Le style de Mathilde Barazer de Lannurien
par Jean-Luc Chalumeau
Je me suis intéressé dans un autre texte à l’intentionnalité chez Mathilde Barazer, mais pas à son style : c’est le moment de regarder les photographies jointes d’objets esthétiques signés par l’artiste et de dire en quoi ils diffèrent des objets usuels. Il s’agit évidemment de la même différence qu’entre les deux fonctions du langage, d’une part comme transmettant une signification impersonnelle, d’autre part comme exprimant une personne. Je sais que l’objet usuel est fait par l’homme pour l’homme mais il ne me dit rien de celui qui l’a fait. L’objet esthétique au contraire ne sert aucune entreprise, il nous laisse libres de découvrir son auteure, c’est d’elle qu’il me parle. L’objet esthétique manifeste un style : ici je vois fraicheur, élégance, application et je peux répondre à la question « qu’est-ce donc que le style ? ». C’est une certaine manière d’opérer qui se reconnaît à la stylisation qu’elle produit, c’est à dire à la substitution de formes voulues par l’esprit à la prolifération incohérente de formes naturelles. Le style de Mathilde est donc la marque d’une activité organisatrice qui refuse le hasard et recherche la forme la plus pure. Accéder au style, en somme, c’est parvenir à la liberté. On comprend que le décoratif n’a rien à voir avec la démarche de Mathilde Barazer. En effet, l’ornement n’a rien à dire, mais par l’articulation des formes et des couleurs, l’artiste nous ouvre les portes de sa personnalité très riche. On pense à la petite leçon donnée à Albertine par Proust quelque part dans La Prisonnière : « vous m’avez dit que vous aviez vu certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d’un même monde, que c’est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté, énigme, à cette époque où rien ne lui ressemble ni ne l’explique si on ne cherche pas à l’apparenter par les sujets mais à dégager l’impression particulière que la couleur produit.» L’impression particulière dégagée par les tableaux de Mathilde Barazer se nomme son style.
Christophe Cartier
