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[verso-hebdo]
23-11-2017
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

François Ier et l'art des Pays-Bas, sous la direction de Cécile Scailliérez, Le Louvre Edition / Somogy Editions d'Art, 448 p., 45 euro.

Nul ne peut l'ignorer : c'est avec François Ier que la Renaissance prend naissance en France, avec un décalage notable avec l'art de l'Italie et l'Europe du Nord, puisque nous sommes au début du XVIe siècle, au moment où apparaissent le maniérisme, Rembrandt et La Caravage. Qui aurait pu imaginer alors que la France allait supplanter l'Italie au milieu du XVIIe siècle après cette introduction si tardive ? Le grand projet de ce roi éclairé s'est traduit de plusieurs manières : par l'invitation de Léonard de Vinci à venir travailler auprès de lui (mais le vieil homme, qui n'avait quasiment pas peint Milan après de la cour des Sforza, n'a pu mener bout que le projet du château de Chambord, qui n'a pas été exécuté (on n'a retenu que les escaliers de l'entrée). Mais il a vendu au souverain trois tableaux qui sont l'orgueil du musée du Louvre.
Andrea del Sarto a lui aussi été appelé travailler pour le roi. L'art italien a pu donner toute sa mesure et se donner en exemple dans les décorations du château de Fontainebleau : le roi a voulu y instituer une « seconde Rome », avec des artiste de grand talent comme Rosso Fiorentino et Le Primatice, rejoint plus tard par Benvenuto Cellini, Girolamo della Robbia et surtout Nicolò dell'Abbate. Le Primatice a vraiment été le maître d'oeuvre de cette Galerie François Ier qui était unique l'époque. Toute une escouades d'Ira liens sont alors arrivés, comme Luca Penni, Domenico del Barbieri, Bartalomeo Miniati, Lorenzo Naldini, Antonio Mimi, G ;_B. della Pella, entres autres. Des artistes français de valeur ont ensuite rejoint ces créateurs pour compléter ce grand projet concernant aussi d'autres grandes résidences princières : Jean Goujon, Antoine Caron, Noël Jallier (un maître qu'il faudra réhabiliter). Ce que nous montre cette formidable exposition, c'est que l'Italie n'a pas elle seule été le paradigme unique du nouvel art français qui était en train de se forger : les Pays-Bas ont tenu un rôle dans cette affaire des plus importants. J'aurais ajouté aussi : l'Allemagne. Dürer a aussi eu une influence profonde et il n'a pas été le seul dans ce cas. Cette histoire nous permet d'ailleurs de mieux situer les artistes français dans ce contexte. Il y avait déjà eu Jean Fouquet, qui avait été le peintre de Louis XI, artiste extraordinaire, qui avait su en son temps tiré le meilleur profit imaginable des arts du Nord. C'est d'ailleurs ce que l'on remarque dans une grande partie de la peinture de l'époque (mais aussi dans la sculpture et les arts décoratifs) Jean Clouet (148o-1541) parvient se hisser la même excellence que son prédécesseur. Il faut souligner qu'il n'est pas français de naissance, mais flamand (on suppose qu'il est né à Bruxelles et l'on pense qu'il s'appelait Cloet). Il aurait vécu pendant sa jeunesse à Tours, ville natale de Fouquet. Il est indéniable que son art dérive d'une façon ou d'une autre de l'art flamand. On découvre dans ce catalogue imposant un certain nombre de peintres qu'on a presque totalement oubliés et qui méritent portant qu'on s'y intéresse de près.
Assez curieusement, ce sont surtout des portraitistes qui ont émergé l'époque, tels Corneille de Lyon entre 15 et 151o-1575), qui est né à La Haye et a fait l'essentiel de sa carrière Lyon, Guétry, Foulon. Ces peintres, qui ont de grandes qualités et ont travaillé avec talent dans des genres très divers, mais ils ont tous excellé dans l'art du portrait. Malheureusement, on les connait mal et leurs oeuvres sont mal cataloguées. Mais grâce ce catalogue, on va commencer les apprécier et comprendre qu'ils ont joué un rôle déterminant dans cet étonnant passage de témoin entre l'art italien, flamand, allemand et l'art français qui était tout inventer. C'est là la découverte d'un puits sans fond de choses merveilleuses qui permettent de redécouvrir avec un oeil neuf notre étrange et tardive Renaissance.




Arte ribelle, 1968-1978, artisti del gruppo del Sessantotto, sous la direction de Marco Meneguzzo, Galleria Credito Valtellinese, 4o euro.

Volume 1, Politica, ideali, violenza, amore, mezzo-secolo di arte-impegno, Neon Gallery, 8 p., 2o euro.


Plus un seul des combattants de la Grande Guerre n'est encore en vie, mais on continue à fêter le 11 novembre ! Il semble maintenant possible que cette date soit remplacée par celle d'un autre mois et d'une autre année : Mai 1968. En France, on s'est mis célébrer cet événement comme la bataille des Pyramides ou la bataille d'Austerlitz. Il s'est formé, il faut le rappeler, une petite armée de vétérans de ces événements, qui ne cessent de concentrer l'attention du public sur leurs exploits. Mais quels exploits ? Certains en ont fait une profession, d'autres, un moyen pour s'infiltrer dans les antichambres du pouvoir. Depuis quelques années, on a organisé des expositions, qui ont eu pour résultat de mettre en relief le caractère dérisoire de cette farce, quia surtout été un tournant social de la France. Maintenant c'est au tour de l'Italie ! Une grande exposition au sein de la galerie du Credito Valtellinese, palazzo delle Steline à Milan, a donné le ton. Quand on fait le tour de la grande salle, on est frappé par la médiocrité de ce qui est montré. Au fond, on y voit surtout des affiches et des dessins caricaturaux ou de propagande. Quelques peintres ont tiré leur épingle de ce jeu tragi-comique. J'évoquerai d'abord le regretté Gianfranco Spadari (1938-1997), qui a été sans nul doute le plus engagé des artistes de la figuration narrative. Il faut ensuite parler de Mario Schifano, qui s'était déjà, très jeune, fait connaître avec ses oeuvres abstraites d'une part et ses oeuvres qui ont ouvert la voie au Pop Art italien. Ce qu'il a pu faire au cours de cette période a subi une évolution rapide : du dessin « politisé », d'un intérêt médiocre, il est passé à ses Stele (« Etoiles ») et a donc botté en touche. Le cas d'Umberto Mariani est intéressant, car il n'a pas modifié sa manière de peindre (qui était alors figurative), mais s'est contenté d'introduire des éléments ayant un substratum politique dans son univers de cuir plissé et bien astiqué. Il n'a donc pas dévié de sa recherche, tout en manifestant ses opinions et ses espérances à travers une critique ironique du monde occidentale de l'après-guerre. D'autres, comme Pablo Echauren, Fernando De Filippi, Gianni Pettena, se sont consacrés un temps à un art qui se voulait vraiment révolutionnaire. Et restent ceux qui ont trouvé une manière de faire en marge comme Mario Isgrò ou Gianfranco Baruchello. Ce volume résume bien les contradictions presque insolubles entre l'art et cette nouvelle manière de percevoir l'action politique. Quant à l'exposition proposée par Simone Sacchi à la Neon Gallery, elle a proposé une vision plus vaste des relations entre l'art contemporain et les signes du pouvoir, de la bande dessinée jusqu'à ses manifestations les plus concrètes dans la société. On trouve dans le catalogue un excellent essai d'Enrico Crispolti où il parle de l'exposition de quatre artistes italiens, dont Umberto Mariani et Spadari à l'ARC2 du musée d'Art moderne de la ville de Paris en 1974. On découvre ainsi un tableau curieux de Mariani, Ceci n'est pas un Magritte (1973) qui fait écho aux travaux inspiré par l'artiste belge dans l'oeuvre de Marcel Broodthaers pendant les années 60. Ensuite on peut découvrir des artistes plus jeunes qui se sont dédiés à la parodie des thèmes idéologiques, comme Max Papeschi et Paolo Baretella.




Mangiapensieri, lessico immaginario del cibo, Alberto Capatti, Alfabeta 2, 16 p., 16 euro.

Il ne s'agit pas là d'un nouveau dictionnaire de la cuisine, mais plutôt d'une revue de détail de tout ce que comporte l'art culinaire. Cela va des ustensiles et des objets qui compose la table dressée jusqu'aux ingrédients, aux épices jusqu'aux curiosités les plus extravagantes de la cuisine moderne, comme le Guiness des records pour les aliments les plus gros, par exemple. Puis l'auteur s'attache aussi aux questions médicales, aux maladies provoquées par la nourriture et l'excès alimentaire. En somme, voilà une encyclopédie moderne pour s'interroger sur toutes les questions qui touchent la nourriture. Ce livre aurait dû paraître pendant l'Exposition universelle de Milan qui avait pour thème ce besoin essentiel de l'être humain ! Mais le travail et la réflexion d'Alberto Capatti est là pour nous permettre de penser en des termes nouveaux tout ce qui touche cette vaste question. Il a écrit ce livre en excellent connaisseur, mais aussi en fine bouche, dans une optique qui se veut complètement immergé dans la modernité et non plus dans les mythes issus du passé, dont on abuse souvent pour faire passer un produit pour un autre. En somme, cette recherche, présentée comme un dictionnaire, est un excellent moyen de s'interroger sur les transformations qui ont eu lieu ces derniers temps et ce qui subsiste vraiment de la tradition. Il ne nous demande pas de faire un choix entre la cuisine l'ancienne ou la cuisine nouvelle : il entend nous informer sur la réalité des faits et sur ce qu'il convient de savoir pour ne pas tomber dans les pièges. Il existe une rhétorique de la cuisine, renforcée par les toujours plus nombreuses publications dans une presse spécialisée ou non, la radio et encore plus la télévision où les émissions sur la question se sont incroyablement multipliées ces dernières années, comme si la population, dans sa majorité, ne pensait plus qu'à remplir la panse avec une plus grande connaissance des techniques culinaires. Tout cela, hélas, au détriment de la culture. Celle que nous goûtons avec ravissement.




Dangelomelodies, sous la direction de Sergio Dangelo & Lome, Edizioni La Maddalena, 144 p.

Dojo, Sergio Dangelo 11 poesie con i « segni »  dell'autore e un incontro con Stefano Soddu, Scoglio di Quarto Edizioni, 48 p., 15 euro.


Sergio Dangelo est sans doute l'un des artistes les plus originaux. Dire que c'est un énergumène serait malveillant et injuste. Mais un empêcheur de tourner en rond, sans aucun doute ! Né Milan en 1932, il s'engage oeuvrer dans l'esprit du surréalisme en 1948. Mais il ne s'est pas enfermé dans une vision étroite puisqu'il s'est intéressé l'abstraction (il se lie avec les artistes abstraits Crippa, Dova, Peverelli). Il est le créateur du Movimento Nucleare, où ne tarde pas le rejoindre et il fait sa première exposition personnelle en 1951 à la galleria S. Fedele. Sa carrière suit alors une courbe ascendante et il participe de nombreuses manifestions nationales et internationales comme la Quadriennale di Roma, la Biennale de San Paolo, la Biennale de Venise, la Biennale de Paris, etc. Il organise en 1954 à Albissola la Rencontre internationale de la céramique. Il illustre aussi beaucoup de livres (de T. S. Eliot à Théodore Koenig en passant par Anaïs Nin), collabore à un nombre infini de revues et a eu jusqu'à ce jour quelques 65o expositions personnelles. L'exposition à la Galleria Scoglio di Quarto de Milan et le bel ouvrage qui l'accompagne nous fait découvrir des tableaux relativement anciens,, comme Les Fenêtres (1957) et le magnifique Magenta (1962), pour ne citer que les oeuvres majeures présentes dans l'exposition. Mais on peut aussi découvrir bien d'autres travaux illustrant le parcours de ce peintre hors normes. Il y a aussi beaucoup de collages et d'assemblages en relief des années 6o et 7o, sans compter les boîtes, qui sont des petites merveilles oniriques. Enfin, le lecteur pourra se délecter des dessins à l'huile illustrant les Cantos d'Ezra Pound. Pour ce qui est de ses créations récentes, il a choisi de collaborer avec un artiste nommé Lome, un sculpteur plus jeune que lui, qui fait des petites sculptures figuratives ajourées. Le livre comprend aussi deux textes et deux collages de Filippo Soddu.
Avec Dojo, précédé d'un entretien de Stefano Soddu avec l'artiste, Sergio Dangelo laisse toute sa verne caustique et surréaliste s'exprimer dans des réminiscences poétiques. Le tout est illustré par de petits dessins d'une incroyable économie de moyens. Au débordement des textes, répond la retenue des oeuvres graphiques. Dangelo a non seulement du style, mais aussi beaucoup de caractère, une verve époustouflante et un humour explosif, tout cela procurant ses poèmes une intensité particulière. Avec lui, on est transporté dans un univers très composite, avec un humour décapant mais aussi le souvenir des grands personnages qui ont fait l'histoire de notre culture récente. Si vous lisez l'italien, vous devez absolument lire ce petit recueil, qui est l'une des manifestations du talent polyvalent de cet artiste rare qui ne peut vraiment pas laisser indifférent.




Essais et pamphlets, Léon Bloy, édition établie par Maxence Caron préface d'Augustin Lafay, « Bouquins », Robert Laffont, 1.600 p., 34 euro.

Quel bizarre écrivain que ce Léon Bloy (1846-1917), que nous avons un peu oublié, il faut le reconnaître, malgré les efforts accomplis par quelques éditeurs, dont le Mercure de France et l'Age d'Homme pour le faire redécouvrir. Il faut dire qu'il n'a jamais écrit que deux romans, le Désespéré en 1887 (pas de presse, aucun succès en librairie) et son pendant féminin, qui devait s'instituée « la Désespérée », la Femme pauvre, qui a paru en 1897. Et pourtant son oeuvre est d'importance, avec son Journal et ses innombrables essais sur des écrivains, des figures historiques et la religion. Si l'on veut comprendre qui a vraiment été Léon Bloy, il faut d'abord savoir qu'il a été le fils d'un fonctionnaire franc maçon et d'une fervente catholique et que, par la suite, après ses études à Périgueux, il est allé habiter à Paris, rue Rousselet, juste en face de Jules Barbey d'Aurevilly. Il a admiré le « connétable des lettres ». Ce dernier le ramène à la religion apostolique et romaine et, après la guerre contre la Prusse, où Léon Bloy s'est distingué par son courage, le vieil homme de lettres, dont il est devenu le secrétaire bénévole, le fait entrer dans le grand quotidien L'Univers. Ses débuts sont une succession d'échecs : il ne trouve pas d'emploi rémunérateur et personne ne souhaite le publier. Il finit par travailler aux chemins de fer du Nord (dont il démissionne en 1878). Il s'éprend alors d'une prostituée, Anne-Marie Roulé, qu'il veut remettre dans le droit chemin, Mais celle-ci sombre dans la folie en 1882 et est internée à Sainte-Anne. Ce drame a été pour lui l'impulsion qui l'a conduit à la littérature. Il rassemble ses principaux articles dans Belluaires et Porchers en 1888. Il se lie d'amitié avec Huysmans, Jehan Rictus, Alfred Jarry et subsiste par quelques collaborations dans des périodiques, comme Gil Blas. La conception d'un livre comme le Salut par les Juifs, en 1892, est surprenante pour l'époque : le catholicisme militant, comme celui du journal La Croix, fondé en 1883, s'accompagnait d'un antisémitisme violent. La publication de la France juive, long pamphlet écrit par le directeur de La Libre Parole, Edouard Drumont (1844-1917), paru chez Flammarion en 1885 et financé par Alphonse Daudet, connaît un réel succès : plus de 60.000 exemplaires sont vendus la première année. Fort de son coup d'éclat, le médiocre journaliste crée en 1890 la Ligue nationale antisémitique de France et est même élu député en 1898. Léon Bloy a d'ailleurs écrit ce curieux ouvrage en réaction à cette énorme somme de mensonges grossiers et d'ignominies. Si son élan catholique est puissant (c'est lui qui a converti le protestant Jacques Maritain et sa compagne juive !), il refuse toute forme d'antijudaïsme. Au contraire : il se met en devoir de défendre les Juifs et son attitude surprend une époque qui allait bientôt connaître la nauséeuse affaire Dreyfus qui commence en 1894 et qui culmine avec le J'accuse ! d'Emile Zola à la une de L'Aurore quatre ans plus tard. « Salus ex judæis est », a dit le Christ à la Samaritaine au puits de Jacob. Léon Bloy démontre une connaissance des écritures mais aussi des exégètes dans ce livre virulent contre le livre de Drumont « qui assomme régulièrement les peuples chrétiens » : « Car enfin, M. Drumont entrait en héros dans Babylone, après avoir déconfit toutes les nations sémitiques, et les admirateurs de ce conquérant reniflaient sur lui la poussière du saint roi Midas... » L'écrivain manie une langue insolite, associant étroitement la prose vindicative et le langage le plus sophistiqué et le plus érudit. Pour exposer son point de vue, qui rappelle ce que tout bon chrétien doit à l'Ancien Testament, et que Jésus-Christ n'a fait que prolonger l'enseignement des grands Patriarches. Il montre le peuple juif est victime de son histoire comparable à aucune autre. Il démonte un à un les pauvres arguments de Drumont avec une jubilation féroce, lyrique, mais savante. Il démontre que l'Eglise a plutôt protégé les Juifs qu'elle ne les a persécutés. Avec une poésie puissante, Léon Bloy rappelle que ce qui s'est passé depuis « les Matines du Jeudi absolu jusqu'à l'immense alléluia de la Résurrection » n'est que l'accomplissement d'une longue épopée spirituelle engendrée par la pensée juive. Et le Christ d'expliquer : « nul excepté le Père, ne le connaissait ! » Tout en faisant l'apologie du christianisme, Léon Bloy a tenu à expliquer aux dévots aveugles cette histoire qui s'enracine dans un passé biblique et que tous les défauts des Juifs ne peuvent faire oublier que « le salut du monde est cloué sur Moi, Israël, et c'est de Moi qu'il faut descendre ». Même si ses réflexions peuvent parfois sembler étranges ou paradoxales, Léon Bloy a fait preuve ici c'une intelligence rare en matière de religion, servi par un talent littéraire lui aussi étrange et paradoxale, mais d'une puissante efficacité.




La Légende de Bruno et Adèle, Amir Gutfreund, traduit de l'hébreu par Katherine Werchowski, Gallimard, 288 p., 22,5o euro.

Ce qui est très intriguant, et au fond assez déroutant dans ce roman est que le lecteur ne parvient jamais découvrir quel est son véritable sujet, ni même qu'on voir tous ces personnages qui apparaissent au fur et mesure que se déroule le récit. Il y est question de meurtres (il y a en a trois au total, tous différents les uns des autres) et un commissaire divisionnaire, Yona Martin, qui est une figure étrange, avec une personnalité qui pourrait être vaguement comparée celle de Maigret. Il conduit ses enquêtes avec obstination, mais aussi avec une logique difficile comprendre. S'il y a bien tous ces crimes, le dernier encore plus effrayant que les précédents, s'il y a bien des investigations dans les lieux mes moins bien famés de Tel Aviv, il ne s'agit pas ici d'un roman policier. Et la recherche décevante des meurtriers était-elle bien ce que l'écrivain, Amir Gutfreund (1963-2o15), a vraiment voulu faire en écrivant ce livre ? Il y a bien des personnages qui peuvent être considérés comme les alliés  de Merlin, comme le journaliste Raï Tsitrin, spécialiste des graffitis, ou son adjoint, Vadim Klasitz, ou même l'énigmatique Zoé Néhoushtan, une adolescente des bas-fonds, qui découvre l'origine des inscriptions laissés par les assassins (ou le tueur en série). Chaque personne sert en partie le développement de l'histoire, mais surtout une partie de l'histoire des Juifs soit en Europe, avant, pendant et après l'holocauste, soit en Palestine depuis l'époque de la colonisation, avec l'afflux des émigrés entre les deux guerres, et puis dans le lutte menée contre les Anglais jusqu'à la déclaration de l'indépendance du pays. Zoé détient le secret de la trame secrète, celle de l'existence tragique de Bruno Schulz, le grand écrivain Juif polonais, qui a été abattu en 1942 comme un animal dans les rues du ghetto où il était enfermé par un officier SS. Il semble devoir apparaître chaque moment important de ces enquêtes ou de la destinée de tous les personnages qui affluent au sein de ces affaires qui ne cessent d'enfler et de se compliquer. Les personnages deviennent plus nombreux du professeur sévère et même assez sadique, du diamantaire Levin, la seconde victime, en passant par toutes sortes de figures dignes de Sholem Aleïkhem ou de Karel Polàcek. La stature frêle de Bruno Schulz, quia évoqué dans ses livres, surtout dans la Boutique de cannelle, un univers hébraïque magique, mystérieux et fascinant, et celle du grand peintre et de l'immense dessinateur qu'il a été, est omniprésente dans ces pages. . La grandeur et la beauté de son écriture sont peut-être la véritable quête de Tona Maerlin, ou celle de la petite Zoé. Il en résulte un livre tout à fait baroque et tout à fait étonnant, qui est une incontestable réussite, puisqu'il nous touche en faisant l'ablation d'un véritable « objet » sous-tendant ces affaires intriquées. Très moderne dans sa conception, ce roman est plein de nostalgie pour la grande littérature qu'incarne Bruno Schulz.




A mon très cher ami, petite anthologie des dédicaces de la littérature française, Jean-Christophe Napias, La Table Ronde, 68o p., 2o euro.

Les dédicaces ont tenu une place tout à fait déterminante, dans la littérature, ce n'est un secret pour personne. Jean-Christophe Napias a eu l'idée d'en réunir un grand nombre. Il commence par rassembler plusieurs d'entre elle elles de la main de Jules Barbey d'Aurevilly, le « Connétable des lettres », excentrique en diable, mais un grand maître du style. Il savait tourner ses dédicaces avec une rare dextérité et on pourrait dire qu'avec quelques autres auteurs aussi doués, il en a fait un genre littéraire en soi. Mineur, sans aucun doute, mais révélateur. Ce gros volume est classé par ordre alphabétique, ce que je regrette un peu. J'aurais préféré qu'il soir rangé par périodes, car l'art de la dédicace a beaucoup évolué. IL faut songer aux longues et alambiquées dédicaces, véritables exercices de haute voltige circonstancielle des auteurs du XVIIe et du XVIIIe siècle adressé à ceux qui les protègent, comme on le voit dans ce volume avec Molière (d'autres exemples auraient été indispensables). Quand on lit les merveilles de George Sand, de Marcel Proust, de Pierre Loti de Léon Bloy ou les pensées saugrenues de Robert de Montesquiou, on est assez loin des banalités de pas mal d'auteurs de notre temps (et là, le compilateur a été péché des personnages tels de Valérie Giscard d'Estaing, André Glucksmann, Maurice Clavel, Philippe Sollers, pour ne citer que ceux-ci, qui ne semblent pas marquer l'histoire de notre littérature - et sans omettre l'extrême concision de Patrick Modiano, qui est recherchée et fait partie de sa manière d'être écrivain). Mais il ne faut pas bouder son plaisir. Même si l'auteur n'a pas tiré le meilleur parti de son excellent projet, il nous amène tout de même à méditer sur la réalité de cet usage. Et puis, il aurait été bon de distinguer les dédicaces imprimées et les dédicaces adressée une personne à titre individuel. Quoi qu'il en soit, il faut se plonger dans ce volume, qui réserve pas mal de surprises.




Des chauves-souris, des singes et des hommes, Paule Constant, Folio, 192 p., 6,6 euro.

Paule Constant, qui a remporté le prix Goncourt en 1998, fait partie de cette charbonnerie bien parisienne des écrivains en vue. Comme la plupart d'eux eux, elle fait preuve d'un professionnalisme sans défaut. Elle écrit avec pondération, ne fait jamais de phrases trop longues, emploie des mots simples, mais bon escient, et sait aussi comment parler de sujets sensibles avec tact et modération. En somme, dans son genre, elle est parfaite. Son livre a été quasiment conçu comme une fable, avec l'histoire de cette petite fille africaine qui aime les chauves-souris. La mort d'un singe entraine une succession d'événements dévoilant la réalité de l'existence des individus au coeur de l'Afrique qui sont isolés dans de minuscules villages, loin de tout. La région entière souffre d'une maladie infectieuse. Cela réveille les antiques croyances et les peurs ancestrales. Tout cela est un peu trop prémédité dans le but de faire sortir les mouchoirs des âmes sensibles, qui ne supportent l'idée de la misère dans les terres lointaines. C'est assez chrétien dans son esprit et nous fait croire qui si nous avions poursuivi la grande oeuvre de la colonisation, cela n'aurait peut-être pas pu se produire de cette façon. Je dois admettre que je me suis laissé prendre cette histoire cousue de fil blanc (ou noir, plus exactement). Mais c'est un livre qui compte bien empocher les bénéfices de cette absurde charité qui doit s'appliquer à l'Afrique et moins nos pauvres bien de chez nous ! C'est une forme de racisme paradoxal ! Les Noirs sont comme des enfants sans défense et nous, qui possédons et la science et l'argent, nous devons voler leur secours. Quelle mauvaise blague !




New York, Haïti, Tanger, Truman Capote, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Malignon, Folio, 122 p., 2 euro.

Truman Capote est loin de poursuivre la tradition des grands voyageurs du XIXe siècle. Loin s'en faut. Il a eu sa manière bien lui de les vivre et de nous transmettre ce qu'il en a retenu. Quand il parle de New York, puis plus spécifiquement de Brooklyn, plus tard d'Hollywood, lui qui est natif de La Nouvelle-Orléans et qui a passé sa jeunesse dans l'Alabama, en a parlé comme s'il parlait de terres étrangères. Mais il ne s'est pas lancé dans une description monumentale ou dans une vision de la vie qu'on y mène. Il mélange plusieurs éléments de sa vie dans ces cités, évoquant ses rencontres, des sensations éprouvées, et mille choses qui n'ont pas vraiment faire avec la littérature de voyage. Ce sont des fragments d'une sorte de journal jamais ordonné. Cela dit, ses textes n'en sont pas moins vivants et même captivants. En Haïti, il s'interroge sur le nombre incroyable de chiens et songe qu'il aimerait écrire dans la villa où il se trouve. Si vous aviez désiré découvrir cette île chargée d'histoire en sa compagnie, vous en serez pour vos frais. Tanger (1955) est un peu une exception : il relate la traversée depuis Marseille et se concentre sur les lieux les plus intéressants de la ville : le Petit Socco, le Grand Socco et la Casbah. Il met l'accent sur la vision que peuvent en avoir les Américains qu'y a rencontrés. C'est assez juste et plein d'humour. En somme, Truman Capote a imaginé un genre échappant tous les genres définis pour nous relater ses périples aux Etats-Unis et dans le monde et avec beaucoup d'esprit et d'originalité.




Petits oiseaux, Yôko Ogawa, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, Babel, 272 p., 7,8o euro.

L'écrivain japonais Yoko Ogawa a un don très singulier : celui d'imposer une histoire dans des termes très simples, très communs, sans aucun effet, et de nous entrainer dans une histoire qui se révèle peu ordinaire. C'est le cas ici avec le décès de vieux monsieur qui n'aimait pas trop les enfants, mais aimait les oiseaux et s'occupait de la volière de l'école de l'orphelinat. Remontons dans le temps. Un des garçons de l'institution a un frère qui a inventé un langage qui n'appartient qu'à lui. Il ne peut donc communiquer avec personne sauf avec son frère cadet. Ce dernier est passionné par la manière dont le « monsieur aux petits oiseaux » parvient à « parler » avec eux. C'est ainsi qu'il a appris le langage des oiseaux pour avoir un dialogue avec son frère. Les deux garçons deviennent des hommes, mais ne se séparent pas : ils vivent ensemble et ont leur propre dialecte, si riche et enchanté. Le jeune handicapé se verra confié la responsabilité de soigner les oiseaux de la volière. Leur existence casanière semble monotone et dépourvue de poésie et c'est en réalité tout le contraire : les deux frères entreprennent des voyages imaginaires, parcourent des continents inaccessibles, découvrent des espèces que personne n'avait vues avant eux, peuvent s'envoler dans un espace imaginaire en toute liberté. Un beau jour, la résidence disparut et, avec elle la volière, et l'homme qui avait atteint de toute façon l'âge de la retraite, n'a plus travaillé. Tout son art de narrateur expert se retrouve dans ce beau roman dont a il a su restituer toutes les subtilités sous-jacentes.
Gérard-Georges Lemaire
23-11-2017
 
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Verso n°136

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