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[verso-hebdo]
26-10-2017
La chronique
de Pierre Corcos
Zones de turbulences
Quel fossé, quel abîme entre ce qui est donné à voir à Turbulences dans les Balkans (jusqu'au 31 juillet 2018 à la Halle Saint-Pierre) et, par exemple, exposé à... la FIAC !
Nul besoin de brandir son petit Dubuffet pour repérer où, majoritairement, s'exhibe l'art officiel, dominant, intouchable, médiatisé, innovateur par élans et onéreux par principe : autrement dit, tout le culturellement (in)correct où les puissants et les « gagnants » de notre société se mirent dans l'entre-soi. Puis pour deviner où, herbe folle entre les pavés, un art d'une résistante introversion, singulier, sauvage et indifférent aux modes, s'évertue à croître, acceptant l'étiquette d' « outsider », ne dédaignant pas le « naïf » voire l'archaïque, assumant la pauvreté de ses matériaux, sa marginalité, ses misères et son obscur labeur.
Les biographies dramatiques - que l'on peut lire à côté des oeuvres - sur ces représentants de l'art brut, s'aggravent des convulsions historiques récentes ou anciennes de cette zone instable, explosive au coeur de l'Europe, où tant de conflits de territoires et religions, de massacres ethniques, d'horreurs semèrent leurs tragédies collectives. Si bien que l'urgence file au bout du crayon, du pinceau. Urgence cathartique favorisant l'authenticité de l'expression au détriment des effets à produire. C'est ainsi que l'un des artistes exposés, Vojislav Jakic, pouvait simplement dire : « ceci n'est pas un dessin ou une peinture, mais une sédimentation de douleurs ». Alors, que seraient devenus celui-ci ou celle-là sans la création artistique ? Cette question, revenant sans cesse à l'esprit quand on lit les cartels et regarde les oeuvres, ne forme-t-elle pas un hommage implicite à la nécessité existentielle d'un tel art ?

Cet art, mû par la nécessité, l'urgence, rencontre ceux qui l'aiment. Et se constituent peu à peu des collections puis un patrimoine. Nina Krstic, conservatrice du Musée d'art Naïf et Marginal de Jagodina en Serbie, a permis, grâce à son action de repérage, rassemblement et conservation, d'offrir une visibilité à des artistes à part aux styles variés, mais ayant tous en commun de préférer leurs compulsions solitaires - pas toujours avenantes loin s'en faut - aux tendances du marché : Autoportrait d'Igor Simonovic, ou bien ces bizarroïdes créatures de Ljubisa Jovanovic Kene, menaceraient immédiatement de leur « inquiétante étrangeté » un décor « high-tech » et bourgeois, où d'ailleurs l'on aurait peu de chances de les rencontrer... L'association Art Brut Serbia, fondée par Goran Stojcetovic, travaille également à la composition de tout un patrimoine artistique alternatif. Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint-Pierre et commissaire de l'exposition Turbulences dans les Balkans, a raison, au final, de s'interroger sur l'état actuel de notre imaginaire collectif, trop bridé ou formaté par des modes dominants de représentation (technologie, publicité, kitsch, etc.) desquels, peu ou prou, ces créateurs, aux marges du microcosme artistique, parviennent à s'affranchir.
Des spécialistes d'Art Thérapie avanceraient que, dans la mesure où maintes oeuvres ici présentées jouent un rôle d'exutoire, ou de réparation ou d'ergothérapie, l'imaginaire convoqué aura peu à voir avec celui de l'expérimentateur esthète, ou de l'artiste intellectuel et hautement socialisé. Il est vrai que certaines pièces de Turbulences dans les Balkans, par l'extrême minutie obsessionnelle nécessaire à leur réalisation, semblent fonctionner comme des « pièges à angoisse » (par exemple DSCO2085 de Nenad Rackovic ou Débarquement de Normandie d'Aleksandar Denic). D'autres, par leur stéréotypie et leur étouffante accumulation (Portrait d'Ange de Vojkan Morar ou Rêve de Vojislav Jakic), évoquent certaines fascinantes productions de schizophrènes, ainsi que les spécialistes de l'« art psychopathologique » les ont classifiées. Mais le décryptage psychologique de ces créations montre ses limites, car nous nous trouvons vite confrontés à un questionnement plus vaste, et dépendant de l'esthétique adoptée : celui des frontières mouvantes, incertaines entre le génie et la folie, la signification idiosyncrasique et l'insensé, l'originalité et le refus, la rupture.
Le biais de la spontanéité, par opposition à la stratégie, reste sans doute le meilleur pour distinguer toutes ces productions singulières, « brutes », de l'art dominant, reconnu... On sait qu'en réunissant à la fois des gribouillages d'enfants, des expressions graphiques et picturales d'aliénés mentaux (ou supposés tels), des inscriptions gravées sur des murs (photographiées), des productions automatiques, machinales d'amateurs, etc., Jean Dubuffet, dans l'exposition qu'il organisa dès 1947 à Paris, plaçait au centre de ce florilège déroutant la valeur spontanéité, à l'opposé de l' « art culturel », où les stratégies larvées de reconnaissance par les pairs, les instances légitimantes, agissent plus et plus souvent qu'on ne l'aurait désiré.

Urgence de l'impulsion graphique, impérieuse nécessité cathartique, ou simplement geste vivace d'une créativité enfantine, presque native : dans tous les cas, la spontanéité se retrouve chez les artistes de Turbulences dans les Balkans, au prix de maladresses parfois, de multiples disgrâces, de galopants délires. Mais il n'est sans doute pas de spontanéité qui se prolonge sans turbulences possibles. Et point de turbulences sans risques de déstabilisation... Nous entrons dans une zone de turbulences intimes, attachez vos ceintures !
Pierre Corcos
26-10-2017
 
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Verso n°136

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