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[verso-hebdo]
07-04-2016
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Chefs-d'oeuvre de Budapest, Laurent Salomé & Cécile Maisonneuve, éditions de la réunion des musées nationaux - Grand Palais, 249 p., 35 euro.

La première fois que j'ai découvert ce grand musée (sans doute le moins connu des lieux les plus riches d'oeuvres d'art anciennes en Europe), j'ai été fasciné par la salle exclusivement des tableaux du Greco, dont on ne voit au musée du Luxembourg que trois beaux exemplaires - il était bien entendu impossible de les amener tous ! Mais la seule Annonciation (circa 1600) suffirait à notre bonheur esthétique. L'idée des commissaires a été de donner une idée de ce que recèle ce palais des merveilles pour chaque époque. Des premiers moments de la Renaissance jusqu'à son accomplissement, jusqu'au début du siècle précédent, des tableaux d'une grande beauté se succèdent, entre autres, le Portrait d'un jeune homme de Dürer, la Salomé de Cranach l'Ancien, La Vierge à l'Enfant de Bernardino Luini, le Portrait d'homme de Véronèse avec son grand manteau noir doublé de fourrure et son Christ en croix, Yaël et Sisera d'Artemisia Gentileschi, une Judith dans la tente d'Holopherrne de Johann Liss, un Tobie et l'ange de Karl Du Jardin. Les peintres les plus célèbres alternent avec des figures bien moins connues mais d'un intérêt évident. De Giambattista Tiepolo à Franz Hals, de Rembrandt à Pieter de Hooch en passant par Rubens, c'est le siècle d'or qui se révèle à nous. Le XVIIIe siècle est également fastueux, avec son Rémouleur et sa Porteuse d'eau, son Portrait de Manuela Camas y de la Heras. Et le siècle suivant est représenté par avec La Maîtresse de Baudelaire d'Edouard Manet , des paysages marins de Claude Monet, Le Buffet de Cézanne, ; Les Cochons noirs de Gauguin et l'extraordinaire crayon de Georges Seurat, L'Homme assis sur un banc coiffé d'un chapeau melon. Enfin, c'est un pan de l'art hongrois qui nous est présenté. IL faut dire qu'il n'existe que sur un ton mineur pendant longtemps et ne commence à exister qu'à partir du XIXe siècle. Mikhàly Munckàssy est un excellent portraitiste dont on peut découvrir le Portrait de Franz Litsz (1886) et Kàroly Ferenczy est un intéressant disciple des impressionnistes (avec sa Femme peintre). Et puis on rencontre ¨Pàl Szinyei Merse, qui a peint en 1882 son Alouette (il nous rappelle un peu Vallotton). Enfin, avec La Femme à la cage de Jòsef Rippl-Rònai, a été le plus grand de tous, en commençant par apprendre la leçon de Monet et de ses camarades puis en adoptant les codes du symbolisme sans abandonné son goût prononcé pour le jeu des harmonies chromatiques, même si ses compositions sont réglées par des plages de couleurs emblématiques. Jàmos Vaszary enfin est l'un des grands représentants de cette période avec une singularité extrême car il ne ressemble à aucun de ses grands confrères européens : son Age d'or (1898) est étrangement mélancolique ! Ce catalogue conserve le souvenir de cet événement merveilleux car on n'a pas tous les jours la chance de contempler une partie aussi belle d'une grande collection.




Braïtou-Sala, l'élégance d'un monde en péril, sous la direction d'Alice Massé, La Piscine de Roubaix.

Ce qui fait l'intérêt et le succès de La Piscine de Roubaix, c'est que son directeur fait alterner des exposition de grands maîtres (Marc Chagall par exemple il n'y a pas longtemps) et des artistes mal connus ou carrément inconnus de la plupart d'entre nous comme Albert Braïtou-Sala (1874-1947), qui n'a eu de rétrospectives que très récemment. Il faut le dire d'entrée de jeu, ce n'est pas un immense peintre. C'est en plus un artiste qui a choisi d'exercer dans les cercles mondains, bien sûr pour s'assurer une clientèle fortunée. Mais il n'a ni l'histoire ni le talent d'un Van Dongen. De plus, il est allé vers une certaine facilité pour satisfaire ces amateurs qui ne devaient pas faire partie des amants inconditionnels de l'art moderne. Mais son histoire n'est pas dépourvue d'intérêt, tout au contraire. Ce Juif de Tunisie, commence son initiation à la technique picturale en 1899 à Tunis. Il vient s'installer à Paris au début du siècle dernier et décore des vitrines de magasins pour gagner sa vie. Il étudie à l'Académie Julian à partir de 1909 et fait sa première apparition publique en 1913 au Salon des Artistes Français, le plus conventionnel de tous les salons d'alors. IL fait vite son chemin 'il a reçu en 1916 le prix de dessin à l'académie Julian). C'est à cette date qu'il commence à exécuter ses autoportraits, une activité qu'il poursuivra pendant de longues années. Médaillé d'argent en 1920 au salon, il peut se lancer dans une carrière de portraitiste. Il connaît un certain succès dans les milieux huppés, mais pas dans la haute société parisienne. En tout cas, il peut vivre de sa peinture sans problèmes et il est côtés parmi ces peintres un peu académiques qui exercent pendant l'entre deux guerres. Là où il montre ses faiblesses, dans sa culture et dans son savoir-faire, c'est quand il s'attache à représenter des scènes mythologiques, avec une petite dose d'érotisme dont il pimente ses compositions (il en fait même l'essence de ce genre de composition). Le plus est surprenant est qu'il ne fait pas partie de ces « métèques » qui sont attaqués par la critique la plus en vue de cette période. D'autant plus que sa citoyenneté française ne lui sera confirmée qu'en 1943 -, ce qui le sauve de graves ennuis que l'on peut imaginer. Mais il a tout de même été frappé par l'interdiction d'exercer son métier à partir de 1942. Plusieurs membres de sa famille son arrêtés et déportés pour un voyage sans retour. Pour sa part, il expose dès la Libération à la société des Arts et des Lettres de Neuilly. Après quoi, son étoile pâlit et sa vue baisse considérablement : il travaille de moins en moins et sa dernière exposition a lieu en 1962 à Arles. En tout cas, il a pu incarner l'esprit de ces années vingt et trente, dont a su capter l'esprit et la forme. Certains de ses portraits de femmes sont élégants et loin d'être méprisables. Il ne manquait pas de qualités, ni de métier, mais il a choisi d'épouser le goût de ses commanditaires. En dépit de ses défauts, il faut le découvrir absolument car on ne peut comprendre ce qui s'est passé dans l'art sans voir ce que faisait un professionnel aguerri comme lui.




Scènes du plaisir, la gravure libertine, Patrick Wald Lasowski, deux volumes sous coffret, Editions Cercle d'art, 1er volume, 246 p., 2e volume, sans pagination, 39 euro.

Ce coffret est une petite merveille. Ce qui fait que cette édition puisse être jugée admirable, c'est que l'un des ouvrages est une longue et sérieuse étude sur l'imagerie érotique. L'auteur a fait un travail historique des plus sérieux et nous fait découvrir les secrets de l'édition de ces ouvrages illustrés souvent vendus sous le manteau. Après une brève introduction, qui est un rappel de ce que l'on connaît des civilisations anciennes, il nous introduit à la fin du XVIIe siècle et nous amène jusqu'à la fin du XVIIIe. En somme, il se limite à l'âge d'or de cette production qui se prolongera, cela va sans dire, jusqu'à nos jours. Il ne se perd pas en conjectures : il cite de nombreux textes de cette période qui parlent dans le plus menu détail des livres incriminés et des gravures qui les accompagnent. L'auteur montre que la gravure ne sert pas seulement à fournir une illustration au texte, mais lui procure un prolongement visuel, qui en décuple la force évocatrice. On peut ainsi comprendre quel a été l'importance du commerce de ces livres licencieux et de l'iconographie qui les rend encore plus désirables et précieux. Mais l'érudition n'est pas la seule finalité de ce qu'a écrit Patrick Wald Lasowski : il veut nous faire éprouver la jubilation qui sous-tend cette pratique pour ceux qui en sont amateurs. La gravure érotique fait partie d'une culture souterraine, qui est néanmoins prospère et donc prolixe, et qui entre dans les collections des personnages les plus importants de l'ancien Régime, à commencer par les hauts dignitaires de l'Eglise. Passons maintenant aux faits : le choix effectué par l'auteur est assez ouvert pour qu'on puisse se faire une idée assez précise de ce genre d'images libidineuses. Le second tome, qui renferme les dites images est un étonnant florilèges de scènes scabreuses. Beaucoup de ces artistes sont inconnus. Ils ont illustré les plus grands auteurs de ce genre, de Nerciat à Sade, en passant les Bijoux indiscrets de Diderot et par d'autres amateurs de la galanterie qui ont préféré se cacher derrière le paravent d'un pseudonyme, on découvre toute la gamme des représentations grivoises d'un siècle qui ne s'est pas privé dans ce domaine. En plus de l'intérêt historique de ce florilège visuel, on peut prendre la mesure de ce qui nous rapproche et aussi nous sépare de ces moeurs. Il n'y a pas de frontière alors entre ce que nous appelons érotisme et ce que nous considérons être de la pornographie. C'est sans doute l'une des plus importantes mutations dans notre culture. Il y avait alors un libertinage plus ou moins poussé, que le divin marquis a cru bon de pousser jusqu'à une dimension exponentielle.




Gustave Fayet, l'oeil souverain, collectif, Editions du Regard, 256 p., 29, euro.

Il faut que je le reconnaisse : le nom de Gustave Fayet ne me disait pas grand chose. Son histoire ressemble un peu à celle de Caillebotte : il avait deux défauts, le premier était d'être riche et de pouvoir se constituer une belle collection, la second d'être artiste. Caillebotte a été réhabilité il n'y a pas si longtemps que ça. Ce fort volume a le mérite de reconstituer l'existence de ce Bitterois qui a eu la chance de naître en 1865 dans un milieu de passionnés d'art et de culture. Son père était peintre et il a appris le métier auprès de lui pendant ses tendres années. Son oncle était lui aussi un amateur d'art et avait sa collection d'oeuvres contemporaines. Dès qu'il le peut il entreprend d'acheter des oeuvres des artistes qui lui plaisent, surtout de Paul Gauguin et d'Odilon Redon, dont il deviendra l'ami intime. Il possède bientôt un bel ensemble de pièces, comprenant des Manet et des impressionnistes. En 1901, son prestige est déjà grand car il est nommé conservateur du musée de Béziers en 1901. Quatre ans plus tard, il s'installe à Paris et poursuit avec passion l'édification de sa collection. Il fait également commerce des toiles qu'il a pu acquérir. En 1908, il achète l'abbaye médiévale de Fonfroide (dans les environs de Narbonne) et décide de la restaurer. Il y consacre tout le reste de sa vie. Il invite aussi des artistes de son temps à y réaliser des décors ou des peintures. Redon y exécute deux grands panneaux pour la bibliothèque, Le Jour et La Nuit. Ce que fait Fayet dans le domaine de la peinture est inspiré soit par Redon, soit par Gauguin, soit par Matisse - un peu par Van Gogh avec ses Cyprès bleus. Il est évident que c'est un épigone, mais avec beaucoup de classe et même un certain talent, qui n'est pas dépourvu de qualités loin de là. Enfin il a su évoluer avec constance, s'est rapproché d'abord de l'impressionnisme (mais sans en embrasser la cause) et puis son style est devenu plus libre et il a pu produire des toiles telles que La Route mystérieuse. L'histoire de cet homme est vraiment intéressante et ses entreprises ne peuvent pas laisser indifférents tous ceux qui se passionnent pour l'art en France à la fin du XIXe et au début du XXe. Ce livre permet en tous cas de découvrir tous les aspects du personnage et de lui redonner la place qui lui est due dans le monde artistique de son époque.




En mouchant la chandelle, nouvelles chinoises des Ming, traduit du chinois par Jacques Dars et revu par Tchang Foujouei, « L'Imaginaire », Gallimard, 224 p., 8 euro.

Quelles merveilles que ces nouvelles ! Elles sont souvent drôles, parfois émouvantes, toujours animées et riches d'événements les plus divers. En effet, elles touchent à tous les sujets possibles, de la galanterie à la politique, le réel se mêlant souvent à l'imaginaire. Il n'est pas rare qu'elles aient été construites comme des boîtes gigognes, des histoires étant incluses dans l'histoire principale. Ce n'est pas une littérature savante ou précieuse, mais ce n'est non plus de la littérature populaire, comme il a pu en exister en Chine à cette époque. Bien sûr, ce qui frappe ici c'est qu'au XVe siècle dans cet empire déjà ancien le goût pour le fantastique a pris un essor considérable, car, nous l'apprenons par le préfacier, elles ont connu un succès énorme et ont même profondément influencé la littérature japonaise. Je dois avouer avoir été conquis par des récits comme celui de « La Belle aux habits verts », qui commence par une étrange histoire d'amour pour devenir une histoire irréelle, constellée d'autres aventures que racontent la jolie femme mystérieuse qui, découvre-t-on à la fin, n'était pas humaine. En somme, c'est un recueil charmant et plaisant qui n'a pas subi les injures du temps et qui ne demande pas une connaissance approfondie de la civilisation chinoise. Elles possèdent une fraicheur et une poésie rares. Et si elles nous apparaissent appartenir au registre de l'exotisme, elles ne sont pas non plus lointaines et de nos sentiments et de notre sensibilité. C'est un ouvrage pour le plaisir qu'il faut emporter en voyage car il invite à un autre voyage, sous d'autres cieux, avec d'autres moeurs et d'autres codes, mais toujours attachant.




Malentendu à Moscou, Simone de Beauvoir, préface d'Eliane Lecarme, « Cahiers », L'Herne, 144 p., 9,50 euro.

Cette grosse nouvelle aurait du figurer dans la Femme rompue, qui a paru en 1968. Mais Simone de Beauvoir l'a remplacée par « L'Age de discrétion » pour des raisons qu'on ignore. C'est l'histoire d'un couple pas très jeune, Nicole et André, qui se rendent à Moscou pour voir la fille d'André, Macha. Ce séjour dans une ville lointaine permet à ces deux êtres de méditer sur leur relation et sur son devenir. Ce qui est curieux dans ces pages, c'est qu'ils parlent par alternance, un peu comme dans une pièce, chacun d'eux ayant une manière d »'appréhender les choses de façon assez différent, pour ne pas dire opposée, André est plus réaliste, Nicole s'intéressant plus aux sentiments et à leurs jeux. La leçon qu'on retire de sa lecture, c'est que leur couple repose sur un malentendu complet, qui peut d'ailleurs se généraliser et être entendu comme le malentendu permanent entre l'homme et la femme. Le style est vif et incisif, le récit se déroule avec une dynamique assez prenante, c'est vrai, Simone de Beauvoir reste lisible aujourd'hui. Le thème lui reste juste, mais la thèse est peut-être un peu simpliste. Ce qui fait le relatif échec de cet écrivain dans la sphère romanesque est d'avoir trop voulu mettre en scène ses principes et ses théories. En actualisant trop ce qui fait la différence que rien ne saurait combler entre les deux sexes, elle n'a fait que réduire le sujet à une actualité sociale. Mais, quoi qu'il en soit, ce Malentendu à Moscou n'est pas à dédaigner, tout au contraire. Il reflète les préoccupations de nos aînés et peut avoir un écho sur les nôtres.




La Langue française et le marché des arts, sous la direction de V. Benzo, F. Costa, G. Dotoli & C. Rizzo, Hermann, 224 p., 35 euro.

Le titre de l'ouvrage laisse espérer le traitement d'un sujet des plus pertinents, qui permettrait d'éclairer une facette du monde de l'art actuel qui n'est examiné que d'une manière technique et conjoncturelle. . Un sujet rarement traité et qui mériterait bien des examens poussés. Mais il s'agit là vraisemblablement des actes d'un colloque où la question est beaucoup plus large. La première communication de Veronica Benzo traite précisément de la question, mais d'une façon qui n'est pas convaincante : les relations que l'auteur établit entre l'art et l'argent, la banque, la fiscalité, etc. ne paraissent pas décrire la situation actuelle autrement plus sophistiquée et complexe. Il n'est pas question du nouveau de l'art qui s'est mis en place avec l'idéologie de l'art contemporain qui est d'ordre spéculatif de très haut niveau. Avec « Terminologie et art du temps », Celeste Bocuzzi étudie les termes employés dans le cinéma, la danse et la musique. Si ce qu'elle examine est tout à fait pertinent, cela n'a pas grand chose à voir avec le marché de l'art ! Si l'on poursuit la lecture de toutes ces interventions, on se rend compte qu'elles touchent à bien des sujets différents, mais ne concernent pas vraiment ce que le livre promettait et c'est fort dommage. C'est souvent le problème des travaux universitaires de ce genre : le sujet est en règle général contourné en fonction des centres d'intérêt des uns et des autres. C'est une maladie incurable semble-t-il ! Oui, je le répète, c'est fort dommage.




Apollinaire et les femmes, Alexandre Dupouy, La Musardine, 440 p, 18 euro.

M. Alexandre Dupouy a fait un excellent travail et son Apollinaire nous a enchanté. C'est une biographie qui rappelle les étapes de la vie du poète, mais dans une perspective bien particulière, n'étant donc pas une redite des innombrables biographies que nous connaissons. Il montre l'importance que l'érotisme a pu avoir dans sa formation et ensuite dans sa pensée et son oeuvre. Très jeune, il a découvert Arioste, Boccace, Sade et d'autres auteurs libertins et ses lectures ont eu une grande importance à ses yeux. C'est d'ailleurs grâce à ce bagage qu'il a pu mener à bien une collection de réédition de grands livres érotiques, « les Maîtres de l'amour pour la Bibliothèque des Curieux, où il a déjà introduit Lucien, Mirabeau, Andréa de Nerciat, L'Arétin, il préface un choix de textes (relativement sages) de Sade en 1909, qu'il contribue à faire redécouvrir : Zoloé et ses deux acolytes, la préface de Justine, un passage de Juliette, le portrait de Dolmancé dans la Philosophie dans le boudoir, un conte extrait des Crimes de l'amour, « Henriette Stralson » et l'histoire de Sophie dans Aline et Valcour. Avant lui, seul Anatole France avait publié un conte, « Dorci ». Dans sa longue préface, l'auteur d'Alcools parle de la vie de cet auteur hors du commun, résume à la hâte ses principales oeuvres et donne une sélection assez conséquente de lettres. Mais il ne s'exprime bien peu sur son sentiment personnel, lui qui est pourtant l'auteur d'ouvrages érotiques, comme les Onze mille verges (1907) ou les Exploits d'un jeune Don Juan (1915) -, son premier livre de ce genre, il l'a écrit en 1900 et s'intitulait Mirely ou le Petit Trou, qui a disparu. Quoi qu'il en soit, il met l'accent sur un point fondamental à ses yeux : l'esprit rebelle de Sade : « Il aimait par-dessus tout la liberté. Tout, ses actions, son système philosophique témoigne de son goût passionné pour la liberté dont il fut privé si longtemps... ». Il refuse de façon catégorique de le considérer comme un fou furieux, même s'il n'approuve pas ses travers criminels. Et il voit en Juliette la femme à venir (l'image inversée de Justine, « l'ancienne femme ») car, à ses yeux, elle « représente la femme nouvelle qu'il entrevoyait, un être dont on n'a pas encore idée qui se dégage de l'humanité, qui aura des ailes, et qui renouvellera l'univers. » Enfin, il lui reconnaît un talent littéraire quand il déclare : « Il est entendu chez de Sade que les sensations qui proviennent du langage des mots sont très puissantes. » En somme, Apollinaire l'apprécie, lui rend justice, reconnaît sa valeur de prosateur et d'homme de théâtre, mais se tient à bonne distance. Malgré ses réserves évidentes, il tient à suggérer qu'« il pourrait bien dominer le XXe siècle. » En plus de ses recherches érudites (qui étaient aussi son gagne-pain), Apollinaire a écrit plusieurs romans érotiques, qui tranchent bien sûr avec ce que nous savons de son oeuvre poétique. L'ouvrage comprend une très vaste sélection de lettres que l'écrivain a envoyées aux femmes qu'il a aimées. En somme, avec ce livre là, vous pourrez découvrir qui a vraiment été l'auteur des Onze mille verges.




Lire dans la gueule du loup, essai sur une zone à défendre, la littérature, Hélène Merlin-Kajman, « nrf essais », Gallimard, 334 p., 23,50 euro.

On a beaucoup parlé de la lecture, de tous les points de vue possibles et de grands auteurs, comme Alberto Manguel, se sont penchés sur le problème. Ce qui fait toute la valeur de cet essai c'est qu'il part des faits concrets de l'apprentissage et ensuite de la pratique de la lecture pour tenter de comprendre de quelle façon la littérature peut encore tenir son rôle dans notre monde en pleine transformation dans le domaine de la communication. Certes, on nous avait prédit que les grandes routes de la connaissance ouvertes par l'électronique allaient condamner à mort le livre. Pour l'heure, rien ne s'est produit de tel. D'autres manières de faire usage d'un texte sont apparues comme le kindle, mais somme toute c'est encore un livre ! Le problème n'est pas le papier ou une version numérique, mais le fait qu'on lise ou non des livres. L'auteur analyse avec beaucoup de talent toutes les instances mises en jeu dans cette affaire. Elle passe au crible tout ce que la lecture implique, autant du point de vue des émotions que de celui de la connaissance. Elle prend des exemples dans les théories de l'âge classique pour nous montrer que la lecture a fait depuis longtemps d'une analyse serrée, qui n'est pas seulement liée à son utilité ou à la mémoire. C'est un instrument incontournable de formation de l'être humain moderne, qui est homo scriptus et donc homme de lectures. Ce plaidoyer, qui prêterait à bien des discussions car on ne peut pas partager toutes les assertions de son auteur, est une belle méditation sur ce que la littérature peut encore apporter à notre société. Car la question, au bout du compte, est plus celle de l'idée qu'on se fait de la littérature que celle de la lecture en soi. Je ne suis pas optimiste, mais je ne suis pas aussi pessimiste que Hélène Merlin-Kajman. Les phénomènes auxquels nous assistons, ne serait-ce que dans le seul domaine de l'édition semblent montrer une tendance à privilégier une littérature médiocre, qui a d'ailleurs tendance à se rapprocher beaucoup de ce que propose le cinéma dans ses formes les plus vulgaires. Mais cesse-t-on de lire Baudelaire ou Proust ? Loin s'en faut. Voilà une étude qui entraine une série d'interrogations fondamentales sur ce qui fait de nous ce que nous sommes. Il incite à prendre conscience de la gravité de ce qui se joue avec la littérature (on se souvient de la fameuse déclaration d'un président de la république qui proclamait que lire la Princesse de Clèves n'était pas nécessaire !) et que les réformes dans le secteur de l'éducation ne portent pas à jubiler. Mais la réalité des faits, en France, montre que le littéraire rime encore avec plaire et par conséquent exercer un pouvoir sur l'esprit.
Gérard-Georges Lemaire
07-04-2016
 
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Verso n°136

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