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[verso-hebdo]
06-04-2017
La chronique
de Pierre Corcos
Apprendre à voir
À supposer que n'avoir pas su, ni peut-être souhaité, voir le réel social constitue une faute, que plaiderions-nous pour notre défense ? Sans doute que les médias, par leur logique de séduction ou leurs filtres idéologiques, conditionnèrent largement notre représentation, partielle et partiale, de la réalité... Que, pour ne pas être taraudés par notre conscience morale, nous avons pris l'habitude de détourner les yeux là même où il fallait voir, observer... Enfin que, pour nous divertir, bien souvent nous avons remplacé par un hypnotique cinéma de fiction le documentaire, le cinéma du réel...
Justement, le 39ème festival international de films documentaires, l'excellent « Cinéma du réel », qui s'est tenu à Paris jusqu'au 2 avril, est venu compenser notre relatif aveuglement, notre négligence, notre frivolité. En braquant son objectif sur ce que les reportages effleurent ou ignorent en général, et d'autre part en éduquant par ses propositions notre regard. Cette année sous le signe de Jean Rouch (à l'occasion du centenaire de sa naissance), le festival nous a offert de nombreuses perspectives sur le réel. Quelques exemples...

Les documentaires de la thaïlandaises Ing K. montrent, derrière les vitrines alléchantes du pays touristique par excellence, les réalités multiformes de la domination en Thaïlande : oppressions du pouvoir et religieuses, effets destructeurs de l'industrie touristique, etc. En 2013-2014 eurent lieu à Bangkok d'amples manifestation dites du Blocage. Le pouvoir fit en sorte qu'elles soient effacées des mémoires. Dans Bangkok Joyride, Ing K., bravant la censure, donne à voir non seulement l'héroïsme des opposants, mais encore, dans la seconde partie du documentaire (Shutdown Bangkok), tout ce qu'un mouvement de masse comme une manifestation comprend d'initiatives personnelles et symboliques, en fait, de microrévoltes individuelles. En outre, alternant la manifestation réelle et ses comptes-rendus télévisuels, des larges plans de cortège et des focus sur des individualités, Ing K. vise à rendre à ces manifestations une puissance, en temps réel, que le pouvoir essaie de réduire au néant.
Avec le bouleversant Martirio, les brésiliens Vincent Carelli, Ernesto de Carvalho et Tatiana Almeida nous montrent la lutte digne, désespérée des indiens Guarani-Kaiowá pour la restitution de leurs terres, alors que le lobby de l'agrobusiness, en niant ces droits, ce peuple, pèse sans cesse sur le gouvernement pour acter les expropriations. Les documentaristes ont accumulé des images depuis les années 1980 : c'est une longue histoire, et toujours actuelle, d'intimidations, de violences, de « meurtres barbares perpétrés contre des Indiens revendiquant leurs droits » (sic). Voilà un minutieux travail d'anthropologue, d'historien, de politologue qui, par le choix de situations emblématiques et par la force des images, évite le piège du plat compte-rendu documenté. L'éthique de ce film engagé ne résorbe pas l'esthétique de nombreuses séquences. Il est impossible de s'extraire indemne de ce très long documentaire, et il n'est pas étonnant que Martirio ait reçu un accueil triomphal au Brésil.
« Je n'ai pas la prétention de changer le cours des choses, mais si mon film peut être comme une petite lanterne dans ce tunnel obscur que nous traversons, j'en serais ravi », dit humblement Régis Sauder dans une interview... Son film, Retour à Forbach, à la fois classique et magistral, éclaire les différentes réalités socio-économiques d'une petite ville de Moselle où est né le réalisateur, qu'il a quittée il y a trente ans, et où, alerté par la montée du Front national en 2014, il revient et filme durant presque trois ans pour comprendre ce qui s'y passe. Arrêt catastrophique de l'industrie minière, désengagement de l'État, fermeture des commerces, émigration des jeunes, montée du communautarisme et de la xénophobie : par plans fixes, courtes séquences, témoignages éloquents, Régis Sauder nous raconte en touches successives l'histoire d'une ville sinistrée. Assumant la subjectivité de sa démarche (thème de la perte), la sourde culpabilité qu'il ressent, le documentariste n'en réalise pas moins une oeuvre didactique et analytique donnant à réfléchir. Comment appréhender par l'image une réalité sociale complexe, dont la visibilité doit se conquérir et se construire ?
Le titre du documentaire de l'ukrainien Sergei Loznitsa est pris à l'ultime roman de W.G. Sebald : Austerlitz. Mais il s'agit juste ici de filmer, en noir et blanc et plans fixes successifs, sans le moindre commentaire, le tourisme de masse qui se répand en plein été dans un... camp de la mort nazi, devenu musée à ciel ouvert. Certains font des selfies de groupe devant les grilles où est inscrit l'épouvantable « Arbeit macht frei ». Absurde, obscène. Sergei Loznitsa ne nous apprend rien, il fait bien plus : il déconstruit longuement une atroce banalité.
Une mention pour cet « Hommage à l'américain Charles Burnett », ce « conteur subtil des vies précaires ». Enfin, la rétrospective montrant l'intégrale de l'oeuvre du brésilien Andrea Tonacci (travail documentaire et anthropologique sur les indiens Arara notamment) finit de nous convaincre que le genre documentaire, s'il garde un lien privilégié, nécessaire avec la réalité sociale, culturelle, ne contraint pas forcément les réalisateurs à refouler leur mémoire subjective, leur imaginaire. Apprendre à voir, en effet, c'est avant tout, surtout échapper à une perception programmée, confortable et mythifiée.
Pierre Corcos
06-04-2017
 
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