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[verso-hebdo]
19-02-2015
La chronique
de Pierre Corcos
Solitude
Un film en noir et blanc, sans intrigue, sans paroles, sans acteurs, sans bande-son musicale... Seulement quatre spectateurs dans la salle de cinéma qui le projetait.
Mais un chef d'oeuvre !...
Two Years at sea est le premier long-métrage de l'Anglais Ben Rivers. En 2011, il obtenait le Prix Fipresci (remis par la fédération internationale de la presse cinématographique) à la Mostra de Venise. Ben Rivers est à la fois réalisateur, cameraman, laborantin et monteur ! Son court-métrage passé, sur l'ermite Jake Williams, méritait un prolongement. Et le voici : une oeuvre rare, servie par une photographie expressive au gros grain, alternant panoramas et plans rapprochés, images brumeuses de forêts et détails sur des objets ou bien le visage de Jake Williams. Le réalisateur prend le risque de rester longtemps - à la limite parfois du supportable - sur une scène, car son portrait de Jake, procédant du documentaire ethnographique mais transcendant l'anecdote, et même l'image, exhume un archétype de la solitude.
L'ermite Jake Williams, au front large, buriné, à la barbe de prophète, vit au milieu de la nature dans la seule compagnie d'un chat noir... Ne perçoit-on pas ici le solitaire en chacun de nous, qui rêve de tout larguer, amarres, chaînes, entraves, liens ? De sectionner la tuyauterie qui nous gave et nous assomme ? Cette figure, admirablement filmée par Ben Rivers, serait bien le sage (ou le misanthrope) voulant trouver, ou retrouver, les chemins touffus, incertains qui mènent à soi, les « rêveries du promeneur solitaire » (Rousseau), la méditation d'un Thoreau (Walden ou la Vie dans les bois), et confirmer cette assertion d'Hermann Hesse disant que la solitude est indépendance.

Comment vit Jake Williams ? Il a aménagé des installations de fortune, il bricole en chantonnant, s'occupe de son fourbi étonnant, fait par tous les temps de grandes marches, lit, écrit, ou médite allongé sur un radeau. De temps en temps, il va couper du bois dans la forêt, ou bien met un disque de musique indienne sur son vieux pick-up, ou encore s'installe dans une roulotte juchée sur un arbre... Oh, il n'a pas l'air malheureux, le Jake Williams ! Toujours absorbé par ce qu'il fait, courageux et serein. Et Ben Rivers a dû se faire discret, muni de sa seule caméra, mécanique 16mm Bolex, pour nous restituer la vie de cet homme totalement isolé dans une imposante nature. Une nature dont l'écrin est le silence...
Incroyable silence de la vie sauvage !... Les hommes des villes n'ont plus qu'une idée lointaine de cette paix profonde, eux qui rajoutent du bruit au bruit, et jacassent en se divertissant, ou l'inverse. Ce vaste silence naturel dévoile peu à peu des bruits discrets, furtifs, prompts à disparaître : chants d'oiseaux, coassements de grenouilles, autres cris d'animaux, étranges... Silence impressionnant que le réalisateur de Two years at sea rend avec d'autant plus de force qu'il ne cherche pas plus à idéaliser cette nature par une musique de film, lyrique, qu'il ne se permet la moindre interview de l'unique personnage.
Le traitement de l'image filmique, à la fois pictural et photographique, nous laisse imaginer que Ben Rivers n'est pas qu'un cinéaste, même complet. On apprend que cet artiste inspiré a déjà donné à voir ses films sous forme d'installations, qu'il a intéressé des centres d'art... Jouant sur des noirs profonds, des clartés blafardes et des contrastes saisissants, Ben Rivers burine patiemment le mystère inviolé d'un visage, d'une nature encore vierge, de nuits opaques ou d'orages homériques. Il met en scène des ombres habitées, fantastiques... Ainsi, la longue scène finale, où le visage à la Dürer de l'ermite n'est allumé que par un feu de bois crépitant devant lui, tandis que l'obscurité s'impose progressivement, superbe moment plastique (on dirait une gravure, genre « manière noire ») et symbolique (c'est la mort qui ronge peu à peu le visage du vieil homme), confirme que l'ethnologue cinéaste est aussi un peintre de la pellicule et un moraliste. Le personnage auquel il a donné tant de relief par son filmage, serait peut-être chacun de nous, quand arrive ce temps où il y a bien plus de choses à se rappeler qu'à prévoir, anticiper. Où la méditation devant un feu reste surtout l'occasion de soupirs intermittents, lourds de mélancolie. Ou emplis de gratitude...

Le personnage de Jake Williams, ayant choisi l'indépendance, l'autarcie, davantage sans doute que la solitude, était-il (comme certaines photos qu'il regarde le suggèrent) un hippie des Sixties, ou un marginal inadapté aux contraintes de notre civilisation ?
L'admirable film de Ben Rivers ne répond guère à cette question, pas plus que ses images heurtées, rugueuses ne visent à platement embellir une expérience difficile et rare. Éloge romantique, écologiste d'une la vie autarcique ? Peut-être... Mais on ne peut, de prime abord, s'empêcher de concevoir la complicité entre un cinéaste indépendant, plutôt seul dans ses recherches, travaillant avec peu de moyens, et ce vieil ermite barbu, à la fois actif et contemplatif, riche seulement de son regard et de ses mains.
Pierre Corcos
19-02-2015
 
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Verso n°136

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