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[verso-hebdo]
05-04-2018
La chronique
de Pierre Corcos
Transparence de l'objectif, opacité des visages.
Le projet sociologique et encyclopédique du photographe allemand August Sander (1876-1964) était d'envergure : en 7 groupes et 45 portfolios, offrir une représentation photographique de la société allemande d'alors, sous le titre Hommes du XXème siècle. En 1925, il expliquait ainsi son projet à Erich Stenger, un collectionneur et historien de la photographie : « ...si nous pouvons créer des portraits de sujets qui soient vrais, nous créons par là-même un portrait de l'époque à laquelle vivent ces sujets ». Rallié au groupe des « artistes progressistes » de Cologne, August Sander se définissait comme un documentariste soucieux de (sic) « rendre fidèlement la psychologie de notre temps et de notre peuple ».
Un certain nombre de constantes dans la manière de photographier se trouvent alors requises pour que des comparaisons puissent clairement s'établir. D'abord la confrontation patente du photographe et de son modèle permet à ce dernier de prendre sa pose, choisir son attitude. Ensuite le modèle est montré dans le cadre de son métier ou de son environnement habituel. Enfin le sujet est majoritairement représenté de pied, et il fixe l'objectif. Le grain est fin, la lumière plane. Pas d'expérimentation ni d'expression subjective du photographe, qui reste en retrait... Mais que documente ce type de photos véritablement ?
C'est la question qui peut sans doute être posée lorsque nous voyons l'exposition Persécutés/Persécuteurs, des Hommes du XXème siècle (au Mémorial de la Shoah, jusqu'au 15 novembre 2018), montrant des extraits de cette oeuvre gigantesque, des portfolios réalisés sous le IIIème Reich, lesquels sont complétés par des portraits de femmes et d'hommes qui furent persécutés par le nazisme. Documenter sur l'époque, oui, ces photos y parviennent incontestablement... D'abord les métiers, qui ont bien changé. On y voit un pâtissier avec son chaudron, une femme de ménage avec son balai : plus de chaudron aujourd'hui, et sans doute un aspirateur aux mains de la seconde. Ensuite les vêtements, les uniformes portés en ce temps-là. Et enfin les coiffures, les accessoires : des lunettes rondes, voire un lorgnon, d'élégantes cannes. On remarque également le sérieux général de l'expression : on prend alors très au sérieux cet acte photographique, qui ne s'est pas encore banalisé... August Sander réussit pleinement son projet d'« Antlitz der Zeit », de « visage d'une époque ».

En ce qui concerne l'inscription professionnelle, psychologique, ou morale, sur un visage, on peut avoir quelques réserves. Dans une conférence datant de 1931, August Sander déclare en effet : « À travers l'expression d'un visage, nous pouvons immédiatement déterminer quel travail il [l'individu] accomplit ou n'accomplit pas, dans ses traits nous lisons s'il éprouve du chagrin ou de la joie, car la vie y laisse immanquablement ses traces ». Or nous serions bien en peine de déterminer avec certitude, à l'expression de son visage, que celui-ci est pharmacien et que celle-ci est comptable. Ou bien que celle-ci est bipolaire et celui-là « borderline ». Ou enfin que celui-ci est un persécuteur et celle-là une persécutée... Nous prêtons bien entendu aux expressions d'autrui une signification, mais cette impression s'avère porteuse d'erreurs autant, au moins, que de vérités. Telle mimique sérieuse peut donner une impression d'hostilité, par exemple, et Proust ou Musset disaient à merveille combien il restait difficile d'élucider le sens du sourire de l'aimée. Et puis ce qu'on sait (ou l'on attend) de la personne agit sur notre perception. Et l'on finit par prendre pour intuition ce qui n'est que projection... De fait, ici, dans les émouvants portraits des « Persécutés » (des Juifs de Cologne), si l'on croit apercevoir de la gravité dans les yeux de quelques-uns, elle n'y figure pas tout le temps. Quant aux « prisonniers politiques », si l'on ne savait pas qu'ils l'étaient, par le titre ou par la tenue de quelques-uns, rien dans l'expression de leur visage nous renseignerait avec certitude. Enfin, dans ces portraits photographiés de Nazis, souvent en uniforme, on décèlera sans doute une morgue chez certains, un air d'abruti chez d'autres, mais à l'évidence on n'en peut faire une règle...
Dès lors, la démarche euristique d'August Sander montre ses limites sans rien ôter à son talent. De même que les hypothèses génétiques erronées de Zola (chercher les causes du « vice » dans l'hérédité) ne l'ont nullement empêché de brosser un remarquable tableau sociologique de la France de son temps, la croyance qui animait Sander en la « psychologie d'un peuple » ou bien en la monosémie d'une expression sur un visage, si elle reste très discutable et datée, ne l'a pas empêché de faire oeuvre remarquable de documentariste, par ses photographies, sur les Allemands de la république de Weimar essentiellement, pouvant illustrer le travail de tout historien sur cette époque. Et d'ailleurs l'exposition ne se prive pas de contextualiser historiquement les photographies d'August Sander, et la commissaire de l'exposition, Sophie Nagiscarde, a tout à fait raison de rappeler la condition des Juifs à Cologne avant, puis pendant, le triomphe des Nazis, les premiers étant devenus persécutés par la faute des seconds, persécuteurs...
Alors, s'il n'existe pas de visage-type du persécuté ou persécuteur, le portrait social, naissant avec August Sander, et tirant sa beauté grave d'un effet de vérité, inspirera ensuite maints photographes, comme Roger Ballen, Andreas Gursky, Thomas Ruff, etc.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
05-04-2018
 
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Verso n°136

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