Fondé en 2007 à Bayeux (Calvados), le Radar est géré par une association loi de 1901 animée par David Lemaresquier, artiste et professeur d’arts plastiques. Il s’agit d’un lieu accueillant, fort bien placé en centre ville à proximité de la cathédrale, qui s’est donné pour mission de présenter l’art contemporain à un public généralement peu préparé à ce genre de rencontre mais nullement hostile, si l’on en juge par le nombre de visiteurs : plus de dix mille depuis l’ouverture. Bayeux, première ville libérée de France en 1944, située à quelques kilomètres des plages du débarquement (Homaha Beach, Arromanches...) offre un cadre sensible à une réflexion plastique sur le thème de la guerre. David Lemaresquier a donc pris le risque d’organiser une exposition intitulée STARe not WAR (jusqu’au 27 mars) en s’appuyant sur des œuvres acquises par le FRAC Basse Normandie. Le pari est réussi, et c’est pourquoi il me semble utile de signaler le fait qu’au-delà de certains excès et de certaines impostures (que j’ai commentés ailleurs), il existe d’excellents artistes aujourd’hui, qui ont en outre la chance d’être homologués « contemporains », notamment grâce à leur insertion dans la collection d’un FRAC. La réunion de quelques uns d’entre eux a permis la réalisation de cette intéressante exposition.
Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre en effet, le commissaire s’est refusé à la « surenchère médiatique d’images chocs ». Il a simplement recherché quels palliatifs plastiques emploient aujourd’hui les artistes pour évoquer la guerre. L’un des plus jeunes, Damien Deroubaix (né en 1972) a réalisé une installation de quatre requins en résine polyester recouverte de pigments sombres hautement symbolique. L’ensemble a pour titre World Eaters. Conquest, Famine, Death, War, chaque élément présenté verticalement, nez écrasé contre le sol, mesure près de deux mètres. Allégories des quatre fléaux menaçant le monde, ces cavaliers de l’Apocalypse sont spectaculaires sans être agressifs. La curieuse position de ces squales traduit l’ironie distanciée de l’artiste bien plus que la volonté de choquer. Deroubaix a été touché par l’esprit anarcho-punk des groupes allemands grindcore, il connaît bien les musiques et les images de son temps, ce qui lui permet de mélanger les registres et les références dans des œuvres capables de parler à ceux qui veulent bien les observer. Le verbe to stare, inclus dans le titre de l’exposition, ne signifie-t-il pas « observer fixement » ?
Micha Laury, quant à lui, est un artiste confirmé : né en 1946 en Israël, vivant à Paris depuis 1974, il a acquis une réputation internationale par son œuvre protéiforme. Avec ses peintures, sculptures, installations et performances, Laury explore certains aspects de l’aliénation et les ressorts de situations liées à l’enfermement et à l’incommunicabilité. Marqué, évidemment, par le conflit israélo-arabe, il a notamment conçu Don’t be a Chocolate Soldier : des soldats en chocolat qui devaient être distribués dans des magasins d’alimentation, manière ludique d’associer le public, par une participation gourmande, à la démarche critique de l’artiste devant l’absurdité de la guerre. Le projet fut censuré en Israël en 1970, et ne put être réalisé qu’en 1994... au Musée des Beaux-Arts de Chartres. Il nous en reste des moulages pensifs, si l’on peut dire, placés sur une console.
Les autres œuvres exposées au Radar ont toutes de l’intérêt : les photographies de Sophie Ristelhueber (ruines en noir et blanc à Beyrouth) et de Leo Fabrizio (camouflages de bunkers en Suisse) m’ont particulièrement frappé par leur double caractère d’efficacité et de beauté. Un bon exemple d’initiative susceptible de contribuer à la réconciliation des français avec l’art qui leur est le plus contemporain.
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