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[verso-hebdo]
10-04-2014
La chronique
de Pierre Corcos
Les belles images
Les belles images, sans doute en avions-nous besoin comme de sucreries délicieuses pour compenser les aigreurs et amertumes de la vie, pour détourner aussi notre imaginaire des représentations convulsives émergeant de « la marmite bouillonnante des pulsions » (Freud). Les belles images surgissaient des livres illustrés pour enfants, des boîtes à biscuits décorées, des jolies vignettes qui s'échangeaient, enfin des radieuses publicités. Les belles images se multipliaient encore dans un certain type de bande dessinée (que le néerlandais Joost Swarte a caractérisé par la formule heureuse de ligne claire, et l'on pense toute de suite à Tintin), même si une certaine violence marquait les scénarios... Et puis l'apprentissage de la vie adulte nous a tous obligés plus ou moins tôt à renoncer - en apparence du moins - aux belles images, pour nous confronter aux lignes heurtées, mouvantes, imprévisibles de la réalité, à ses couleurs dissonantes, pour nous ouvrir également à des esthétiques plus raffinées.
En quoi consistent les belles images ? Il convient tout de suite d'ôter au qualificatif, dans la formule, tout l'idéal philosophique, platonicien ou kantien, associé à la Beauté. L'image, représentation figurative d'une scène, d'une personne, d'une chose, vient souvent illustrer un texte, une idée ; et la belle image, loin de se mesurer et battre avec l'exigeante et dure beauté, se contente d'être douce, décorative, édifiante ou sagement didactique (on pense à l'image d'Épinal ou à l'image de piété par exemple). On voit que dans ses thèmes (l'enfance, le bonheur, la maternité, etc.) comme dans sa forme (lignes douces, teintes pastel, clarté d'ensemble), la belle image séduit sans jamais approfondir, et rassure la conscience populaire. Et aussi bien le communisme (belles images du « réalisme socialiste ») que le capitalisme (belles images de la publicité) ont usé et abusé de cette esthétique, à la fois pour entretenir le consensus et pour anesthésier la conscience critique.

Ce long préambule semble utile si l'on veut appréhender la grand exposition du peintre, graveur, aquarelliste suédois Carl Olaf Larsson (1853-1919), qui se tient au Petit Palais jusqu'au 7 juin...
Quand on voit sur les cimaises ces adorables bambins, ces jolies adolescentes aux bonnes joues roses, ces familles heureuses devant des tables bien servies, tous ces meubles colorés dans de pimpants intérieurs, et quand on constate que les couleurs chaudes abondent (ou alors, comme le rouge et le orange ponctuant le vert, jouent la complémentarité), que les teintes pastel imprègnent les paysages, on peut être tenté bien sûr de s'exclamer : voilà un bon illustrateur, un fabricant honnête et minutieux de belles images précises (comme plus tard Norman Rockwell aux Etats-Unis), et ce n'est pas étonnant qu'il ait facilement acquis une popularité mondiale et bien vécu de son savoir-faire !...
D'ailleurs, le titre de l'exposition est bien Carl Larsson, l'imagier de la Suède. La bourgeoisie suédoise, mais aussi allemande, s'est bien sûr régalée de cette peinture idyllique, confortant l'ordre familial heureux. Et le thème de la jolie maison (sa charmante demeure à Sundborn en Dalécarlie) dans une nature pacifique ne pouvait, au-delà de cette classe sociale, que faire rêver les foules, au point que l'ouvrage illustré par ses soins La maison au soleil se vendit à 40 000 exemplaires en Allemagne et fut réédité presque une cinquantaine de fois !...

On peut aisément concevoir - tant le bonheur en peinture est aujourd'hui reçu au moins dans l'ambivalence - qu'une réaction immédiate de défiance, voire rejet se manifeste Au niveau des thèmes choisis, de la légèreté de leur traitement (l'enfance, ce n'est pas que cette bonhommie souriante, et pas plus la famille !), et au niveau de la forme, marquée par l'équilibre invariable des compositions, la ligne douce et arrondie, les sages accords de teintes agréables, certains tenants d'une esthétique de la rupture, ou transgressive, s'agaceront peut-être de l'oeuvre de Carl Larsson. Ils s'écrieront : assez de belles images ! Elles tuent l'art véritable et préparent le triomphe du kitsch !
Ce rejet est-il toujours pleinement justifié ?... Au moins depuis l'après-guerre et à part dans la publicité (et encore !), l'époque des belles images est révolue, aussi bien dans les arts de masse que dans l'art expérimental « d'élite ». Profusion d'une imagerie violente, monstrueuse, transgressive, recherche systématique d'expressions convulsives, ou alors de cette déceptivité conceptuelle qui déroute la moindre attente de séduction. Et même les livres pour enfants sont parsemés d'images inquiétantes, qui auraient fait frémir un illustrateur du temps de Larsson ! Ce qui reste aujourd'hui des belles images s'est extrêmisé dans le kitsch criard et bigarré... Nous voyons un académisme de la provocation comme une pornographie institutionnalisée, et l'imagerie hideuse a ses lettres de noblesse. Certains penseurs, comme Marcuse, à travers la notion de « désublimation répressive », interprétait ces manifestations comme une atteinte aux puissances émancipatrices de l'art.

Alors, devant certaines aquarelles fraîches et délicates de Larsson, transcendant la belle image convenue vers un idéal utopique de réconciliation entre l'humain, l'animal, la nature, on peut éprouver à la fois la douce mélancolie de ce qui semble perdu, et un élan de sympathie pour de communes rêveries.
Pierre Corcos
10-04-2014
 
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Verso n°136

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