Les tableaux Tounes Boules (turn cut)
par Gérard-Georges Lemaire
LA FINCA PACIFICO
Voici Arthur Aeschbacher, en chair et en os, un artiste qui n’a cessé depuis des lustres de naviguer d’un continent à l’autre, entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Il a moissonné sur l’un comme sur l’autre les choses qui allaient entrer dans ses tableaux, des formes et des coloris d’une peinture à la fois d’une abstraction pure (sauf dans un cas récent) et pourtant chargée des objets trouvés, ce que les futuristes appelaient les « choses symboliques » et que les surréalistes ont mis en exergue dans leurs écrits ou leurs œuvres. On y retrouve très tôt les affiches du vieux Paris, surtout des affiches de théâtre ou de music-hall, de cirque aussi, les enseignes et les placards des villes mexicaines – les cylindres bariolés des barbiers toupillant comme à la fête foraine, les enseignes publicitaires et récemment (c’est l’exception dont je parlais), les annonces des combats de ces lutteurs masqués qui ressemblent à des héros de bandes dessinées. Et, aujourd’hui, il a choisi les cartons d’emballages de la bière Pacifico, dont les lettres s’inscrivent dans un losange jaune pâle.
Le mot Pacifico fait rêver. Et le mot, pour Arthur Aeschbacher, c’est le Verbe par lequel peut naître tout un univers plastique. C’est le point de départ d’une excursion dans les régions imprévisibles de l’imaginaire. Oui, le mot est l’objet de sa quête. Le signifiant autant que le signifié -, et souvent plus le signifiant d’ailleurs. Et il construit à partir de lui, autour de lui, un jeu de construction avec le jaune du logo, mais aussi du rouge, du bleu, du blanc et du noir, où il commet quelques larcins dans le répertoire plastique de l’art du XXe siècle. La création, pour lui, n’a de sens qu’associée à une attitude ludique. La rigueur et la blague vont de paire. Il est un peu dadaïste et un peu formaliste – ce qui semble une contradiction dans les termes. Mais ce n’est pas le cas. Et il n’est pas un pilleur de tombes, ni un as du plagiat. Il utilise des modèles picturaux connus de tous. Il opère ensuite par détournement, déplacement, transformation, tours de passe-passe. On le voit bien : il a emprunté au langage du néoplasticisme (Mondrian n’est jamais bien loin), aux expériences du microcosme cosmopolite de « Cercle et Carré », aux géométries du groupe de Côme, de « Mahdi », et de qui sais-je encore. Les fragments d’objets arrachés à leur quotidien (qui est notre quotidien), les papiers empruntés au paysage urbain indifféremment d’hier et d’aujourd’hui, les lettres qu’il en soutire, se conjuguent avec les droits et les arcs de cercle et aussi à un registre chromatique qui se limite en général à un nombre de teintes très restreint. Il a été jusqu’à n’utiliser que le noir et le blanc dans la série Mexico Turn Cut (2007) qui a été exposé la première fois à l’occasion de l’exposition Lecciones di tenebras au musée Jose Luis Cuevas à Mexico.
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