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[verso-hebdo]
26-05-2016
La chronique
de Pierre Corcos
Six ailes pour Francesca...
Êtres purement spirituels, dotés d'un corps éthéré, aérien, ils ne revêtent de l'humain que son apparence, et symbolisent les aspirations idéales insatisfaites. Ou impossibles... Les anges. Gare à l'homme ou à la femme qui veut devenir un ange : ne sont-ils pas contraints de se désexualiser, se dématérialiser ? Selon Justin le Philosophe - l'un des principaux auteurs à parler en détails du culte des anges -, le péché des anges consiste dans des rapports intimes avec des femmes : alors leurs enfants sont appelés démons... Il était une fois une artiste photographe américaine qui se prenait pour un ange. One being an angel : titre de l'exposition de Francesca Woodman à la Fondation HCB (jusqu'au 31 juillet), Devenir un ange : titre de son livre (éditions Xavier Barral). Comment vaincre la visibilité, la pesanteur, la corporéité ? Francesca s'est défenestrée à 22 ans... Les séraphins ont six ailes : six textes pour Francesca.

On ne dira jamais assez combien le suicide d'un artiste pèse sur l'interprétation, voire la perception (mais la perception est déjà partiellement interprétation), que l'on a de son oeuvre. Verrait-on en effet de la même façon les photographies de Diane Arbus, le cinéma de Jean Eustache, ou évidemment la peinture de Van Gogh, s'ils ne s'étaient pas suicidés ? La mort éclaire le vivant de son soleil noir. Tel thème recélait de la désespérance, telle forme conduisait à une impasse, etc. On ne peut s'empêcher par exemple, dans l'oeuvre de cette photographe créative, à la vocation précoce (elle s'initie à la photo à treize ans), née sous une bonne étoile dans une famille d'artistes du Colorado, de se demander si le corps, son corps qu'elle a sans cesse utilisé dans ses photos, n'était pas un obstacle à son aspiration angélique. Son corps qu'elle représente pincé, saucissonné, reflété, tronqué, dissimulé, flouté, gommé...

Francesca Woodman (1958-1981) se réfère au surréalisme, c'est clair, surtout quand on connaît l'oeuvre de Man Ray ou d'Hans Bellmer. La photographie surréaliste aime les miroirs et les ombres, le thème du double, dans son imagerie l'on trouve des anguilles, gants, masques et mains. Ces éléments vont réapparaître dans les photographies de Francesca Woodman. Durant son année d'études à Rome, sur le chemin la menant de son appartement au Palazzo Cenci (lieu de son école), elle fréquentait la Libreria Maldoror, spécialisée dans le surréalisme... Dans le contexte historique et esthétique du surréalisme, la photographie apparaissait comme un excellent moyen de donner des images à/de l'invisible : «une image lumineuse qui réponde au sentiment profond de la vie intérieure », c'était pour Moholy-Nagy la seconde orientation de la photographie, la première consistant en un travail documentaire.

Dans son oeuvre intime et poétique, il s'agit bien plus pour Francesca Woodman de traduire sa vie intérieure que nous documenter sur le monde. Lorsque dans une première photo, elle se tire les cheveux vers le haut et que, dans une seconde photo, on la voit s'envoler, lorsque dans une autre oeuvre, elle est suspendue au chambranle d'une porte - attitude d'un oiseau qui s'envole (ou crucifié) -, c'est bien de ses rêveries aériennes qu'elle nous entretient. Parlant du poète Shelley, Gaston Bachelard dans L'Air et les Songes  écrit : « ...les images poétiques sont des opérations de l'esprit humain, dans la mesure où elles nous allègent, où elles nous soulèvent, où elles nous élèvent (...). Elles sont essentiellement aériennes ». Là-même - le corps féminin dénudé - où le désir sexuel demande chair, chose, matérialité, Francesca Woodman crée des images éthérées. Élévation, immatérialité poétique.

Aux Rencontres d'Arles de 1998, elle apparaissait dans l'exposition « L'artiste et la représentation de soi : Francesca Woodman ». Mais se représenter, c'est devenir à la fois objet de la narration et sujet narrateur. Autarcie, complétude et... solitude. C'est, quand on est une femme et qu'on se représente nue, tenter d'échapper à cette narration dominante : le plus beau des corps offert dans les plus beaux décors (ou les plus jolis écrins ?). Mais c'est une maison vide, aux murs délabrés, décrépits, jonchée de gravats qu'a choisie Francesca Woodman comme décor quasi permanent pour se mettre en scène... La rencontre de l'ange et de la femme engendre les démons, racontait la légende. Dans cet ensemble photographique en noir et blanc (quelques exceptions en couleurs), tous les « démons » ne seraient-ils pas les figures étranges, fantomatiques, surréalistes que la photographe fit naître par ses truquages ?

L'un des signes de la virtuosité chez un artiste est de tirer le plus et le mieux parti des possibilités du medium qu'il a choisi. Tout ce que peut son art, son instrument... Les jeux de la lumière et de l'ombre, les grains différents des matières, les oppositions entre le flou et le net, le rugueux et le lisse, le statique et le mouvant, le mat et le brillant constituent le véritable travail, proprement technique et artistique, de celle qui a choisi la photographie en noir et blanc pour explorer consciencieusement ce medium. A cet égard, la photo intitulée Self-deceit #1 (1978) est un véritable exercice d'école, par tous ses jeux d'opposition entre les effets de matière rendus par le medium photo. La part psychologique et dramatique de cette oeuvre ne doit surtout pas occulter sa dimension analytique, investigatrice et tous ses enjeux formels. Car l'ange était aussi géomètre ! Son dernier livre : Some disordered Interior Geometries.
Pierre Corcos
26-05-2016
 
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Verso n°136

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