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[verso-hebdo]
21-05-2015
La chronique
de Pierre Corcos
Théâtre, famille
La famille est (aussi) un théâtre. On comprend ce qui s'y passe en utilisant les catégories du théâtre : rôles, conflits, drame, jeux, intrigue, etc. Symétriquement, le théâtre peut également se saisir du thème de la famille en tant qu'espace clos chargé d'émotions, de secrètes passions... C'est ainsi que, dans la même période, le Théâtre national de la Colline nous propose deux spectacles passionnants, qui durent jusqu'au 6 juin, ayant la famille comme espace stratégique du Drama.

Que leur condition familiale ait été trop heureuse ou trop peureuse, certains êtres ne se remettent jamais de leur enfance... Ils y sont enchaînés, pathétiquement, au point de rester attachés à des illusions, des objets, des attitudes, des vétilles que rien ensuite, dans la situation adulte, ne peut chasser, entamer. Et si, comme l'évoque le poète anglais Wordsworth, « le ciel s'étend tout autour de nous pendant notre enfance ! », alors le monde des « grands » est ressenti par ceux-là comme une jungle suffocante, brutale, obscure, ne laissant plus apparaître l'azur du ciel qu'à de rares échancrures... Les personnages de l'étonnant spectacle Le Chagrin de Caroline Guiela Nguyen métaphorisent, par leur comportement, une enfance emprisonnée dans un oeuf transparent qu'animent de dérisoires tempêtes de neige. Agitation, caprices, déguisements, taquineries, incohérents bricolages, manipulations boueuses et jubilatoires... Voilà à quoi se livrent... quatre adultes : le frère (plus sa compagne, croit-on) et la soeur, la vieille tante. D'emblée, le spectateur a le sentiment d'avoir affaire à des fous complets ! Le décor, extrêmement soigné, à lui seul, dit l'essentiel : sur un fond bleu pâle de chambre d'enfant s'entassent broderies, poupées, découpages, fleurs artificielles, jouets, poupons... Caroline Guiela Nguyen dit : «nous nous contentons de poser un cadre, de délimiter un espace qui peut être infiltré à tout moment » . Dans cet espace saturé de signes - théâtre mental - se joue en creux la mort du père, qui laisse dans un chagrin immense les orphelins. Une mort, un chagrin sans cesse éludés, car la mort, pour les enfants perdus qu'en face d'elle nous restons tous, est inconcevable. Et le passage obligé à l'état adulte, et ses impératifs accablants (choisir par exemple un type de cercueil), tient de l'intolérable mutilation.
Mais Le Chagrin, fruit du travail collectif d'improvisations et d'écritures plurielles de la compagnie « Les Hommes Approximatifs », essaye également de mettre en scène l'incohérence, l'excentricité, les dissonances de la vie. Quand on est dans le deuil en effet ou pris dans un bloc d'enfance, on n'est pas que là-dedans : le présent du quotidien, les soucis matériels décentrent sans cesse l'attention. Caroline Guiela Nguyen : « Nous ne nous rendons pas aveugles aux contradictions, à la cacophonie. (...) Nous n'avons pas de centre. Et notre plus grand travail est de ne pas avoir peur de cela ». C'est ainsi, nous le savons, que les significations existentielles les plus prégnantes se laissent envahir par les herbes folles de l'insignifiance. A la fois métaphore de l'indépassable enfance et moment tragique de deuil que déborde la vie turbulente, Le Chagrin fait du spectacle une expérience qui déstabilise le spectateur parce qu'elle n'obéit pas aux rituels théâtraux.

Parmi les reproductions géantes de peintures célèbres qui servent de décor, en partie, à la mise en scène de Stanislas Nordey pour Affabulazione de Pier Paolo Pasolini, on n'aurait pas été surpris de trouver l'oeuvre effrayante de Francisco de Goya, Saturne dévorant l'un de ses enfants. Car cette pièce de théâtre nous parle crûment du désir de mort du père sur le fils... On connaît trop l'histoire freudienne d'oedipe pour ne pas imaginer ce que le père, logiquement, pourrait dire à son fils : « Tu es ici pour prendre ma place dans le monde, me rejeter dans le néant et me voler tout ce que j'ai » (intertitre dans « Edipo re » de Pasolini). Mais, dans le texte d'Affabulazione, le conflit du père infanticide avec son fils prend de la hauteur, une tournure historique et politique s'identifiant presque à la lutte des classes. Ce sont les pères qui veulent garder leur pouvoir, leurs richesses, eux encore qui envoient les fils se faire massacrer à la guerre... Les pères toujours qui (pourrait-on dire aujourd'hui) saccagent la planète pour ne laisser que pénurie et désolation à leurs fils. Dans Affabulazione, Pasolini prend appui sur son histoire personnelle (son père « était violent, possessif, tyrannique »), sur Eschyle et Sophocle, sur la psychanalyse et l'anthropologie pour nous proposer, dans une langue originale, mêlant le théorique au poétique, une ample fresque d'inspiration anarchiste. Le mythe collectif, le rêve individuel, la réalité sociale s'entremêlent, conférant à cette tragédie familiale particulière une valeur archétypale...
Le personnage qui joue l' « Ombre de Sophocle » apporte une heureuse distance, esthétique et humoristique, à ce qui pourrait être reçu par le spectateur comme un discours étouffant, envahissant. D'autant plus que Stanislas Nordey (le Père) en profère, en exprime avec force, tristesse et colère, dans une même intonation, la violence du défi. Heureuse ouverture également que nous offrent les vivantes figures féminines (la Mère, la Jeune fille, la Nécromancienne), qui évitent à ce procès Père/Fils, violent, trouble, perpétuel, inévitable, de s'emmurer dans le sépulcre asphyxiant d'un huis clos fatal.
Pierre Corcos
21-05-2015
 
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Verso n°136

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