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[verso-hebdo]
03-11-2016
La chronique
de Pierre Corcos
Modulations du tragique
Le tragique, catégorie esthétique majeure, confronte l'homme à son néant, à ses limites, à ses insurmontables contradictions. Sa beauté vient du traitement lyrique épuré qui l'exprime. Le théâtre a cet immense avantage de montrer, directement et avec peu de moyens, l'homme en situation tragique. Mais ce tragique peut se trouver différemment modulé. Par un traitement distancié, poétique, par exemple, ou alors par son identification au Politique.

En une mélancolie ruisselante, pénétrante, le court texte de Daniel Keene, La Pluie, parvient à traduire poétiquement la tragédie de la déportation massive sans retour. La déportation, l'extermination monstrueuses des Juifs par les nazis... Hanna raconte - parole incertaine, évocation presque onirique - comment, alors qu'elle était jeune encore, il y a bien longtemps, des tas de pauvres gens, bousculés, obligés dans la panique de s'entasser dans des wagons, lui confièrent hâtivement des objets de toutes sortes. Comme pour sauver une mémoire, ou bien magiquement se persuader qu'ainsi, peut-être, ils reviendront les récupérer... Hanna se souvient en particulier d'un enfant qui lui avait simplement donné une bouteille contenant de l'eau de pluie. La pluie... Ces vers reviennent à l'esprit : « Il pleure dans mon coeur/Comme il pleut sur la ville/Quelle est cette langueur/Qui pénètre mon coeur ? » (Verlaine). Le temps est retombé sur l'effroyable tragédie comme un rideau de larmes. La pluie noie toutes chose dans l'oubli des apparences, mais son éternel retour chuchote que la tristesse n'a plus de fin. Le texte du dramaturge australien Daniel Keene enrobe l'effroyable tragique de la Shoah d'une grisaille de désespérance redoutable...
Le théâtre de marionnettes, de musiques et de masques d'Alexandre Haslé rajoute une enveloppe de mystérieuse poésie au texte de Keene. Après trois années passées en compagnie de l'immense marionnettiste Ilke Schönbein, et avoir travaillé l'art de l'improvisation, du masque et de la danse, Alexandre Haslé nous propose des spectacles d'ambiance précieux et rares. Neuf marionnettes expressives, des chants, des sons (la goutte dans une bassine), de l'accordéon, des musiques évocatrices (par exemple celle du film Le Troisième homme), et divers objets de récupération : La Pluie de Daniel Keene - qui se joue jusqu'au 26 novembre au Lucernaire - peut se voir recommandé à un public de tous les âges. En effet, le croisement de ces multiples langages scéniques donne plus de consistance accessible à un texte fait autant de creux que de plein, à un poétique récit marqué à la fois d'absences et de souvenirs... Près de sa poussette misérable surmontée d'un parapluie déchiré, une vieille au masque pathétique attend chaque spectateur au début de la pièce, et commence une étrange évocation. Certains la trouveront sans doute trop esthétisée par rapport au tragique événement d'origine. Mais le texte de Daniel Keene avait déjà bien amorcé cette dérive, cette translation sensible...

Le tragique de La mort de Danton est fulgurant. Comme si son auteur, Georg Büchner (1813-1837) avait su qu'il allait mourir à 24 ans, et qu'il n'avait guère le temps pour des afféteries littéraires... Ce texte vertigineux, absolument génial, fut écrit au galop, en cinq semaines, Büchner se sachant traqué pour ses idées progressistes, son engagement politique. Mais là on n'est plus du tout, stupéfiante originalité, dans l'idéalisme romantique. Le matérialisme biologisant de Büchner - son père était chirurgien, son frère un grand philosophe matérialiste et lui-même avait suivi des études de physiologie et d'anatomie - confronte l'idéal révolutionnaire (en 1835, il écrivait à son ami Glutzkow : « le conflit entre riches et pauvres est le seul conflit révolutionnaire au monde ») à la fragilité, à l'absurdité de notre condition biologique. Tragique, cette pièce l'est de bout en bout par l'intensité de ses formules (Danton vit ses derniers jours), par la vigueur de ses conflits (progressisme des Lumières contre archaïsme du Mythe, goût de l'action politique contre secrète passion du néant, puissance créatrice contre folie destructrice de la Révolution, etc.), par la profondeur de toutes les questions qu'elle agite, par l'inéluctabilité de la sanglante destruction de l'un des partis (les Indulgents ou bien les Intransigeants), et enfin par sa grandeur politique, historique, transcendant toutes les manoeuvres et bassesses politiciennes. À l'évidence, Georg Büchner s'est servi précisément d'ouvrages d'historiens, il s'est inspiré de l'éloquence des discours politiques d'alors, mais, tout comme Shakespeare avant lui, il a su étirer le politique jusqu'à ces confins vertigineux, tragiques où il ne reste plus que la liberté et le néant... Et le metteur en scène François Orsoni savait bien qu'aujourd'hui monter cette pièce (elle a été représentée à Bobigny, salle Pablo Neruda jusqu'au 23 octobre, et elle sera reprise au Théâtre de la Bastille du 16 février au 4 mars), c'est prendre le risque du grand écart avec le prosaïsme médiocre de nos discours politiques ambiants. Prendre le risque de la grandeur dans le monde banal de l'utile... Mais le jeu emporté des comédiens, le choix judicieux de la scénographie - cette longue table de débats - et des accessoires symboliques, le rythme fiévreux donné à ces discours se croisant comme des glaives ont su exalter tout le tragique de ce chef-d'oeuvre.
Pierre Corcos
03-11-2016
 
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Verso n°136

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