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[verso-hebdo]
13-03-2014
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
À propos des collectionneurs
Avant de vous dire pourquoi je souhaite parler aujourd'hui des collectionneurs, je vous en propose une petite typologie : il y aurait, 1, les collectionneurs historiques, 2, les collectionneurs amoureux, 3, les nouveaux collectionneurs richissimes et 4, les collectionneurs mondains. Les collectionneurs historiques ressemblent à Dominique de Menil, qui a réuni en son temps une fabuleuse collection d'oeuvres d'art de toutes les époques et tous les styles dans la plus grande discrétion. C'est même avec réticence qu'elle acceptait le titre de collectionneuse : « Longtemps j'ai repoussé l'idée de « collection », écrivait-elle en 1984. Le mot même me paraissait chargé de prétentions. Il impliquait des partis-pris, je n'en voulais aucun... » Elle fonda un musée à Houston. Aujourd'hui, François Pinault et Bernard Arnault marchent sur ses traces à leur manière en créant des institutions muséales, l'un à Venise et l'autre à Paris. Leurs initiatives appartiennent déjà à l'Histoire.
2, Les collectionneurs amoureux n'aiment pas seulement l'art vivant, ils recherchent l'amitié des artistes dont la démarche les séduit. Ils les aident autant qu'ils le peuvent (leurs moyens ne sont pas illimités), ils accompagnent leur création avec ferveur, ils oeuvrent à leur reconnaissance et restent, quant à eux, dans l'anonymat. Un bon exemple serait Michel Thuault, qui soutint longtemps son ami César et accompagne aujourd'hui un jeune comme B. Philippe. 3, Les nouveaux collectionneurs richissimes prennent exemple aujourd'hui sur un Charles Saatchi : seule compte la valeur marchande des pièces qu'ils accumulent sans discernement, ils peuvent acheter sans même avoir vu ce qu'ils payent (qui peut être une pure et simple provocation plus ou moins blasphématoire). Ils doivent leur fortune récente au pétrole et au gaz (dans les émirats et en Russie) ou à la « nouvelle économie » (en Chine). Enfin, 4, les collectionneurs mondains sont une spécialité française. L'important, pour eux, est d'utiliser le titre flatteur de « collectionneur » pour se faire inviter dans les multiples commissions d'achats, comités techniques, conseils d'administration de fondations liées à l'art qui pullulent dans notre pays. Ils recherchent l'influence et même le pouvoir, ils peuvent très bien être parfaitement ignorants en matière d'histoire de l'art ou d'esthétique, mais peu leur importe : l'essentiel pour eux est de s'intégrer au « monde de l'art » selon George Dickie, monde dont ils adoptent aveuglément toutes les modes. Ils « croient à la croyance », note la sociologue Nathalie Heinich : ils sont gonflés de partis-pris et de prétentions, c'est à dire qu'ils représentent l'exact contraire de Dominique de Menil.

Venons-en au motif de cette typologie sommaire. J'étais invité, le 15 février dernier, à animer avec la journaliste Françoise Objois une conférence-débat sur le thème de l'histoire de l'art contemporain dans le cadre de ArtUp à Lille (voir ma lettre de la semaine dernière). Tout se passait bien dans l'Espace Entreprise n° 2 (comble) quand je fus interpellé par un personnage que je connaissais déjà pour appartenir à la quatrième catégorie de collectionneurs, rendu furieux par ma réponse à une question de Françoise. Cette question était : qu'en est-il du divorce entre les officiels de l'art contemporain et la peinture ? J'avais répondu sous forme d'un témoignage sur le début de ce divorce, en 1984, alors que j'avais été nommé membre de la commission d'achats du Fonds National d'Art Contemporain. J'indiquais, premièrement, que conformément au règlement, j'étais venu voir, trois jours avant la réunion, les oeuvres proposées à l'achat par les artistes, déposées 11 rue Berryer. À ma grande surprise, j'avais constaté que des dizaines, peut-être des centaines de pièces s'entassaient, non déballées. Le format des emballages en bois ou en carton ne laissait aucun doute : c'étaient des peintures qu'il était matériellement impossible d'examiner. Je témoignais, deuxièmement, de ce que la commission aurait dû être composée de 12 membres (3 représentants de la délégation aux arts plastiques, 3 personnalités qualifiées, 3 artistes désignés par les organisations professionnelles représentatives et 3 « représentants du public »). Or je ne voyais que trois « inspecteurs de la création artistique », un directeur de FRAC et un artiste, Rougemont, à qui je demandais, sans doute naïvement, où étaient les autres. « Ne t'en fais pas, avait répondu, désabusé, le peintre : ils ne viennent jamais ». Nous avons donc été deux à assister aux discussions de ces messieurs, tous fonctionnaires de l'art, en vue de l'acquisition d'oeuvres déjà choisies par eux, notamment, une pièce en béton siporex de Carl Andre et un environnement de néons blanc et rouge de Dan Flavin. Le budget s'élevait à deux millions de francs et ils pouvaient envisager aussi l'achat d'une linogravure de Georg Baselitz auprès de la galerie Gillespie-Laage-Salomon ainsi que, marginalement et à petits prix, des tableaux à condition qu'ils soient présentés par des galeries réputées sérieuses à leurs yeux : les principaux bénéficiaires furent en l'occurrence Gérard Garouste et Pierre Zarcate. J'avais donc simplement montré au public d'ArtUp qu'en ce début des années quatre vingt, la vogue étant au minimalisme international et à l'expressionnisme allemand, les peintres français, sauf exceptions, avaient très peu de chances de faire l'objet d'un achat officiel. Mon contradicteur s'était levé et affirmait de manière péremptoire que mes propos étaient totalement faux. Il s'appuyait sur le fait que, nommé lui-même « personnalité qualifiée » plus tard dans la même commission, il n'avait rien observé de semblable. Je ne me donnai pas la peine de lui répondre que j'avais publié mon témoignage chez Christian Bourgois dès 1985 (L'art au présent, coll. 10/18) et qu'il n'avait été contesté par personne.

J'ai dit que je connaissais déjà mon contradicteur. En effet, j'avais prononcé une conférence vingt ans plus tôt dans l'auditorium du CAPC de Bordeaux, et il était là, déjà connu en tant que collectionneur d'art contemporain. Le sujet de sa fureur d'alors, et la manière dont il la manifesta me paraissent hautement significatifs du fonctionnement de ce que j'appelle les collectionneurs mondains et de leur rôle pernicieux dans la vie artistique en France. J'avais simplement constaté devant mon auditoire que certaines vedettes de l'art contemporain se moquaient de leurs admirateurs incapables de distinguer une plaisanterie d'une oeuvre réellement artistique. Je donnais comme exemple une expérience de Jiri Georg Dokoupil, tchèque proche des dadaïstes allemands, qui s'était rendu célèbre grâce à sa vaste composition intitulée « Dieu, montre-moi tes couilles » qui avait fait sensation en 1982 lors de la Documenta 7 de Kassel. En 1987, fort de sa notoriété, il voulut voir jusqu'où pouvait aller la stupidité des adorateurs de l'art contemporain avec la série No name. Il se contenta de dupliquer le plus banalement possible sur fond jaunasse des emballages de produits courants, la marque d'origine étant remplacée par « no name » en tant que nouvelle marque. Il s'agissait, selon les mots de l'artiste, non pas d'art mais d'une « démonstration socio-économique ». Car de deux choses l'une : ou l'institution sociale dite « monde de l'art » se révélait capable de résister à cette très consciente provocation, et rejetait les No Name hors du domaine de l'art, ou elle entérinait une simple insolence en la baptisant du nom d'art uniquement parce qu'elle avait pour auteur un artiste connu. On devine que c'est le deuxième terme de l'alternative qui est advenu. La bêtise des adeptes inconditionnels de l'art contemporain était démontrée, et mon collectionneur de la quatrième catégorie dû se sentir personnellement visé. Il quitta en effet ostensiblement l'auditorium en claquant la porte. J'étais devenu son ennemi et il me retrouverait vingt ans plus tard... Ce monsieur, bon représentant de la famille des « collectionneurs mondains », devrait méditer la phrase célèbre d'Harold Rosenberg : « Si tout ce que fait un artiste est de l'art et si tout peut être de l'art, alors la définition de l'art devient incertaine... » Mais en est-il capable ?
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
13-03-2014
 
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Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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