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[verso-hebdo]
05-10-2017
La chronique
de Pierre Corcos
Bien de son temps...
À la sortie du spectacle Real Magic, au Théâtre de la Bastille, une dame a soupiré : « Ah, c'est bien notre époque !... ». Et cette dame avait raison.
La conception esthétique de Malraux voulant que l'Art transcende les époques et les cultures condamne à manquer les dimensions par lesquelles cet art fut témoin, expression métaphorique de son temps. Réponse créative à une situation socio-historique singulière. Et voici que deux spectacles très différents, l'un bien actuel et l'autre émouvante expression du XVIème siècle padouan, illustrent l'admirable capacité de l'art, et ici du théâtre, à dire son temps en s'adressant à notre imaginaire, et pas seulement à notre entendement.

Le spectacle du groupe anglais Forced Entertainment mis en scène par Tim Etchells, présenté dans le cadre du Festival d'Automne au Théâtre de la Bastille jusqu'au 24 septembre dernier, restera dans les mémoires comme un défi à notre besoin de drame, d'histoire, d'intrigue, de genèse, etc. Pendant les 1h25 que dure Real Magic, il se passe toujours la même chose (si peu !), et cette boucle répétitive, fermée, ne bénéficie que des variations subtiles d'interprétation des trois excellents comédiens ! Déjà, la similitude avec le courant musical minimaliste (Riley, Glass, Reich) suggère que cette forme théâtrale, jouant sur d'infimes différences au sein d'une « répétition », résonne avec une esthétique contemporaine... Mais venons-en à la scène centrale, unique, récurrente. En fait elle ressemble à un jeu télévisé particulièrement absurde, dans lequel un concurrent, les yeux bandés, doit deviner un mot auquel un assistant a pensé, et qu'il montre, écrit sur une pancarte, au public. Un présentateur donne trois chances au concurrent qui, bien entendu, se trompe à chaque fois : quand on sait que la langue anglaise possède plus de 200 000 mots, les chances du concurrent restent quasiment nulles. Les acteurs échangent ensuite leur place et leur costume, et la scène recommence ! Avec, en plus, cette autre répétition que le concurrent essaye toujours les mêmes mots, exactement comme ces joueurs qui tentent les mêmes chiffres fétiches à l'Euromillion toute leur vie... Real Magic fait souvent rire (comique de répétition), mais pas seulement. Vient rapidement à l'esprit la stupidité ahurissante de maints jeux télévisés, hypnotisant de leur rituel insane les téléspectateurs, aspirant leur mental dans le gouffre de l'insignifiance, de l'absurdité. Puis, au fur et à mesure que se répète (en anglais surtitré en français) ce spectacle circulaire, le spectateur commence à ressentir un malaise diffus. Malaise signalant que son imaginaire a reçu un message crypté, dont les éléments peu à peu se dévoilent. Selon Tim Etchells, tous les spectateurs qui ont vu Real Magic « évoquent spontanément le capitalisme actuel : l'idée que nous sommes pris dans un système qui autorise une certaine marge de manoeuvre, de mouvement, mais où il semble si difficile de réellement changer quoi que ce soit ». Par ailleurs, l'une des trois réponses que les concurrents répètent est « argent ». Et c'est toujours une mauvaise réponse... On note aussi de l'absurde beckettien dans Real Magic, certes, mais l'on y entrevoit surtout une parabole où se réactualise la formule de Baudrillard : « l'enfer d'aujourd'hui, c'est l'enfer du Même ».

Tout le monde paysan de la Renaissance italienne surgit dans le théâtre de Ruzante... Sur la scène, à la même époque, les paysans ne faisaient que des apparitions brèves et caricaturales. Mais ici, Angelo Beolco (1494-1542), dit Ruzante, leur donne toute la place, et René Loyon, qui a assuré la mise en scène truculente de cette pièce explosive, Les Noces de Betia, s'est précisément rapporté au contexte historique de l'oeuvre : « ce moment où le désir de savoir, d'élargir l'horizon, d'en finir avec la tyrannie des dogmes et de l'intolérance, se conjugue avec des désordres et des violences en tout genre, des guerres meurtrières, de tragiques retours en arrière ». Sur le plateau nu du Théâtre de l'Épée de Bois (jusqu'au 15 octobre la pièce s'y joue), les personnages vocifèrent et gesticulent, comme s'ils portaient la parole vibrionnante et le drame de toute leur époque, agitée de terreurs et riche d'espérances. La bouffonnerie empreinte d'amertume de Ruzante (c'est à la fois le nom du plus célèbre de ses personnages et le surnom de l'auteur) exprime alors probablement les contradictions de cette classe... Comment l'amour vient perturber un monde paysan embourbé dans ses tâches, comment le désir charnel vient allumer sa paillardise, comment l'opposition ville/campagne (une perspective antivénitienne transparaît à différentes reprises) conduit même les stratégies de séduction, voilà ce que nous trouvons dans cette pièce étonnante. Par différents emprunts pertinents, Claude Perrus a intelligemment traduit ce texte écrit en padouan, et toute la verdeur de cette langue évoque un moment historique où il devenait urgent de se libérer. Ce n'est pas tant que Ruzante se fait le défenseur de cette classe paysanne. Mais, à travers elle, il intervient dans le débat d'alors sur l'humanisme, et sa vision anarchisante de la Nature dérange quelque peu le paysage intellectuel émergent... Un anarchisme qui fera dire à Dario Fo que Ruzante était son plus grand maître avec Molière ! Comme le dit justement Laurence Campet, les mots, pour ces pauvres, restent la seule richesse dont ils usent. Les comédiens se le rappellent bien, le prouvent par leur jeu. Et d'un dialecte charpenté s'échappent des flammèches verbales allumant le désir. Un court moment (comme à la lecture du jouissif Décameron), on a envie de retourner en ce temps-là. Mais si on le ressent ainsi, c'est que Les Noces de Betia, dans cette mise en scène qui ne trahit rien, parlait si bien de son temps...
Pierre Corcos
05-10-2017
 
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Verso n°136

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