans son esprit, il est clair que ces images d'autrefois de la Russie tsariste se mélange à la musique classique qu'il a découverte par la suite et dont il a pu jouir en France ou dans les autres pays qu'il a connus en Occident après avoir fuit Vitebsk pendant la Révolution soviétique, à laquelle il avait pourtant adhéré. Chez lui, l'espace et le temps se confondent. Les souvenirs se conjuguent avec des images du présent. Rien donc de surprenant qu'André Malraux, quand il a été ministre de la culture lui ait commandé le nouveau plafond de l'Opéra (1964). En dehors des nombreux ballets et opéras dont il a pu faire le décor et les costumes, Mais il faut surtout se tourner vers ses oeuvres pour en prendre toute la mesure. Son violoniste emblématique n'est pas toujours présent. C'est souvent le violon seul qui flotte dans les airs avec d'autres éléments iconographie et, selon les situations, la lune peut en jouer autant que toute autre figure présente dans son rêve pictural. Mais, dans ses tableaux, ses dessins, ses gravures, ses vitraux, cette polarité ne gouverne ses compositions. On voit souvent apparaître la lyre quand il représente David (par exemple : Le Roi David en bleu, 1967), ou le violoncelle, ou encore la mandoline dans David à la mandoline ou dans Lise à la mandoline (1914), ou bien dans les défilés de fêtes foraines ou de cirques comme dans L'Exode (1952-1966) ou Le Grand cirque (1968). Il y a aussi tout un orchestre pour célébrer la Révolution de 1917 dans l'esquisse pour La Révolution (1937). Chez lui, il n'y avait pas de rupture entre le profane et le sacré : toutes les scènes de la vie quotidienne prennent une tournure onirique et font partie de la sacralité qu'il voit dans les choses les plus modestes. L'une des tapisseries présentées au MUba de Tourcoing, toute en gris et blanc, nous fait voir un colossal Moïse au milieu d'une piste de cirque avec une foule grouillante sur les gradins. C'est ce qu'il a toujours recherché. Et ses Christ en croix s'intègre dans ce microcosme hébraïque dans son essence dont le reste du monde n'est pas exclu : la croix fait partie de la Russie de ses jeunes années et aussi dans la France où il s'est installé ou aux Etats-Unis où il s'est réfugié pendant la guerre. Et puis il y a dans sa manière de peindre quelque chose qui fuit, après la période soviétique, toute idée de formalisme. Les figures s'ordonnent selon un mouvement musical. Et cela ne fait que s'affirmer au fil des décennies. La Fiancée au visage bleu (1932-1960) le prouve et des instrumentistes survolent le couple qui se découpe sur un fond de petite ville russe d'autrefois. La musique y est présente par deux biais : la figuration et le traitement de la scène. Ces trois manifestations et ces deux catalogues nous permettent de considérer Chagall avec un oeil neuf et de comprendre comment il s'est inséré dans son époque et comment il nous charme encore aujourd'hui. Après tant de publications et tant d'expositions de diverses valeurs, Chagall est revu dans un éclairage révélateur et ce choix de la musique comme ligne de tension pour envisager son art a été un choix pertinent et enrichissant.




Retour vers l'abîme, l'art à l'épreuve du génocide, sous la direction de Nicolas Surlapierre & Philippe Cyroulnik, Mare & Martin, 316 p., 28 euro.

La question de l'holocauste est loin d'être close. En fait, même si de nombreux ouvrages ont été écrits sur son histoire, ses présupposés idéologiques, sur les conditions industrielles et techniques de son accomplissement, même si les survivants ont fini par témoigner, demeurent encore des zones d'ombre. Et surtout, maintenant que ces événements terrifiants appartiennent à un temps lointain et que les derniers témoins disparaissent peu à peu, on se rend compte que la réalité de la Shoah s'est émoussée et qu'elle apparaît dans l'esprit des plus jeunes avec une intensité mineure. Je renvois aussitôt le lecteur à un livre très intéressant sur la relation des nouvelles générations avec ce génocide à une dimension jusque là inconnue : La Shoah de Monsieur Durand de Nathalie Skowronek (Gallimard). Primo Levi (Si c'est un homme), Imre Kertesz (Etre sans destin), qui ont connu les camps de la mort nous ont instruit sur l'inimaginable réalité de ce qui s'y ait déroulé. Quelques ouvrages (Claudio Magris vient de publier un roman, Non luogo da procedere, qui évoque la Riziera di San Saba à Trieste) et quelques films (La Vie est belle de Roberto Benigni étant sans doute le plus original) l'évoquent d'une manière puissante et suggestive. Du côté de l'art, il n'y a guère qu'Anselm Kiefer qui ait affronté la question avec des installations monumentales qui étaient, je dois l'avouer, très impressionnantes.
Ce qu'ont entrepris Nicolas Surlapierre (conservateur du patrimoine, directeurs des musées de la citadelle de Belfort) et Philipe Cyroulnik (directeur du CRAC de Montbéliard) tient de la gageure : représenter la Shoah à travers la création artistique. Et ils ont réussi ce qui pouvait sembler presque impossible : une exposition cohérente, dense, riche, passionnante, nourrie d'explications et de commentaires, mais sans le travers de la leçon didactique.
La première partie de l'exposition présente des artistes qui ont été les victimes des persécutions nazies et y ont souvent perdu la vie. Le plus célèbre de tous est sans conteste Otto Freundlich (1878-1943 au camp de Lublin-Majdanek). Ce grand artiste abstrait est représenté ici par deux sculptures et plusieurs gouaches magnifiques. Il y aussi un splendide et terrible tableau de Felix Nussbaum (1904-1944 au camp d'Auschwitz-Birkenau), Le Croque-mort (1942-1943) qui montre un homme épuisé (sans doute un autoportrait) au premier plan et derrière lui une rue pleine de squelettes ; des drapeaux noirs en lambeaux flottent de manière pathétique aux fenêtres. Nussbaum s'était caché en Belgique, mais la Gestapo l'a retrouvé grâce à une dénonciation. C'est sans doute l'un des plus grands artistes allemands de la génération de l'entre-deux-guerres. L'admirable Bruno Schulz devait être présent dans cette rétrospective plusieurs dessins, mais cela n'a pas été possible. Ce qui est regrettable car, en dehors du fait d'avoir été un grand écrivain, il a aussi été un grand artiste. Viennent ensuite des artistes moins connus, mais néanmoins dignes qu'on s'arrête devant leurs oeuvres, qui sont souvent bouleversantes. Je pense à Maryan, à Joseph Steib (1898 à Mulhouse-1966), qui a fait deux portraits charge d'Hitler assez exceptionnel (La Damnation du führer, 1941, Le Conquérant, 1942), et qui a fait d'étranges scènes de la vie de l'époque, représentant par exemple le départ du train des déportés (L'Amour du prochain, 1942). Il a caché ses tableaux derrière un faux mur pendant toute la durée de la guerre ! Enfin, les portraits de Gela Seksztajn ou les gravures de Henryk Beck sont des ouvrages qui ont une force expressive dérangeante.
En ce qui concerne l'art contemporain, j'ai des sentiments plus mitigés. Mais cela est normal. Sans doute Les Jeux des anges de Walerian Borowczyk, qui est très saisissant, des superbes tableaux des années 70 de Jacques Monory, qui ont une tonalité grinçante dans les relations chromatiques autant que dans le sujet, je reste un peu plus sceptique devant les autres créations. Bon nombre d'entre elles sont tout à fait honorables et sont même pertinentes, mais souvent allusives. Même Boltanski, qui a produit un certain nombre d'oeuvres sur la question, me semble un peu sotto voce (comme il l'a été à la Biennale de Venise au pavillon français). Jean-Marc Cerino est plus explicite sans doute, mais ses oeuvres ne frappent pas l'imagination. Sans doute, tous ces artistes par la vidéo ou la peinture, le dessin et toute autre technique, ont-ils eu une vision de cette effroyable affaire, comme Pierre Faucher, mais toujours avec des travaux très policés et, je le répète, trop au deuxième degré. Cela dit, l'ensemble permet de mettre en mouvement une réflexion et ce qu'ils ont fait n'est donc pas absurde ou hors de propos. Mais Colette Hyvrard ou Carlos Kusnir ne parviennent pas à soulever une émotion renversante, même si ce qu'ils proposent est valide. Serge Le Squer avec sa vidéo «Un camp, cinq stèles » nous propose un randonnée curieuse, mais pas frappante, pour ne citer qu'eux. Malgré cette réserve, l'exposition, dans son ensemble, est remarquable et cela tombe sous le sens car elle impose une réflexion collective sur la machination infernale du IIIe Reich. Quand on la parcourt, on ne peut rester indifférent, ni éviter de se poser des questions. C'est peut-être l'art actuel qui pose un léger problème dès qu'il s'agit d'affronter des thèmes majeurs. Les commissaires ont accompli une tâche admirable. Mais encore faut-il que les troupes suivent et aient un certain punch ! A force maniérismes et de positionnements alambiqués par rapport à la nécessité de conceptualiser l'art, beaucoup ont perdu la capacité de nous surprendre et de nous faire éprouver des sensations fortes et des méditations puissantes. Les commissaires ont fait là un travail qui force l'admiration qui devrait être repris dans d'autres lieux en France et développé. Mais, en conclusion, on peut se demander : la Shoah peut-elle être comprise par le biais de l'art ?



Ses Bois pour le jazz, Sergio Birga & Des Croquis pour le jazz, Sergio Birga, Robert Bonacorsi, Ines Desquines, Galerie 89, Paris, 30 p., 10 euro.

A l'occasion e son exposition personnelle à la galerie 89 a été réédité le catalogue intitulé Des Croquis pour le jazz et aussi celui Des bois pour le jazz, tous les deux présentés par le directeur de la Villa Tamaris, qui avait commandé ces travaux à l'artistes à l'occasion de son festival de musique en 2007 et les avait montrés à cette occasion. Le visiteur a pu ainsi découvrir l'art exceptionnel de Birga dans le domaine de la xylographie dont Félix Vallotton avait fait ses délices. Toutes les pièces reproduites dans les deux ouvrages étaient présentes dans cette nouvelle galerie. L'exposition réunissait surtout un choix d'oeuvres (bien fait et bien accroché par le commissaire, Ines Desquines) réunissant des vues de Paris (surtout les très beaux toits de la ville) et de New York. Le jazz est un exercice de style très impressionnant car l'artiste a choisi pour chaque groupe de musiciens une couleur spécifique. Sans doute Birga est-il aujourd'hui l'un des xylographes les plus intéressants en France, en associant l'esprit de l'expressionnisme allemand (revisité) de ses début et sa manière bien à lui de s'inscrire dans la perspective de la figuration narrative, sans se rattacher à ses grands axes. Ces deux ouvrages qui ont été réalisé dans un format à l'italienne sont de précieux documents pour découvrir la démarche d'un peintre dont on n'a pas vraiment reconnu les mérites et l'originalité.




Le Temps des assassins, Philippe Soupault, « L'Imaginaire », Gallimard, 476 p., 14,50 euro.
Profils perdus, Philippe Soupault, Mercure de France, 142 p., 13 euro.


C'est une découverte extraordinaire et certainement le plus beau livre en prose de Philippe Soupault : Le temps des assassins relate les six mois que l'écrivain a passés dans les geôles des sbires du gouvernement de Vichy à Tunis, où il travaillait à la radio. Il faisait partie d'un réseau de résistance et son arrestation était à peu près inéluctable. L'aspect le plus frappant de ces pages, c'est sa faculté d'analyser le système pénitentiaire et judiciaire aussi stupide qu'arbitraire, d'autant plus avec les personnages liés à ce régime. Il nous parle de ses camarades, d'autres résistants partisans du général De Gaulle ou bataillonnaires, simples délinquants ou des Arabes emprisonnés après une bagarre avec la police. Il s'attache au destin de chacun d'eux. En sorte qu'il fait à la fois un portrait de groupe et le portrait de chaque individu qui le compose. Et avec une incroyable richesse de détails. La situation a rarement été dépeinte par un homme de lettres (sauf par Giorgio Voghera dans En prison à Jaffa, Editions de la Différence) et elle prend ici une résonance incroyable. On a l'impression de vivre avec lui dans une cellule. Merveilleusement écrit, ce séjour dans les geôles de Vichy en Afrique du Nord (le livre se termine quand Soupault est libéré et que les Alliés approchent) a été publié à New York en 1945 et n'a plus été réédité depuis. Il nous donne de l'écrivain une nouvelle image, qui prouve qu'il aurait pu mener une oeuvre bien différente s'il l'avait souhaité. Ses longues journées d'incarcération resteront gravées dans l'esprit du lecteur car il n'y a rien de dramatique, mais la représentation d'un arbitraire et d'une corruption rampante doublé d'une absurdité folle. Et les hommes qui ont vécu ce traitement carcéral sont émouvants bien qu'ils ne soient pas tous des enfants de coeur ni des personnages sympathiques. La réédition des Profils perdus, parus en 1963, s'imposait. Ce ne sont pas de courtes biographies ni des notes de lecture, mais de brèves évocations, où il ne met en valeur que quelques traits du personnage choisi. Son portrait d'Apollinaire est très émouvant car il entend lui conserver sa véritable dimension et il lui consacre un long poème. Plus surprenant pour l'un des fondateurs du surréalisme sa relation avec Marcel Proust -, qu'il admirait pour son extravagance et avec lequel il a pu s'entretenir! Pierre Reverdy voisine avec le Douanier Rousseau, James Joyce avec Georges Bernanos, et il revient sur Baudelaire car il lui semblait nécessaire de revenir sur la question du vers en prose. Enfin il raconte à des étudiants son entrée dans le moule du dadaïsme et dans celui du surréalisme. Rien de moins académique que ces petits textes charmants, mais diablement intelligents et riches d'enseignements.




Enquête sur un sabre, Claudio Magris, traduit de l'italien par Marie-Anne Toledano, « L'Imaginaire », Gallimard, 112 p., 8,50 euro.

Ce fut la première oeuvre de fiction que Claudio Magris a publiée en 1984. Mais c'est une fiction qui est aussi une enquête poussée sur un événement historique étrange, qui s'est déroulée pendant la Libération dans la région de Trieste. Tout le monde avait fini par se convaincre que c'était le général des cosaques, l'ataman Krasnov, qui avait été tué par les partisans en même temps que son aide de camp : on avait retrouvé dans sa tombe un sabre brisé. Mais ce n'était là qu'une pure et simple légende : Krasnov avait en réalité été fait prisonnier par les Anglais qui l'ont remis aux autorité soviétiques. Le général a été jugé à Moscou en 1947 et pendu. Mais les fables ont la vie dure ! Claudio Magris a été le témoin, réfugié à Udine pendant une partie de la dernière guerre, de l'arrivée des cosaques à cheval, ainsi que des peuples de Caucase à dos de chameau, dans un piteux état et mal armés. Hitler, qui était un homme généreux, avait offert à ce qui restait de la considérable Armée Vlassov (des Russes et d'autres peuples de l'Union soviétique, au total un million d'hommes rassemblés dans la ROA) pour ses bons et loyaux services sur le front de l'Est un morceau du territoire italien du Nord-Est ! Cette épopée absurde, carnavalesque s'il elle n'avait pas été aussi tragique, qui se déroula dans les montagnes du Frioul et dans toute la Carnie, était le dernier acte de l'Opération Barberousse et du rêve hégémonique des nazis. Magris nous raconte la vie de Krasnov, ancien officier de l'armée blanche qui lutta contre les forces bolcheviks. Krasnov incarne un monde révolu qu'il espérait ressusciter de ses cendres. Mais c'est aussi une méditation sur tout ce qui a pu se dérouler dans ce territoire qui avait été en première lors de la Grande Guerre et qui deviendra ensuite un lieu de conflit entre l'Occident libéral et les régimes communistes, en particulier la Yougoslavie de Tito. Trieste n'est d'ailleurs redevenu italienne après un singulier découpage du territoire en deux zones, appelées A et B. C'est un court récit, mais absolument fascinant et qui nous apprend comment l'Histoire engendre mille histoires, et ici l'ampleur du titanesque affrontement en Russie s'est terminé dans une grotesque création d'un Etat cosaque dans les vallées et les montagnes de cette petite région de la péninsule. Une merveille.




Discours d'un arbre sur la fragilité des hommes, Olivier Bleys, Albin Michel, 304 p., 20 euro.

Olivier Bleys ne m'est pas inconnu. J'ai lu plusieurs romans de lui, dont Pastel, qui ne m'avait pas déplu, malgré quelques faiblesses. C'est un auteur qui sait trouver des sujets originaux et qui en tire des écrits agréables et souvent intéressants. En dehors de la beauté du titre, j'ai été étonné par ce dernier roman paru : ce titre nous entraine sans attendre en Chine, mais dans la Chine contemporaine, celle du développement industriel sauvage et donc anarchique d'une Chine qui semble irrépressible. Nous avons deux personnages principaux et leur famille, qui vivent dans un quartier assez peu favorisé dans une banlieue où poussent les usines et où se déroulent les activités de toutes sortes. Ils méditent sur un vieil arbre et ce qu'il peut signifier selon leur philosophie toute particulière. C'est le seul vrai lien avec la Chine ancienne. Tout le reste n'est qu'un enchaînement de mésaventures à cause du propriétaire, qui ressemble plus un chef de gang qu'à un homme d'affaires. Mais l'intrigue est mince et l'expulsion de nos héros de leur vieille baraque finit par ne pas avoir lieu après un démarrage en grande pompe des travaux. Tout cela aurait pu se passer aux environ de Saint-Etienne ou de Vesoul. On n'apprend rien sur ce grand pays et ses habitants. Les tribulations des uns et des autres sont parfois cocasses, malgré l'arrière plan tragique, mais au fond cela ne justifie pas un roman aussi long. Cela se lit comme du petit lait, mais une fois lu, il n'en reste pas grand choses : nos personnages n'ont guère de consistance (à part leur acharnement à sauver leur veille maison). Quelle leçon en tirer ? Que le pauvre et l'impuissant peuvent triompher des riches et des puissants ? Soit. Mais cela n'est pas même évident. Quand aux paysages de cités pléthoriques et de leurs infrastructures monstrueuses, ce n'est pas une découverte - ce qui a lieu en Chine de ce côté-là se passe ailleurs et dans les mêmes termes. Je ne sais pas quelle conclusion apporter. Lisez-le. Vous me direz !




L'Affaire Collini, Ferdinand von Schirach, « Folio », Gallimard, 192 p., 6,40 euro.

La trame peut se résumer en quelques lignes. Un ouvrier spécialisé travaillant dans l'industrie automobile, Fabrizio Collini, assassine un notable allemand d'un certain âge, Hans Meyer. Il reconnaît les faits, mais refuse de s'expliquer. Pour son jeune avocat, Caspar Leiner, commis d'office pour le défendre, l'affaire se présente assez mal. En plus, l'inculpé reste muet sur ses mobiles. Mais il finit par découvrir pourquoi il a commis cet acte que tout Le monde trouve logiquement son geste odieux et gratuit. En fait, Meyer était officier pendant la guerre, et avait fait exécuter des otages en Italie, parmi lesquels le père de Collini. La question du procès se déplace sur celle des actes de représailles de masse commis pendant la Seconde guerre mondiale, actes qui on t été implicitement dispensés de toute juridiction en Allemagne par un décret promulgué dans la plus grande discrétion. Ce livre qu'on aurait pu prendre pour un roman policier se transforme en une interrogation sur les crimes commis par la Wehrmacht ou les SS pendant la période du conflit. C'est bien fait, et Ferdinand von Schirach se révèle d'une grande efficacité sans grands effets de manche, mais simplement avec une démonstration implacable. C'est intelligent, bien écrit et bien amené.
Gérard-Georges Lemaire
12-11-2015
 
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