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[verso-hebdo]
22-06-2017
La chronique
de Pierre Corcos
Le malheur, le comique et l'écriture
Des mécanismes propres à la souffrance faire style, procédés d'écriture... Ce qui heurte sans cesse, l' « enfer du Même » se transmue alors en ritournelles. Et l'intolérable se traduit par l'outrance verbale, la provocation. À l'encontre de certains épanchements romantiques complaisants, raffinés, on ne peut un instant douter à la lecture, à l'écoute de Thomas Bernhard qu'il ait beaucoup souffert. Souffert de son enfance recluse, d'avoir vécu dans un pays exécré, de sa tuberculose pulmonaire. De ses propres exigences, impérieuses.

Le spectacle qui s'est achevé il y a quelques jours au Théâtre National de la Colline, Le froid augmente avec la clarté, inspiré librement de deux romans autobiographiques (L'Origine et La Cave) de Thomas Bernhard, tentative intéressante de théâtraliser des textes littéraires, notamment par un travail d'acteurs (le metteur en scène, Claude Duparfait, est lui-même acteur), nous confronte à une prose travaillée en profondeur par le « taedum vitae », ou le sentiment, la sensation de l'insupportable. Même dans les discours accompagnant la réception de prix littéraires - en général de gratitude policée chez les auteurs - Thomas Bernhard (cf. Verso Hebdo du 4-9-14) ne transigeait pas avec sa fureur, ses obsessions, jusqu'à même provoquer le scandale. Le titre du spectacle, Le froid augmente avec la clarté, se réfère d'ailleurs à un discours prononcé par l'écrivain, il y a une cinquantaine d'années, à Brême. Mais que dirait aujourd'hui de notre monde Thomas Bernhard, disparu en 1989, s'il revenait en vie ? Lui qui dénonçait, virulent, rageur, le cryptofascisme et le catholicisme conservateur des Autrichiens, que penserait-il de cette montée des populismes en Europe ? Il disait alors, déjà : « l'Europe, la plus belle Europe, est morte ; voilà la vérité et la réalité ». Lui qui déclenchait régulièrement la colère des nationalistes, des religieux, comment supporterait-il derechef le monde actuel ?

Ce montage de textes autobiographiques raconte comment, âgé de treize ans, le jeune Thomas se retrouve enfermé dans un institut dirigé tyranniquement par un officier nazi, Grünkranz, puis par un ecclésiastique, l'oncle Franz, ne valant guère mieux. Comment il décide, pour s'en sortir, de quitter ce lycée de malheur et se faire apprenti dans une épicerie d'un faubourg minable de Salzbourg. Quand ce n'est pas la tentation récurrente du suicide, voici une pleurésie, contractée dans le sous-sol de cette boutique... C'est un spectacle polyphonique pour faire entendre une seule parole : Florent Pochet et Pauline Lorillard c'est Thomas Bernhard jeune, Annie Mercier et Claude Duparfait incarnant l'auteur à l'âge mûr. Ils représentent aussi « quatre visages, quatre tempéraments, quatre zones intérieures de Thomas Bernhard », précise le metteur en scène. Par ailleurs, en insérant des extraits du texte Un enfant, Claude Duparfait évoque la petite enfance de l'écrivain autrichien, son lien positif (enfin, tout de même !...), fécond avec son grand-père (excellent Thierry Bosc), Johannes Freumbichler, esprit original, écrivain et philosophe anarchisant, féru de musique. La scénographie épurée, jouant sur le clair-obscur, de Gala Ognibene, les extraits des Rückert Lieder de Gustav Mahler, les jeux différenciés des comédiens contribuent à la théâtralisation de ces textes, écrits surtout pour être lus ou dits. À certains moments, l'artifice des procédés s'impose, et l'on se demande pourquoi Claude Duparfait ne s'est pas contenté de choisir dans le répertoire des nombreuses pièces de théâtre signées par Thomas Bernhard. D'ailleurs, certaines séquences ont été écrites par le metteur en scène - et cela ne va pas de soi - pour établir des joints entre des textes qu'aucune dramaturgie entre eux ne relie... Mais, comme tout roman de formation recèle peu ou prou un drame, et comme les invectives, les vitupérations de Thomas Bernhard participent d'une forme tragicomique, par leur excès et leur répétition, le spectacle n'a pas de mal, le plus souvent, à franchir la rampe.

L'hésitation des spectateurs à rire en écoutant sa prose étonnait Thomas Bernhard. Et cette hésitation se ressent à nouveau durant le spectacle Le froid augmente avec la clarté. C'est que l'on se trouve ici confronté au mystère de l'une des origines, sans doute inavouables, du comique. Ce mystère, Samuel Beckett l'avait parfaitement vu, sans pour autant le dissiper, qui, dans Fin de partie, écrivait : « Rien n'est plus drôle que le malheur... c'est la chose la plus comique du monde ».
En fait, le malheur qui accompagne, comme négatif nécessaire, le déploiement de l'Histoire n'a rien de comique. C'est le malheur dans sa répétition et son absurdité qui peut faire rire. Le non-sens et la répétition, modalités connues, procédés efficaces du comique, escortent aussi le malheur. Et Thomas Bernhard a su admirablement en nourrir son écriture. Lorsque par exemple il nous raconte qu'à la croix gammée succède la croix chrétienne dans le lycée maudit de son enfance, et que c'est toujours l'oppression pour les élèves, ça ne change pas, répétition et absurdité s'imposent.
Alors, l'imprécation en boucle et, jusqu'au dépassement du sens, l'excès constitueront la mimesis oratoire, stylistique, pour Thomas Bernhard, du grotesque et du malheur de notre pitoyable condition.
Pierre Corcos
22-06-2017
 
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Verso n°136

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