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[verso-hebdo]
19-05-2016
La chronique
de Pierre Corcos
Une scène, une tribune...
Manière actuellement très en vogue - héritière du genre ancien de la biographie littéraire - d'évoquer la vie et l'oeuvre d'un artiste, le « biopic » au cinéma contamine le théâtre et a montré ses limites. Le plus souvent, cette illustration didactique enterre une deuxième fois, sous une charmante couronne de fleurs, l'artiste censé par cette évocation revivre. C'est que l'esprit de ce créateur n'anime guère le spectacle qui lui est consacré.

L'incontestable réussite de Je suis Fassbinder de Falk Richter, mis en scène par Stanislas Nordey et Falk Richter (jusqu'au 4 juin au Théâtre de la Colline), tient à ce qu'il transcende la biographie déférente, l'évocation hagiographique du dramaturge et cinéaste allemand (1945-1982), pour générer un spectacle en somme... fassbinderien, et assumant la part de subjectivité de celui qui l'a écrit. Il s'agit de « créer une sorte de mélange entre mon imaginaire et ce que Fassbinder a vraiment été, ce qu'il a vécu », dit Falk Richter, homme de théâtre allemand, auteur de nombreuses pièces et ayant développé des projets en collaboration avec des acteurs, des musiciens et des danseurs. Ici par exemple, Falk Richter a demandé aux acteurs ce qu'ils avaient envie de prendre en charge dans les propos, l'oeuvre de Rainer Werner Fassbinder, la dimension d'improvisation collective devenant alors perceptible dans le spectacle.
Pour prendre ces risques tangentiels, emprunter des chemins de traverse et ne pas s'égarer, il faut bien connaître ce territoire qui a pour nom Fassbinder... Or, toutes ses pièces de théâtre, tous les textes qu'il a écrits, Falk Richter les a lus, tout comme il a vu tous ses films (et Fassbinder fut, en treize années seulement, un auteur fécond !), et même regardé tout ce qui existe sur lui, à la télévision ou ailleurs. Imprégné depuis qu'il a 17 ans de cette oeuvre, et auteur passionné par notre époque tumultueuse, dont il se veut le chroniqueur, Falk Richter a créé là un spectacle à plusieurs niveaux en interactions permanentes. Non seulement l'homme Fassbinder est présent partout sans être expliqué nulle part, mais encore la scène devient tribune où nos crises sociales présentes, au risque de leur actualité la plus immédiate, donnent lieu aux mêmes virulents débats que ceux qui, en 1977, agitèrent l'Allemagne à propos du terrorisme et de la répression policière... On dira bien sûr : les Baader-Meinhof n'ont rien à voir avec les terroristes stipendiés par Daesh, les rétractions de la société allemande d'alors sont différentes de celles d'aujourd'hui après les évènements de Cologne. Ni Falk Richter ni Stanislas Nordey n'entendent faire d'amalgames historiques, mais juste se saisir avec vigueur, et en laissant libre cours à l'émotion, de tout ce qui participe actuellement à la fascisation de la société. Un thème récurrent, obsédant même, chez Fassbinder.
Dans l'Allemagne de 1977, bien des médias, la « majorité silencieuse » étaient prêts à prendre des distances avec la démocratie, espérant le retour d'un gouvernement autoritaire, autocratique (dans un court-métrage, on a vu Fassbinder se disputer avec sa mère, avec son compagnon sur les lois d'exception, l'état d'urgence décrété alors en Allemagne). Dans la France d'aujourd'hui, l'état d'urgence se voit sans cesse prolongé, tandis que bon nombre de Français aspirent à un nouveau type de gouvernement, populiste et autoritaire. Cette aspiration, croissante, a déjà été réalisée dans d'autres nations européennes... Mais les croisements entre ces deux époques valent moins pour leur portée euristique, historique que pour l'intensité émotionnelle et dramatique du débat provoqué. D'une part, rappelle Falk Richter, Fassbinder « n'est pas un intellectuel (...), il travaille beaucoup à l'émotion, avec beaucoup de colère aussi, d'énergie sexuelle », d'autre part Stanislas Nordey et Falk Richter ne veulent pas plus, dans Je suis Fassbinder, faire du théâtre documentaire qu'un « spectacle politique ». Juste interroger notre époque, sa confusion, ses errances et ses périls. Interroger aussi le théâtre sur sa capacité à encore interpeller notre époque, et non à servir la soupe (gastronomique, mais soupe quand même) à la société du divertissement. Interroger enfin, grâce à la mise en scène inventive de Stanislas Nordey - jouant sur captations vidéo, écrans et scène éclatée - les rapports complexes entre cinéma et théâtre. Après tout, ce champion du mélodrame distancié, Fassbinder, voyageait continuellement entre ces deux arts, nourrissant l'un par l'autre.

« Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire. Le théâtre parle fort et parle haut », clamait Victor Hugo. Stanislas Nordey et ses comédiens (excellent Laurent Sauvage) s'en sont bien souvenu dans ce décor fassbinderien où le psychodrame explose entre deux bitures, où l'esthétique décadente perce par moments : haut et fort, ils clament les désarrois d'une société confuse, divisée. Europe, immigrés, Islam... Chacun a ses raisons, souvent pathétiques, et ces vibrantes paroles choisies par Falk Richter secouent chaque spectateur. Et peut-être chaque spectateur a-t-il secrètement envie d'accéder à cette tribune, à cette chaire, à cette scène et y dire ses mots, renouant avec la bruissante agora antique, ou bien retrouvant quelques vives discussions nocturnes de la place de la République.
On s'est éloigné de Fassbinder ?
Oui, tout a changé, une quarantaine d'années sont passées. Non, en fait ça n'a pas changé : la démocratie est toujours préférable comme le débat, mais reste si fragile, menacée par les tentations autoritaires ou l'intégrisme ou l'état d'urgence ou les lois du marché.
Pierre Corcos
19-05-2016
 
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Verso n°136

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