avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 190
N°Verso : 127
L'artiste du mois :
Ivan Messac

Titre : Catherine Lopes-Curval,
loin de l'enfance
Auteur(s) : par Jean-Luc Chalumeau
Date : 01/12/2021



Catherine Lopes-Curval,
loin de l'enfance
par Jean-Luc Chalumeau

En 2016, Catherine Lopes-Curval présentait dans le bel Espace des Femmes de la rue Jacob à Paris sa délicieuse et émouvante série « Femmes d’artistes, femmes artistes » qui avait donné naissance à un livre. Quarante-quatre femmes artistes (sauf une : Georgette Berger, épouse Magritte) dont le point commun est d’avoir été plus ou moins effacées par leur compagnon lui-même artiste. Lopes-Curval avait trouvé d’épatantes solutions plastiques pour nous parler des destins de Dora Maar à Alma Mahler avec émotion et, quant il le fallait, une touche d’humour. Il n’empêche : Lee Krasner était une excellente peintre et elle fut complètement occultée par les célèbres drippings de son mari Pollock : Lopes-Curval le traduisait de manière magistrale. Aujourd’hui (et jusqu’à fin janvier 2022) elle nous propose « Loin de l’enfance » dans la même galerie, une série centrée sur les plages normandes situées entre Saint Laurent sur Mer (Omaha Beach) et Arromanche.

Autrement dit, il s’agit des plages du débarquement qui furent les lieux de ses jeux de l’enfance, avec, au centre, sa ville natale de Bayeux dont elle veut célébrer aussi le magnifique platane planté en 1795, « arbre de la liberté » qui jouxte toujours la cathédrale. Elle aime marcher dans les falaises au-dessus des plages, en saisir les nuances colorées selon les saisons. Ainsi, elle peut se trouver en été au bas d’une falaise herbeuse qui lui offre diverses modulations de vert. Mais en levant les yeux, elle aperçoit un monstre tapi au sommet : une de ces casemates laissées par les allemands, qui semble guetter encore des proies à détruire. C’est ce saisissant contraste qui l’a inspirée dans Casemate 2 de 2020 par exemple (195 x 130 cm, acrylique sur toile). En se retournant vers la plage, les enfants d’aujourd’hui apparaissent, observés avec tendresse par l’artiste qui note que d’autres monstres sont visibles à l’horizon : des pontons abandonnés par les Alliés cette fois-ci, que les enfants, tout à leurs jeux, semblent ne pas voir. La nostalgie n’est pas pour eux, elle est pour Catherine Lopes-Curval qui aime profondément son pays meurtri par l’Histoire et nous communique ses sensations avec une émotion palpable.

Ainsi, une fois de plus, comme au temps où elle nous parlait de son Alice, certes inspirée de Lewis Carroll, mais découvrant un monde chaotique, Catherine Lopes-Curval affirme son incomparable talent de peintre. Ses tableaux ne sont pas seulement des ensembles de représentations d’objets vus autour d’elle : ils obéissent à un principe supérieur d’unité parce que ce sont des objets esthétique en tant qu’ils sont capables d’expression. C’est-à-dire qu’ils signifient non seulement en représentant, mais à travers ce qu’ils représentent, en produisant sur le spectateur une certaine impression, en manifestant une certaine qualité dont les mots ne peuvent rendre compte, mais qui se transmet en éveillant un sentiment : celui que l’on éprouve quand on est confronté à un art accompli.

 




Verso n°128
 
 
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